PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
COMMENTAIRE – Cette chronique de Mathieu Bock-Côté est parue dans Le Figaro de ce matin et il nous semble qu’elle est à classer du côté des bons jours. Même si la démocratie libérale y demeure invoquée. Car Mathieu Bock-Côté dit, comme nous, comme les juristes dont nous publions par ailleurs la tribune parue dans Marianne, qu’il faudra « envisager de redonner du pouvoir au pouvoir. » Sans trop tarder, tout même, sans envisager trop longtemps : il y a urgence. Mathieu Bock-Côté sait-il que c’est là justement, le sens du titre du beau livre de Pierre Boutang, « Reprendre le Pouvoir » ! Et plus encore : à quoi bon, en effet, redonner du pouvoir au pouvoir si ce dernier n’incarne ni la transcendance du Politique, ni la pérennité du corps social national façonné non par des votes mais par l’Histoire dans le temps long. Boutang voulait que fût refondée une idée juste et une réalité acceptable du Pouvoir. Il nous souvient que lorsque un de ses ministres, ou quelque grand commis, lui opposait le droit, quelque droit que ce fût, De Gaulle lui assénait cette formule latine plus ou moins refondue à sa sauce : Prius omnium, salus Patriae. Mathieu Bock-Côté est de ce bord-là. De Gaulle eût sans doute voulu que lui succède un Prince incarnant à travers l’espace et le temps, cette transcendance du droit suprême qu’était pour lui le salut de la patrie. Il ne l’a pas fait et nous en sommes réduits au Pouvoir des juges. Il passera lui aussi en raison de la faiblesse des principes abstraits quand l’Histoire redéploye partout les rapports de force brute. Ce n’est pas drôle ni enviable. Mais à l’évidence nous n’en sommes pas loin du tout. Exit alors l’état de droit.
Nota : Emmanuel Macron a des idées en matière de politique étrangère. Exemple : Le Monde nous a appris qu’il parie sur l’Ouzbékistan pour isoler davantage la Russie. Voir notre photo en entête et sa légende.
« L’État de droit version 2023 ne s’interdit pas les persécutions politiques. »
CHRONIQUE – Suivant une décision de la CEDH, le Conseil d’État a enjoint à la France de faire revenir un Ouzbek radicalisé qui avait été expulsé. Une énième illustration de la perversion de l’« État de droit ».
L’ubuesque histoire de l’Ouzbek soupçonné de radicalisation renvoyé dans son pays, mais que la France devra maintenant rapatrier à ses frais, parce que le Conseil d’État l’exige, nous plonge, de manière terriblement révélatrice, au cœur de ce qu’il est désormais convenu d’appeler la querelle de l’État de droit. Gérald Darmanin l’a dit et redit : il fera tout pour l’empêcher de revenir. Citons-le : « J’ai décidé de le renvoyer dans son pays (…), qu’importent les décisions des uns et des autres (…). Nous allons tout organiser pour qu’il ne puisse pas revenir. » Mais il n’est pas certain d’y parvenir, ce qui suffit à nous rappeler l’inféodation du politique au droit.
Deux autres événements relativement récents illustrent cette question. On se souvient de la querelle entourant l’accueil de l’Ocean Viking, il y a quelques mois. Dès qu’il avait touché terre, le navire avait vu ses migrants s’évaporer dans la nature, sans que personne ne soit vraiment surpris. Le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, avait alors expliqué à ceux qui s’en indignaient que « ce n’était pas un fiasco. C’est ce qu’on appelle l’État de droit. » On voulait bien le croire, mais cela ne donnait pas nécessairement une bonne réputation au fameux État de droit, joyau de la civilisation démocratique, qui légitimait ainsi le détournement du droit d’asile.
Le même Olivier Véran a fait usage du même argument, cette fois à propos du terroriste du pont de Bir-Hakeim, connu des services, et identifié comme menace terroriste. « Une attaque terroriste a retenti dans Paris. Elle a été commise par quelqu’un connu des services de police et sanitaire. Les premiers éléments préliminaires de l’enquête dont on dispose montrent que les parcours médical, administratif, pénal de cet individu sont conformes à ce qui a été prescrit et à l’État de droit. » Est-il abusif, dans de telles circonstances, de se demander si le fameux « État de droit » ne devrait pas être questionné ?
C’est encore et toujours une question de définition : de quoi parle-t-on lorsqu’on parle d’un État de droit ? Traditionnellement, on entendait un régime où l’action du pouvoir est balisée et encadrée par la Constitution, votée par le constituant, et interprétée par le juge à la lumière de l’intention primordiale du législateur. Il n’appartenait pas au juge, traditionnellement, de s’y substituer. Mais l’État de droit a « évolué ». On pourrait aussi dire qu’il s’est dénaturé – à moins qu’on n’y voie tout simplement une forme de coup d’État des cours suprêmes, ce qui n’est pas une interprétation exagérément audacieuse.
