Que dira-t-on de moi ? Emmanuel Macron
Commentaire – C’est là un article bien écrit, intelligent, on pourrait presque dire astucieux dans son décryptage du personnage Macron, prisonnier en effet de ses obsessions – qui le caractérisent et qui l’empêchent. Ainsi son caractère est-il ici finement, savamment, décrit. Mais sans renier ces explications par le caractère, de ce qu’il faut bien nommer l’échec d’Emmanuel Macron, ne faut-il pas se demander si elles sont suffisantes ? Si elles expliquent tout ? Certes il y a aussi chez Macron ce « manque criant de science politique » que Saïd Mahrane pointe – peut-être avec quelque excès – au terme de son analyse. Mais à notre avis, on ne s’en étonnera pas, il y a plus : l’échec de la tentative gaullienne d’amender la République en créant cette Ve mouture dont Charles De Gaulle feignit d’être fier pour la mieux gouverner. Elle n’a cessé à dater de l’élection présidentielle à moitié gagnée de 1965, de voir refluer le jeu des partis et des clans, de voir s’abaisser l’autorité de l’État, disparaître cette sorte de transcendance dont son Chef devait disposer, réduire la durée de son mandat et donc accroître sa fragilité, monter le pouvoir des juges et des Conseils, grandir la puissance des organisations non gouvernementales, se faire sentir toujours plus la pression nouvelle des réseaux sociaux et, bien sûr, s’aggraver notre dépendance aux institutions internationales de tous types et à l’étranger, tout simplement. Le Régime dont Macron est l’héritier n’est donc pas le moindre des blocages qui affectent toute véritable action de quelque Chef d’Etat que ce soit. Nous avons un mauvais président, c’est entendu. Mais nous souffrons aussi d’un très mauvais régime et l’urgence serait d’en changer. Il n’est pas impossible que les circonstances à venir ne finissent pas par rendre un tel changement non plus souhaitable mais obligé. A vrai dire on a autant de mal à prévoir comment et sous quelle forme cela pourrait se produire qu’à supposer que les choses pourraient rester longtemps en l’état au train où elles vont…
La politique, c’est un métier ! Gérald Darmanin
Une chauve-souris. L’écrivain Jean d’Ormesson avait ainsi qualifié ce président qui se veut à la fois souris et oiseau. À la fois, écrit-on… « En même temps », faudrait-il préférer pour être conforme à la philosophie de cet encore jeune chef d’État (46 ans). Ces trois mots, « en même temps », sont devenus, au fil des récentes années, le plomb et l’épitaphe d’une manière de faire de la politique qu’aucun autre, à coup sûr, après Emmanuel Macron, n’osera reprendre devant le constat de son inopérance. Le chiraquisme avait la réputation d’être un immobilisme, mais à visage humain et qui savait agir par réaction et dans certaines circonstances : discours du Vel’d’Hiv, cohésion sociale, refus du racisme, non à la guerre en Irak…
Avec Macron, les événements, loin de rehausser l’homme d’État, semblent plutôt mettre en lumière d’incroyables lacunes, sans susciter, de fait, la moindre adhésion. Qui peut désormais sérieusement accréditer la thèse d’un président soucieux de faire de la France « une start-up nation » (Alain Finkielkraut), inspiré par un « néoprotestantisme » (Régis Debray) venu de Scandinavie ? Macron est indéfinissable, comme du Celluloïd. La France le devient avec lui. Tentons toutefois d’analyser ce qui le caractérise le mieux, les récurrences dans son (in)action qui interdisent bien souvent les résultats. Le « en même temps », donc. Chez lui, une première nature. Une pulsion primitive. Un réflexe inné.
