PAR RÉMI HUGUES.
Cette série d’articles, qui correspond à la base écrite de l’exposé de Rémi Hugues fait au cercle d’Action Française d’Aix-en-Provence Roi René le 17 novembre 2023, est l’ultime pièce d’un triptyque sur l’usure ; la première s’intitulant « L’usure c’est le vol ! » (4 août 2020) et la deuxième « L’usure c’est la guerre ! » (6 mars 2023).
Depuis que Macron a rejoint l’Élysée en tant que conseiller économique de François Hollande – en 2012 – la dette publique est passée de 1 800 milliards d’euros (90 % du PIB) à 3 000 milliards (112,5 % du PIB). À l’évidence, avoir fait ses classes chez Rothschild ne vous assure pas de devenir un bon gestionnaire financier. Sur le plan économique son bilan est désastreux. Mais pour le groupe de bancocrates pour qui il travaille, ses résultats sont très positifs. Comme on le sait, le malheur des uns fait le bonheur des autres.
De leur point de vue, sa plus grande réussite est d’avoir maté le mouvement des Gilets jaunes, événement survenu il y a cinq ans, tel Adolphe Tiers lors de la Commune de Paris.
Dans notre système politique, un gouvernant est toujours adossé à une grande fortune. Dans la même revue de presse pour L’Action française de Robert Havard de la Montagne mentionnée au début de cette série, ce dernier utilise l’expression « ploutocratie démocratique » comme surtitre d’un texte qui parle de devanciers du duo Emmanuel Macron-David de Rothschild :
« L’Humanité relate que l’enquête sur la Banque Industrielle a établi que celle-ci versait annuellement 150.000 francs à Philippe Berthelot. Cette somme serait l’intérêt d’un cadeau fait par André à Philippe de 3 millions et demi, dont un million employé à l’achat d’un hôtel. Mais comment a-t-il pu disposer d’une pareille somme, puisqu’il n’avait pas de fortune à ses débuts ? Ici se dévoile la collusion des affaires et de la politique ;
André Berthelot, c’était l’homme du banquier belge, le baron Empain. Le lanceur du Métro, des tramways de banlieue, de Lille et d’ailleurs, de la Centrale de Jeumont, etc., le patron de vastes entreprises industrielles en Chine, André Berthelot, tout à tour conseiller municipal, député (député socialiste !), puis sénateur, « servait les intérêts du patron, non seulement en France, mais à l’étranger. c’est ainsi qu’il fallait faire intervenir le ministère des affaires étrangères », alors que les légations belges sans doute ne montaient pas ».
C’est ainsi qu’un cadeau soi-disant fraternel a pour source les bienfaits du baron Empain à son serviteur André Berthelot.
C’est ainsi qu’on fait les bonnes maisons… mais qu’on salit an nom illustre.
Vlan !… Et M. Téry avait raconté, dans l’Œuvre, que tout ça, c’était des histoires inventées par la réaction pour venger feu Brunetière des attaques de Marcellin Berthelot !… Mais le commandité de Veillon et Philouze devait naturellement venir au secours de l’homme du baron Empain. »
Monnaie-papier et crédit
Revenons sur ce propos de Robert Havard de la Montagne : Notre monnaie de papier n’a aucune valeur si l’on n’a pas soin d’y joindre l’idée métaphysique de crédit.
Le fondement de notre système économique, le capitalisme, est le crédit, ou prêt à intérêt, qui est une pratique prohibée tant par la tradition païenne grecque – dans le livre I des Politiques Aristote la condamnait en la désignant par le vocable chrematistika – que par la tradition chrétienne juive – du prophète Ézéchiel à Thomas d’Aquin en passant par Basile de Césarée.
Le projet existant de suppression de monnaie-papier, s’il se met en place, correspondrait à un stade supérieur du déploiement du système de crédit, qui tend à rendre la monnaie abstraite, métaphysique, pour reprendre le terme employé par Robert Havard de la Montagne.
