Par Jean-Paul Brighelli.
Cet article est paru dans Le Figaro d’hier 7 décembre. Quand Jean-Paul Brighelli traite d’enseignement il est (presque) infaillible. Nous nous exemptons donc de commentaire. En revanche les lecteurs de JSF interviendront s’ils le jugent utile.
FIGAROVOX/TRIBUNE – L’enseignant et essayiste Jean-Paul Brighelli critique le plan de Gabriel Attal pour relever le niveau des élèves, dévoilé après la publication les résultats inquiétants des élèves français aux tests Pisa. Il déplore, entre autres, le retour en force du redoublement.
« En distillant son catalogue, Gabriel Attal se place avec dextérité dans la course à la mairie de Paris tout en regardant la ligne bleue de l’Élysée. Mais il se soucie assez peu de ce qui serait nécessaire pour remettre l’École et la France sur pied. »
Le plus saisissant, c’est que rien, dans le discours catastrophiste de Pisa, ne nous étonne. Officiels, enseignants, parents, tous s’attendaient à ce que la glissade commencée dans les années 1990 se transforme en chute libre. Voici donc l’école française, jadis la meilleure au monde, reléguée dans la moyenne de l’OCDE — loin, très loin des tigres asiatiques qui ronronnent en tête de classement. Est-il nécessaire de remarquer que les systèmes scolaires les plus performants engendrent les économies les plus dynamiques ? Nous avons «en même temps» désindustrialisé la France, poussé les classes moyennes dans une prolétarisation saignante, et ubérisé notre pays en services touristiques.
Rien en tout cas ne m’étonne dans la dégringolade. Dès 2005, avec La Fabrique du crétin Première époque, je décrivais une École plongeant au fond du gouffre. J’incriminais alors des méthodes pédagogiques «innovantes» qui avaient merveilleusement effacé cent ans d’efforts continus pour être en tête de classement. L’élitisme républicain avait vécu, place à l’égalitarisme et à la médiocrité. Place à l’enseignement de l’ignorance.
C’est qu’à force de refuser de transmettre des savoirs aux élèves, à force de préférer d’obscures «compétences» — savoir-être, savoir-faire ou savoir-vivre, sans compter la mirifique promesse d’«apprendre à apprendre» —, nous avons soigneusement évidé les crânes des enfants. Quant aux pédagogues, toujours puissants dans l’appareil d’État, ne serait-ce qu’à travers la formation des maîtres, ils persistent et signent, proposant de multiplier les écrans afin de multiplier les crétins digitaux, et de regrouper les tables en «îlots» pour inciter les élèves à laisser travailler le plus téméraire.
Les propositions de Gabriel Attal pour remédier à cet état de fait sont de la bonne communication et de la mauvaise médecine. L’énumération des propositions (redonner aux enseignants la main sur les redoublements, faire du brevet la clé d’entrée obligatoire du lycée, en finir avec le collège unique, insister sur les «fondamentaux») permet d’égrener des items qui chantent à l’oreille des nostalgiques de l’ordre ancien. Bravo au conseiller du ministre qui a pioché nombre de ces propositions dans mon dernier livre, L’École à deux vitesses. Tant pis s’il en a gommé la cohérence.
Ce n’est pas de mesures éparses, aussi chatoyantes soient-elles, que nous avons besoin : il faut renverser la table. Il faut avoir un projet. Nous ne pouvons pas indéfiniment nous passer des compétences de 90% des futurs Français, relégués dans des ghettos scolaires : les propositions du ministre sur les lycées professionnels sont ainsi à des années-lumière des nécessités réelles. Alors même que les élèves en difficulté en fin de troisième aspirent justement à des approches pédagogiques renouvelées, plus concrètes et plus transversales, qu’offrent les lycées professionnels, on les parquera, faute d’obtention du diplôme national du brevet, dans des «prépa-lycées» (quelle ironie !) en attendant la fin de la scolarité obligatoire : car il est peu probable qu’une année supplémentaire passée dans une classe de relégation, alors même que 20% des entrants en lycée professionnel ont déjà au moins un an de retard, les encourage à poursuivre ensuite leur parcours scolaire dans quelque voie que ce soit.