Un « en même temps », négation même de la politique
Il dit une chose et une autre, comme dans cette loi immigration, un peu de droite et un peu de gauche et, à la fin, rien du tout. On y voit un contraire, une antinomie ; lui une cohérence, un complément. Coalition anti-Hamas un jour, cessez-le-feu immédiat un autre. Réduction du nucléaire un jour, relance du nucléaire un autre. Jean-Michel Blanquer à l’Éducation nationale en mai, Pap Ndiaye en juin. Cet « en même temps », qui est la négation même de la politique (une majorité et une minorité, des gagnants et des perdants, des bénéficiaires et des contributeurs…), se vérifie jusque dans la gestuelle de ce rocardien qui a voté Chevènement en 2002. « En conseil des ministres, il lui arrive de lever sa main droite, puis sa main gauche, et de mimer l’équilibre », racontait, il y a peu, un ministre. Il a recours au même geste pour signifier à son gouvernement que, pour l’instant, la société tient bon, ne craque pas en dépit des violences.
Main droite. Main gauche. Équilibre. Encore moins de trois ans à tenir. Cette démonstration supposerait, cependant, qu’il ait des mains. Or, chaque jour qui passe, depuis sa réélection en 2022 et la majorité relative issue des législatives, montre à quel point il est dépourvu de tels attributs. Il y a bien celles qui lui permettent de serrer des mains, de décorer des artistes, de déplacer lui-même le mobilier de son bureau (une manie) et de taper dans l’estomac d’un interlocuteur pour achever de le charmer, mais des mains pour faire de la politique, on ne lui en connaît plus.
Comment un « Mozart de la finance », comme une élite l’avait surnommé, pourrait-il ne pas en avoir ? Les lois de la physique et de la musique exigent une pression, un coup sur la touche noire, un coup sur la touche blanche, pour obtenir une mélodie qui fera se lever la croissance et se coucher le chômage. Or les mains qu’il a le plus souvent montrées, jusqu’ici, sont celles qui lui ont permis de signer des chèques. Des chèques-boucliers pour aider ceux dans le besoin, mais aussi des boucliers-chèques pour s’aider lui-même à passer les printemps et les automnes, saisons propices aux heurts sociaux. Là aussi, négation de la politique par le recours à de l’argent public pour, non plus seulement apaiser une fronde en cours, mais pour l’anticiper, la tuer dans l’œuf. Car après le « en même temps », la deuxième obsession de Macron est la paix civile.
La peur qui induit la paranoïa
Un affect anime la macronie, et d’abord son chef : la peur. La peur qui induit, outre de la dette, le raidissement, le tâtonnement, l’absence d’audace et, trait macronien par excellence, la paranoïa. Cette peur est née un jour de novembre 2018, lorsque des Français ont enfilé un gilet jaune pour dire non à une taxe sur l’essence. Prétexte pour dire non à une manière de parler aux gens, dédaigneuse et sûre d’elle. C’est le doigt fixé vers un horizon qui désignait le trottoir d’en face que Macron avait interpellé un visiteur de l’Élysée, lequel avait une formation d’horticulteur, pour lui expliquer qu’il lui trouverait un boulot sans difficulté. Le tout était encore de le vouloir.
À peine élu, il avait assumé volontiers qu’on le qualifiât de Jupiter. Là encore, comment lancer la foudre quand il vous manque des mains ? L’autorité a fait défaut, à mesure qu’il cherchait le bon ton face à des Français adeptes de la verticalité et que, sous ses yeux, ministres et conseillers se défiaient. Pour qui admet la fameuse théorie des deux corps du Roi, Macron a décontenancé en étant monarque un jour (celui qui traverse la cour des Invalides le pas lent, en prenant soin de ne pas buter contre un pavé, une de ses hantises, paraît-il), et familier un autre (celui qui dit « Bibi » ou « ma pomme » pour parler de lui-même).