On sait de quelle manière s’est opéré ce glissement. Peu à peu, puis systématiquement, les cours suprêmes sont passées d’une lecture stricte du texte constitutionnel à son interprétation créative, en élargissant sans cesse le domaine des droits fondamentaux, leur signification et leur portée – ceux qui accordent une importance exagérée à la souveraineté populaire sont naturellement accusés de populisme. La sacralisation d’une définition extensive des droits individuels, pour peu que ces individus appartiennent aux « minorités », vide de sa substance l’idée démocratique.
La chose s’est accélérée ces dernières années : l’État de droit a été totémisé par ceux qui redoutent l’élection un jour des partis populistes. Il s’agit dès lors de verrouiller autant que possible les institutions, et de faire en sorte que même si le peuple, démocratiquement, souhaite revenir à une conception traditionnelle de la démocratie libérale, cela ne soit plus possible. Nous sommes au fait devant un système procédural autoréférentiel qui déréalise l’existence de la société en la fragmentant en une multitude de droits opposables devant lesquels le législateur doit se plier, paralysant le politique. Que le peuple français soit victime d’une délinquance conquérante, la cible d’un terrorisme islamiste sauvage, ou subisse une immigration qui le condamne à la submersion démographique, l’essentiel, toujours, est de sauver l’État de droit. Ce dernier ne s’interdit toutefois pas de basculer dans l’arbitraire envers ceux qu’il voit comme ses ennemis de l’intérieur. L’État de droit se montre ainsi implacable quand vient le temps de mater les militants « identitaires » qui dénoncent les ravages de l’immigration massive. L’État de droit version 2023 ne s’interdit pas les persécutions politiques.
Peut-être faudra-t-il se résoudre à voir dans l’« État de droit » une référence vaseuse, qui sert surtout à préserver les intérêts et privilèges d’une caste qui a confisqué la démocratie pour la soumettre à l’utopie droit-de-l’hommiste. Peut-être faudra-t-il envisager de redonner du pouvoir au pouvoir. Qu’une telle intention soit présentée comme hostile à la démocratie nous rappelle à quel point nous vivons désormais dans un univers le à la démocratie nous rappelle à quel point nous vivons désormais dans un univers où le sens des mots est inversé et même falsifié. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
Puisque les cours suprêmes ont réalisé un coup d’État qui a dénaturé l’État de droit, le bon sens et la droite raison réunis imposent de réaliser un autre coup d’État qui imposera aux cours suprêmes une lecture stricte du texte constitutionnel.
Qui en aura le courage ?
Toutes ces couillonades renforcent le vote RN, on dit que « le diable porte pierre au Royaume des cieux »
Les promesses non tenues de l’Europe n’ont pas suffi à éclairer les Français mais là le rideau se déchire!
L’« État de droit » ! MB-C a raison de mettre cet OVNI entre guillemets. Ce n’est pas une notion juridique mais un slogan, un cri de ralliement, le taïaut d’une caste d’ambitieux.
Ce n’est pas un mot de juriste. Ce n’est pas un mot de linguiste. Ces deux écoles cultivent la précision, l’évolution très prudente, la continuité, la cohérence. Ne toucher à la loi que d’une main tremblante, nous rappelle Montesquieu. Pareillement la langue. L’« État de droit » c’est une traduction foireuse de l’allemand qui ne s’inscrit dans aucune continuité de langue ou de loi. Sorti du chapeau d’un Olivier Duhamel vers 2005. Un peu comme l’écriture inclusive.
Plutôt qu’à à l’utopie droit-de-l’hommiste qui n’est pas étrangère à notre tradition, c’est le cri de ralliement à un nouveau pouvoir. Les « managers » chargés de reprendre en main une entreprise cultivent ainsi la surprise, la déconcertation, le décontenancement, les mots nouveaux. les slogans étranges ou – mieux – étrangers. On les qualifie souvent de tueurs. « tuez-les tous , Dieu reconnaîtra les siens ». Je pense à un Carlos Ghosn. La clique européiste est de cette engeance. Après d’autres, Macron soi-même, et son « ce que je crois » prétendûment « révolutionnaire », ses « refondations », ses « disruptions ». De vrais démolisseurs qui, cachés derrière une toile habilement peinte sur un échafaudage, foutent en l’air un immeuble vénérable. Tombe la toile, tombe le masque, tombe l’échafaudage des beaux discours, la maison, l’État, le Droit ont disparu !