En distillant son catalogue, Gabriel Attal se place avec dextérité dans la course à la mairie de Paris tout en regardant la ligne bleue de l’Élysée. Mais il se soucie assez peu de ce qui serait nécessaire pour remettre l’École et la France sur pied.
Ainsi, l’insistance sur les redoublements, qui n’ont jamais rien soigné, est un chiffon rouge pour exciter les nostalgiques et les cadres du RN : Roger Chudeau a dégainé le premier, expliquant que le ministre énumérait l’essentiel des mesures préconisées par son parti — qui lui non plus n’a guère réfléchi à un projet global qui permettrait, par exemple, d’intégrer réellement les enfants d’immigrés aujourd’hui laissés en déshérence aux mains de «Frères» qui savent occuper avec des endoctrinements fanatiques les crânes que nous avons laissés vides.
Quant à l’annonce d’une énième réforme du bac, avec une épreuve de maths fin première, elle respecte un diplôme onéreux qui ne signifie plus rien, et qu’il faudrait effacer au profit de certifications par matières, bien plus lisibles par les recruteurs du supérieur. Et la promesse que désormais les notes mises aux examens par les enseignants seront respectées, sans péréquation rectorale et ajustements malicieux, est une plaisanterie. Imaginons que l’on note les copies pour ce qu’elles valent : le ministre est-il capable d’assumer, face aux parents, un taux de moins de 50% de réussite ?
A-t-il d’ailleurs pensé aux classes (déjà occupées à 120%, comme les prisons) dans lesquelles on fourguera les nouveaux redoublants ? A-t-il la moindre idée de l’endroit où il trouvera des enseignants disposant de savoirs assez solides pour prendre en main les plus fragiles, pendant l’année ou dans le cadre de «vacances apprenantes» ? De maîtres assez savants pour donner aux meilleurs un carburant susceptible de les faire «s’envoler», comme il dit ?
Les syndicats, jamais en reste d’une revendication creuse, réclament déjà des «moyens» et, surtout, des postes — en feignant d’ignorer que l’on ne parvient pas à affecter des candidatssur les postes offerts dans les concours de recrutement. Recrutera-t-on demain d’autres bras cassés pour satisfaire des leaders syndicaux ?
Il faut cesser de proposer tout en même temps. Commençons par construire une formation des maîtres efficace — sur le modèle de ce qui se met en place au lycée Henri-IV, qui propose de former en trois ans, post-bac, les futurs professeurs des écoles. Inutile de compter sur les facs, où les enseignants-chercheurs, justement, cherchent ; ni sur les INSPE où les pédagogues et autres didacticiens ont peu d’appétence pour l’enseignement des savoirs. C’est dans le post-bac des lycées, avec des enseignants issus du secondaire, que l’on formera vraiment les futurs cadres de l’École — en trois ans, au lieu d’aller les chercher chez les étudiants qui se sont plantés en psycho-socio-pédagonigologie. Alors on pourra réécrire les programmes, en donnant aux établissements assez de latitude pour les adapter à leurs élèves. Cela suppose de prendre les décisions initiales à Paris, mais de laisser les régions ou les villes les appliquer à la carte.
C’est ainsi — et ainsi seulement — que nous nous relèverons du choc Pisa, qui pour le moment n’est que l’une de ces fatalités périodiques qui passent, sans le courroucer, sur un pays malade en voie d’éclatement façon puzzle. ■
Agrégé de Lettres modernes, ancien élève de l’École normale supérieure de Saint-Cloud, Jean-Paul Brighelli est enseignant à Marseille, essayiste et spécialiste des questions d’éducation. Dernier livre paru: L’École à deux vitesses (L’Archipel, 2023).
Je suis professeur en lycée et il a malheureusement raison et notre école plonge encore et encore…..