PAR RÉMI HUGUES.
Cette série d’articles, qui correspond à la base écrite de l’exposé de Rémi Hugues fait au cercle d’Action Française d’Aix-en-Provence Roi René le 17 novembre 2023, est l’ultime pièce d’un triptyque sur l’usure ; la première s’intitulant « L’usure c’est le vol ! » (4 août 2020) et la deuxième « L’usure c’est la guerre ! » (6 mars 2023).
L’inflation, grande maladie des monnaies… et des sociétés
Il semblait qu’au XXIe siècle seules les économies de pays du Sud connaîtraient une inflation de niveau élevé. L’on pensait que les pays développés étaient enfin parvenus à édifier des instruments efficaces pour juguler ce phénomène, qui au siècle précédent était devenu structurel. Ce qui amène les économistes Marc Nouschi et Régis Bénichi à dire de l’inflation que c’est « une invention du XXe siècle »[1]. De la Première Guerre mondiale aux années 1980 l’inflation était chronique.
L’inflation est dite rampante si elle ne dépasse pas 10 %, elle est qualifiée de rapide si son taux a deux chiffres et quand l’inflation est supérieure à 100 % – soit à trois chiffres – elle est appelée galopante.
Il n’y a rien d’anormal d’observer aujourd’hui dans certains pays une inflation galopante qui frôle l’hyperinflation, comme en Argentine et au Venezuela. En revanche des économies plus robustes, telles que le Liban et la Turquie, sont aussi affectées par ce phénomène, ce qui laisse plus circonspect. Désormais l’inflation est mondiale, elle touche autant les nations du Sud que du Nord.
« À l’entrée d’un supermarché à Beyrouth, le taux de change s’affiche en gros : 82.000 livres libanaises le dollar. Il évoluera dans la journée selon les fluctuations du marché. Dans un pays en plein effondrement économique, qui importe 80 % de ses besoins de consommation et où la monnaie locale a perdu plus de 98 % de sa valeur depuis le début de la crise en 2019, le ministère de l’Économie (…) a autorisé la grande distribution à afficher ses prix en devise américaine, les paiements étant encore acceptés en livres » indiquaient Sibylle Rizk et Muriel Rozelier dans Le Figaro du10 mars 2023.
Le Liban, autrefois surnommé la Suisse de l’Orient eu égard à son économie florissante, est devenu un État failli, où le système bancaire ne garantit plus à ses clients la jouissance de leurs dépôts, et où le dollar vient se substituer à la monnaie nationale.
Et dans les colonnes du même journal, Clara Galtier, le 9 mai 2023, notait ceci :
« ‘‘Certaines organisations ont dû augmenter de plus de 100 % les salaires nets en livre turque de leurs employés’’, témoigne Ilker Onur, franco-turc, directeur exécutif d’Advantis Conseils Turquie. Lui-même a été contraint à des hausses significatives de rémunérations. ‘‘Sur l’année 2023, on va avoir 25 % de pertes de marge… Je suis obligé de rogner dessus car je ne peux pas augmenter mes prix’’, précise l’homme d’affaires. »
Entre septembre 2022 et mars 2023, l’inflation en Turquie a oscillé entre 83 % et 50 %, du jamais vu au XXIe siècle.
Dans une moindre mesure, le Vieux continent est dans une situation d’accélération de l’inflation depuis 2021. Cela est dû à l’injection monétaire faite par les pouvoirs publics pendant la mise à l’arrêt quasi-totale de la vie économique pendant la pandémie de Covid-19. Car, comme le soulignait l’économiste Milton Friedman dans son ouvrage Inflation et systèmes monétaires, « l’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire »[2].
Ce n’est ni une défaillance de l’offre – provoqué par les fermetures des sites de production pendant les confinements – ni un excès de la demande – due à la reprise entraînée par le retour à la normale de nos existences – qui expliquent fondamentalement l’inflation importante que nous constatons en ce moment : elle résulte principalement des politiques des Banques centrales et de leur « assouplissement quantitatif », formule de technocrate pour désigner l’usage de la planche à billets, soit l’émission monétaire ex nihilo, autrement dit création qui n’est pas la contrepartie d’une production effective de richesses.
Si l’euro n’est pas un antidote à ce problème, l’on ne peut pas non plus soutenir que la non-appartenance à la zone euro protège de ce phénomène délétère. En atteste la situation actuelle au Royaume-Uni, où les ménages les plus modestes – notamment les nombreux ménages où la mère, seule, a plusieurs enfants à charge – sont frappés de plein fouet par l’inflation.
Une situation aberrante y est apparue l’hiver dernier, appelée en anglais le heating or eating : avec l’augmentation du prix de l’électricité et de l’alimentation, certains d’entre eux ont même dû choisir entre se chauffer ou se nourrir. Ou se retenir de faire usage de leur bouilloire une pléthorique de fois par jour – comme ils le faisaient auparavant pour remplir leur cup of tea sans se préoccuper de la conséquence sur la facture envoyée par leur fournisseur d’énergie à la fin du mois ou du trimestre.
Plus coquasse, dans un article du 4 novembre dernier Pierre Fougères, pour le média Capital, rapporte ceci :
« À l’heure où l’inflation prend son envol au Royaume-Uni, deux Anglais ont entrepris une expérience singulière pour tenter de préserver leur pouvoir d’achat. Leur idée audacieuse ? Traverser la Manche pour faire leurs courses en Pologne. […] Josh et Archie, ont décidé de tenter une expérience pour déterminer si traverser la Manche et faire leurs courses en Pologne pouvait être une solution avantageuse […].
La première étape de leur expérience consistait à effectuer des courses en Angleterre dans un magasin Lidl de Londres, le seul supermarché qui se trouve également en Pologne, pour assurer une comparaison équitable. Ils ont suivi une liste de 135 produits spécifiques utilisés par le gouvernement britannique pour surveiller l’inflation. Une fois leurs achats terminés, le ticket de caisse affichait un total de 164,47 livres sterling, soit environ 190 euros. Ce montant servira de référence pour déterminer si l’expérience en vaut la peine.
Pour se rendre en Pologne, Josh et Archie ont réservé des billets d’avion Ryanair pour la ville de Poznan, avec l’intention de ramener leurs courses en bagage en soute au retour. Les billets d’avion ont coûté 47 livres, tandis que le panier similaire acheté dans le Lidl de Pologne s’élevait à 96,75 livres. Ils ont également fait preuve de flexibilité en cours de route, en optant pour une nuit d’hôtel au lieu de leur plan initial d’hébergement gratuit via la plateforme Couchsurfing, ce qui n’a pas affecté significativement leur budget.
Le bilan de leurs courses à l’étranger s’est révélé intéressant. Le coût total s’est élevé à 156,33 livres sterling, soit 180,20 euros, ce qui représente une économie de 11,14 livres (12,84 euros) par rapport à l’achat en Angleterre. Cependant, il est important de noter que certaines marchandises n’ont pas bien supporté les conditions de transport et le temps consacré aux courses, ce qui a entraîné une économie relativement limitée. » ■ (À suivre)
[1]Marc Nouschi, Régis Bénichi, La croissance au XIXème et XXème siècles. Histoire économique contemporaine, Paris, Ellipses, 1990, p. 162.
[2]Cité par ibid., p. 165.
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
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