PAR RÉMI HUGUES.
Cette série d’articles, qui correspond à la base écrite de l’exposé de Rémi Hugues fait au cercle d’Action Française d’Aix-en-Provence Roi René le 17 novembre 2023, est l’ultime pièce d’un triptyque sur l’usure ; la première s’intitulant « L’usure c’est le vol ! » (4 août 2020) et la deuxième « L’usure c’est la guerre ! » (6 mars 2023).
Au contraire de Karl Marx, nous pensons, suivant en cela William Cobbett et son disciple Thomas Doubleday, lesquels vécurent en Angleterre entre la fin du XVIIIe et le milieu du XIXe siècle, que la cause première de la misère des peuples modernes réside dans la dette publique et le système de fiscalité correspondant.
Dans un numéro de la Revue des Deux Mondes datant de 1889, sous la plume de George Valbert, un texte qui a pour titre « Un radical anglais d’autrefois – William Cobbett » présente cet adversaire de l’usure, autrefois interdite quand l’empire de l’Église catholique s’exerçait sur les peuples européens, et aujourd’hui totalement normalisée :
William Cobbett « haïssait les grandes villes et leurs corruptions, les manufactures et leurs tristesses, les armées permanentes, les casernes, les commerçants à la nouvelle mode, les pharisiens de toute couleur et l’aristocratie d’argent. Ce qu’il détestait encore plus, c’étaient « les mangeurs de taxes » qu’il traitait de vermine et de démons. Il accusait Pitt d’avoir attiré sur son pays, par ses énormes emprunts, « des maux que Satan lui-même n’eût pas imaginés. » Il définissait le crédit public, l’art de contracter des dettes qu’on ne paiera jamais, et il jugeait que dans un monde bien ordonné les peuples se croient tenus de tout payer comptant et de ne rien devoir à personne.
C’était sur ce sujet qu’il aimait le plus à raisonner et à déraisonner ; aucun autre n’échauffait davantage sa bile et son éloquence, et il ne se lassait pas d’expliquer aux nombreux lecteurs du Register l’histoire de la dette publique de l’Angleterre.
La Révolution française, leur disait-il, ayant aboli tous les privilèges aristocratiques et les dîmes ecclésiastiques, le gouvernement anglais voulut empêcher que la réforme ne passât la Manche, et on résolut d’attaquer les Français, de menacer leur liberté récemment conquise, de les pousser à des actes de désespoir, et enfin de faire de la Révolution un tel épouvantail pour tous les peuples qu’on ne pût se représenter sous le nom de liberté autre chose qu’un affreux mélange de bassesses, d’abominations et de sang, et que les Anglais, dans l’enthousiasme de leur terreur, en vinssent à s’éprendre d’amour pour leur aristocratie et leur gouvernement.
À cet effet, on dut s’assurer du concours de diverses nations étrangères, leur fournir de gras subsides et prendre leurs armées à sa solde : “Nous remportâmes ainsi, ajoutait-il, de nombreuses victoires sur les Français, et ces victoires étaient magnifiques. Ce fut une bonne affaire, elles valaient trois ou quatre fois ce que nous en avions donné, comme mistress Tweazle a coutume de dire à son mari quand elle revient du marché. Assurément, nous ne pouvions faire une plus belle provision de victoires à des prix plus favorables.
Malheureusement, je l’avoue avec tristesse, nous avons emprunté l’argent avec lequel nous les avons achetées, et il s’agit maintenant de les payer. Ces victoires funestes, ces maudites victoires, nous ne pouvons plus nous en défaire, et nous chercherions en vain à les repasser à quelqu’un. Un homme peut-il se défaire de sa femme quand une fois il a eu le bonheur de se mettre sur les épaules ce gracieux fardeau ?”
C’est ainsi qu’il racontait l’histoire, et ceux mêmes qui l’accusaient de débiter des fables ne pouvaient disconvenir qu’elles ne renfermassent une part de vérité. »[1]
Son livre est majeur, publié en 1815, est une compilation de lettres qu’il écrivit en prison. Son titre est Le papier contre l’or, la gloire contre la prospérité.
Quant à Doubleday, il est l’auteur d’une Histoire financière, monétaire et statistique de l’Angleterre, qui parut en 1847.
Il y développe la thèse selon laquelle monnaie-papier et dette publique vont de pair, et l’effet inéluctable de cette combinaison est la rapide et progressive dépréciation cette monnaie.
De surcroît, il y dresse la liste de 26 prêts accordés à des pays étrangers par des établissements anglais – dont le siège se trouve à la City de Londres – de 1818 à 1832. Sur un total de 55 794 671 livres Sterling de l’époque, Rothschild a prêté légèrement plus du tiers (35,5%), soit à hauteur de 19 800 000 Livres sterling, aux pays suivants : Autriche, Brésil, Prusse, le royaume de Naples et la Russie[2].