Le temps nous a enseigné que Jupiter ne lance pas la foudre quand lui déplaît tel ou tel ministre, tel ou tel conseiller. Il ne répond plus. Il évite. Il « ghoste » même, comme nous le rapportons dans une enquête qu’il faudra lire jeudi dans Le Point pour comprendre les ressorts du problème. Une forme d’immaturité le caractérise. Pourquoi donc ce jeu et ce surjeu ? Pourquoi ce hiatus entre l’homme privé, que d’aucuns disent sympathique, et l’homme public, poitrail bombé, voix forcée, comme la poignée de main, qui feint d’être celui qu’il n’est pas ?
De ce fait, Emmanuel Macron est devenu le président de la sortie des mythes. Le mythe de la victoire, le mythe du progrès, le mythe de l’ascension sociale, le mythe de la rencontre d’un homme et d’un peuple, le mythe de la grande nation qui parle au monde. Rien ne tient plus désormais et, dès lors, le président s’accroche à l’apparat républicain et à l’héritage : le nucléaire ! Un siège au Conseil de sécurité de l’ONU ! Une voix en Europe ! Versailles ! Saint-Denis ! La Cité internationale de la langue française ! Voici d’ailleurs le grand œuvre du président (ses ministres sont invités par lui à s’y rendre avec femme, mari et enfants), après le musée d’Orsay de Giscard, la pyramide du Louvre de Mitterrand et le musée Branly de Chirac.
Tout cela semble pourtant trembler sur ses fondations et de cette sortie des mythes est né un vertige que Macron n’est plus à même d’apaiser, qu’il amplifie même par l’abondance de ses mots sonores et de son absence de mains. Oui, la France joue gros. Partant, la postérité du président aussi. « Que dira-t-on de moi ? » s’interroge parfois devant témoins le chef de l’État. Question qui recoupe la troisième obsession de Macron : Marine Le Pen ou le nom d’un voile noir qui pourrait être jeté sur ses deux mandats. L’élection de l’ancienne présidente du RN à la plus haute des fonctions obligera l’historien de la deuxième partie du XXIe siècle, celui qui cherchera le contexte de cette révolution par les urnes, à s’informer du nom de celui qui l’a précédée. Infamie pour un homme qui conserve le surmoi antiraciste des élites de sa génération. On ne compte plus les articles, alimentés par les angoisses de conseillers macronistes, sur l’hypothèse sérieuse d’une victoire lepéniste en 2027.
C’est à se demander si l’énergie politique, de l’Élysée aux ministères, n’est pas d’abord mobilisée en vue d’empêcher ce scénario. L’exercice du pouvoir « en contre » est dévastateur. Il dénature la fonction, rend agressif, pousse à la faute et perd de sa légitimité. Que faut-il penser, à cette aune, des annonces de Gabriel Attal (« choc des savoirs », interdiction de l’abaya, uniforme à l’école…), de Gérald Darmanin (immigration, dissolution d’associations, expulsions de délinquants étrangers…) ou d’Aurore Bergé (travaux d’intérêt général pour « les parents défaillants ») ? Ces démonstrations d’autorité ont-elles pour but d’améliorer le quotidien d’une société où règne, en bien des endroits, le désordre ? Ou visent-elles principalement à contrer Marine Le Pen ? L’électeur de gauche, lui, plus moral que régalien, se réjouira d’entendre les ministres Olivier Véran, Éric Dupond-Moretti ou Rima Abdul Malak rappeler la généalogie du RN et les expressions racistes du passé.
En 2018, lors d’une visite à Paris, le Premier ministre indien, Narendra Modi, avait offert à Macron un exemplaire de l’Arthashastra (« l’enseignement du profit », en sanscrit), un traité de stratégie rédigé au IVe siècle avant notre ère par Kautilya, le chef d’une région d’Inde. Dans ce traité politico-économique, il est dit que « celui qui connaît bien la science politique peut jouer à sa guise avec les rois qu’il enchaîne à son intellect ». En l’occurrence, misant tout sur l’attractivité de son intellect, l’élève Macron a péché par un manque criant de science politique. Comme le dirait son ministre Gérald Darmanin : « La politique, c’est un métier ! »
Il manque surtout d’éthique, le reste va avec. .