Durant les années 1980-2000 où tous les espoirs étaient encore permis pour l’essor et la pérennité de la francophonie mondiale et où je suivais son actualité pour « Le Monde », je rencontrai dans les allées du pouvoir seulement deux hautes figures croyant vraiment en l’avenir international de notre langue et œuvrant concrètement dans ce but : l’historien Alain Decaux, notamment ministre de la Francophonie du président Mitterrand et Philippe Rossillon (1931-1997), agent secret du général de Gaulle au Canada.
De l’Algérie française au Québec libre
Aux côtés de Jean-Pierre Chevènement et du mouvement « Patrie et progrès », le jeune Rossillon (Photo à droite) avait d’abord cru possible une « françalgerie » jouant le premier rôle en Méditerranée et en Afrique, puis, ce rêve détruit, il s’était rapproché de de Gaulle et rallié pleinement à l’objectif d’un Québec indépendant sur fond de construction d’un Commonwealth francophone, le tout permettant à Paris de continuer à jouer un rôle mondial même sans son domaine colonial. Ce projet de haute envergure impliquait bien sûr que l’Europe unie conservât le français comme idiome de travail, et cela paraissait tout à fait possible jusqu’à ce que le président Pompidou eut l’idée saugrenue et mortifère de faire admettre la toujours perfide Albion à Bruxelles … L’archiduc Otto de Habsbourg, français et capétien par sa mère Zita de Bourbon-Parme, militait alors partout pour le grand projet .gaullien francophone, loin de toute anglo-américanisation.
Dans le viseur de Trudeau père
Loin des chancelleries feutrées, Rossillon, lui, mandaté par le General-Président (1958-1969), parcourait discrètement le Canada pour y réorganiser les francophones dans leur vieux projet de se gouverner enfin sans le contrôle anglais. Il fit même rencontrer des Acadiens à de Gaulle ; il stimula ou alluma partout au Canada des foyers indépendantistes jusqu’à ce que, en 1968, le Canadien-Français passé aux Anglais, Pierre-Elliot Trudeau, alors Premier ministre à Ottawa, le fît expulser du pays pour « action clandestine et subreptice » … (Photo de droite : De Gaulle à Montréal).
De Gaulle écrivit à l’agent secret démasqué : « On dit beaucoup de mal de vous. Moi, j’en pense beaucoup de bien ! ». Mais le noble grand rêve gaullien s’était fracassé et puis surtout mai 68 était là …
Notons au passage que Trudeau fils, actuel chef du gouvernement canadien , a poursuivi en pire, car soumise a Washington encore plus qu’à Londres, la politique antifrançaise et antiquébécoise de son géniteur …
Un Périgord grandiose
Rossillon se consola un peu de ses déboires en se dépensant sans compter pour l’un des hauts-lieux du Périgord, Beynac-et-Cazenac, (Photo de droite) dont il fut le maire fougueux et réalisateur de 1965 à 1984.
Notons que l’oubli et l’ingratitude dont Rossillon et son action politique sont l’objet depuis sa mort prématurée en 1997 ont été rompus cette année avec la publication d’un livre captivant sur « l’Espion du général « , cité ci-dessous ; cet ouvrage préfacé par Kleber Rossillon, un des enfants de Philippe , est dédié à deux des hommes qui soutinrent l’agent gaullien, mon confrère Jean-Louis Gouraud qui travailla notamment pour « Jeune Afrique » et l’ambassadeur Albert Salon qui fut l’un de nos très rares diplomates à placer le sort de la francophonie avant ses propres intérêts. Péroncel-Hugoz ■
Lire :
Philippe Rossillon l’inventeur de la francophonie
Par Bernard Lecherbonnier, de l’Institut catholique de Paris . Ed. Descartes et Cie / Paris / 250 pages / 2023 / 20 euros.
Longtemps correspondant du Monde dans l’aire arabe, Péroncel-Hugoz a publié plusieurs essais sur l’Islam ; il a travaillé pour l’édition et la presse francophones au Royaume chérifien. Les lecteurs de JSF ont pu lire de nombreux extraits inédits de son Journal du Maroc et ailleurs. De nombreuses autres contributions, toujours passionnantes, dans JSF.
Retrouvez les publications sous ce titre…
Très intéressant et très significatif. Je suis de ceux qui pensent (enfin… qui pensent aujourd’hui, parce qu’en 1967 j’étais un jeune con lecteur assidu d' »Aspects de la France »), je suis de ceux qui pensent, donc, qu’en 1967, après le formidable discours de juillet à Montréal, l’AF aurait dû jeter les rancunes « Algérie française » à la rivière et comprendre que le Général, c’était tout de même ce qui se faisait de mieux et de plus grand depuis l’Ancien Régime, malgré la malfaisance intrinsèque des institutions…
Si je lis bien, Philippe Rossillon l’avait compris. Mais bon, nous nous étions rangés derrière Xavier Vallat…
Nobles rêves fracassés. Article remarquable qui est au fond leur histoire d’une tristesse grandiose. Merci de nous les rappeler !
Pour une fois que je suis d’accord avec un texte de Péroncel-Hugoz, je ne vais pas me faire prier pour l’en remercier !