Cette activité – le prêt aux États –, dans laquelle cette famille s’est spécialisée, est la plus lucrative qui puisse exister, comme le note Doubleday : « Surtout, les profits réalisés par les prêts étaient si élevés que les gains apportés par un seul auraient pu presque littéralement être à même de fournir les moyens du suivant »[3].
Force est de constater que nous Français – comme nombre d’autres peuples – sommes aujourd’hui contraints de régler l’addition du crédit, de payer le prix de l’usure, ayant laissé depuis des siècles un usage peccamineux devenir une norme indiscutée.
À cet égard il me semble indispensable de terminer en citant l’encyclique d’un pape qui vécut au XVIIIe siècle, pendant les Lumières[4], au moment où le système monnaie-papier/crédit (public)/inflation se mit en place, Benoît XIV, intitulée Vix pervenit :
« L’espèce de péché appelée usure et dont le lieu propre est le contrat de prêt – dont la nature demande qu’il soit rendu autant seulement que ce qui a été reçu – consiste pour le prêteur à exiger – au nom même de ce contrat – qu’il lui soit rendu davantage que ce qui a été reçu et, par conséquence, à affirmer que le seul prêt donne droit à un profit, en plus du capital prêté. Pour cette raison, tout profit de cette sorte qui excède le capital est illicite et usuraire.
Personne ne pourra être préservé de la souillure du péché d’usure en arguant du fait que ce profit n’est pas excessif ou inconsidéré mais modeste, qu’il n’est pas grand mais petit. Ni du fait que celui à qui on le réclame n’est pas pauvre mais riche. Ou bien encore que l’argent prêté n’a pas été laissé inactif mais a été employé très avantageusement pour augmenter sa propre fortune, acquérir de nouveaux domaines, ou se livrer à un négoce fructueux. Est convaincu d’agir contre la loi du prêt – laquelle consiste nécessairement dans l’égalité entre ce qui est donné et ce qui est rendu – celui qui, après avoir reçu un équivalent, ne craint pas d’exiger encore davantage sous prétexte du prêt. En effet, le prêt n’exige, en justice, que l’équivalence dans l’échange. […]
Que les chrétiens ne s’imaginent pas que les usures ou d’autres injustices semblables puissent faire fleurir les branches du commerce. Bien au contraire, Nous apprenons de la Parole divine elle-même que « la justice élève une nation, mais la honte des peuples, c’est le péché. » (Proverbes XIV:XXXIV)
Il en fut un, expert ès crapuleries en tous genres, qui comprit au crépuscule de sa vie entièrement consacrée au crime cette réalité : l’acolyte de Lucky Luciano à la tête de la pègre américaine, Meyer Lansky.
Ses ultimes mots, à l’orée des années 1980, furent : « J’ai appris trop tard qu’il est beaucoup plus facile et rentable de voler de l’argent aux gens de manière légale qu’illégale »[5]. ■ (FIN)
[1]George Valbert, « Un radical anglais d’autrefois – William Cobbett », Revue des Deux Mondes, t. 94, 1889.
[2]À cette époque la célèbre banque de la City, la Barclay, existait déjà. En 1825, l’État mexicain lui emprunta pour 3 millions trois cent mille pounds. À noter qu’en 1991 cette banque a fait l’acquisition de la branche française de la banque Rothschild, qui avait été rebaptisée l’Européenne de Banque suite à la nationalisation en 1982 sous la présidence Mitterrand, alors que Guy de Rothschild en était à la tête. Son fils, David – dont Macron est l’homme-lige –, conjointement avec son « cousin » anglais Evelyn, a mis sur pied Rothschild & Co, qui, longtemps cotée en bourse, s’en est retirée récemment. Au moment de la IIIe République, affirme Henri Guillemin dans une conférence sur les origines de la Première Guerre mondiale, le représentant de la Maison est Léon Say. Il fut quatre fois ministre des Finances, sur une période allant de 1782 à 1882.
[3]Histoire financière, monétaire et statistique de l’Angleterre de la Révolution de 1688 à nos jours, London: Effingham Wilson, 1847, p. 200.
[4]Ce qu’Immanuel Kant souligne dans Idée d’une histoire d’un point de vue cosmopolitique (1784) : « Finalement, la guerre devient même peu à peu non seulement si technique son issue si incertaine pour les deux camps, mais aussi devient une entreprise qui donne tant à réfléchir par les suites fâcheuses que subit l’État sous un fardeau toujours plus pesant des dettes (une nouvelle invention) dont le remboursement devient imprévisible que, dans notre partie du monde où les États sont très interdépendants du point de vue économique, tout ébranlement de l’un a une influence sur tous les autres, et cette influence est si évidente que ces États, pressés par le danger qui les concerne, s’offrent, bien que sans caution légale, comme arbitres et, ainsi, de loin, préparent tous un futur grand corps politique, dont le monde, dans le passé, n’a présenté aucun exemple. »
[5]https://www.nouvelobs.com/teleobs/20231121.OBS81150/mafia-et-banques-un-mariage-de-raison.html
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
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