Il faut savoir que le Moyen Âge a été traversé par une lutte entre les partisans du Crédit et les défenseurs des plus démunis, à savoir le très-puissant-alors clergé. Dans son passionnant essai Dette : 5 000 ans d’histoire, le professeur d’anthropologie de nationalité américaine David Graeber, qui a exercé à Yale puis à la London School Economics, explique :
« L’Église catholique avait toujours interdit le prêt à intérêt, mais les règles tombaient souvent en désuétude, ce qui incitait les autorités ecclésiastiques à organiser des campagnes de prédication : elles envoyaient les frères mendiants de ville en ville pour avertir les usuriers que, s’ils ne se repentaient pas et ne restituaient pas intégralement les intérêts extorqués à leurs victimes, ils iraient sûrement en enfer. […]
Au XIIe siècle, lorsque ces campagnes ont atteint leur apogée, on s’est mis à user de sanctions directes. La papauté a donné instruction aux paroisses locales d’excommunier tous les usuriers connus. Il ne fallait pas leur permettre de recevoir les sacrements et il n’était pas question d’enterrer leurs corps en terre consacrée. »[1]
Mais l’Église faisait face à une résistance solide, notamment en France, comme le souligne Graeber : « Les usuriers français avaient de puissants amis et hommes de main, capables d’intimider jusqu’aux autorités de l’Église. »[2]
Cette tension entre gens d’Église et marchands d’argent, Jean de La Fontaine l’avait formidablement retranscrite dans une fable intitulée « Le financier et le savetier », où celui-ci, se plaignant que les prêtres, pour qui la prière prime sur les affaires, nuisent à sa prospérité, reçoit l’approbation de celui-là, qui, hilare, lui repartit : « Je vous veux mettre aujourd’hui sur le trône. »
Tel pourrait être, au fond, le processus qui se trouve au point de départ de l’ère capitaliste : la légalisation du Crédit entendu comme prêt assorti d’un intérêt, soit l’usure, la chrematistika aristotélicienne.
Puisque nous en arrivons à l’étude de notre système économique dans sa globalité, il paraît nécessaire de s’arrêter sur cet extrait du Capital de Karl Marx (livre I, VIIIe section, chapitre XXI) :
« Dans le même temps qu’on cessait en Angleterre de brûler les sorcières, on commença à y pendre les falsificateurs de billets de banque. […]
Avec les dettes publiques naquit un système de crédit international qui cache souvent une des sources de l’accumulation primitive chez tel ou tel peuple.
C’est ainsi, par exemple, que les rapines et les violences vénitiennes forment une des bases de la richesse en capital de la Hollande, à qui Venise en décadence prêtait des sommes considérables. A son tour, la Hollande, déchue vers la fin du XVIIe siècle de sa suprématie industrielle et commerciale, se vit contrainte à faire valoir des capitaux énormes en les prêtant à l’étranger et, de 1701 à 1776, spécialement à l’Angleterre, sa rivale victorieuse. Et il en est de même à présent de l’Angleterre et des États-Unis.
Maint capital qui fait aujourd’hui son apparition aux États-Unis sans extrait de naissance n’est que du sang d’enfants de fabrique capitalisé hier en Angleterre.
Comme la dette publique est assise sur le revenu public, qui en doit payer les redevances annuelles, le système moderne des impôts était le corollaire obligé des emprunts nationaux.
Les emprunts, qui mettent les gouvernements à même de faire face aux dépenses extraordinaires sans que les contribuables s’en ressentent sur-le-champ, entraînent à leur suite un surcroît d’impôts ; de l’autre côté, la surcharge d’impôts causée par l’accumulation des dettes successivement contractées contraint les gouvernements, en cas de nouvelles dépenses extraordinaires, d’avoir recours à de nouveaux emprunts.
La fiscalité moderne, dont les impôts sur les objets de première nécessité et, partant, l’enchérissement, de ceux-ci, formaient de prime abord le pivot, renferme donc en soi un germe de progression automatique. La surcharge des taxes n’en est pas un incident, mais le principe […]
La grande part qui revient à la dette publique et au système de fiscalité correspondant, dans la capitalisation de la richesse et l’expropriation des masses, a induit une foule d’écrivains, tels que William Cobbett, Doubleday et autres, à y chercher à tort la cause première de la misère des peuples modernes. » ■ (À suivre)
[1]David Graeber, Dette : 5 000 ans d’histoire, Les liens qui libèrent, 2013, p. 18-19.
[2]Ibid., p. 23.
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
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Passionnant… bravo!!!