Par Pierre Builly.
La bataille du rail de René Clément (1946).
Marmoréen.
Revue avec tendresse, La bataille du rail ne me laisse pas une impression de chef-d’œuvre, ni même de grand film, sans doute parce que l’aventure collective y efface les destins individuels et que, pour me secouer vraiment, le souffle épique – très réel – de la Résistance doit tout de même s’incarner dans des personnages, fussent-ils des paladins sans faille, des héros de légende comme le sont Luc Jardie (Paul Meurisse) et Philippe Gerbier (Lino Ventura) de L’armée des ombres de Jean-Pierre Melville.
Le genre du film de propagande héroïque n’est pas en cause : La vie est à nous, La Marseillaise commandes faites par, respectivement, le Parti communiste et la C.G.T. à Jean Renoir, exhibent fièrement leur drapeau (et leur sponsor) et je ne suis nullement choqué, bien loin de là, qu’en 1946, les cheminots aient vu leurs actions anti-allemandes exaltées dans une sorte de manuel didactique de sabotage. Soit dit en passant, ce que nous devons à tous ces inconnus, artisans de l’ombre, héros modestes, braves gens courageux, rend absolument écœurantes les actions dressées par M. Alain Lipietz et quelques associations de fanatiques étasuniens qui ont attaqué les chemins de fer français prétendument complices des déportations.
La bataille du rail est une sorte ce documentaire héroïque et exaltant qui s’achève en geste lyrique lors de la déroute des Boches. On y voit les trésors d’ingéniosité qu’il a fallu pour faire passer à des réfugiés la ligne de démarcation, livrer du courrier, des marchandises, cacher des évadés, retarder les convois, saboter les lignes et les machines et avoir, en fin de compte, une action décisive en juin 44 pour empêcher les renforts de rejoindre le front de Normandie.
Si je ne marche pas totalement, c’est parce que la note est trop haute, trop tenue, trop intense. On est dans les cimes, continuellement, dans la tension d’admiration : René Clément filme avec un peu de sécheresse un peuple qui se tend et résiste, mais il se refuse, par une sorte de pudeur, à y mettre de la chair. Caractéristique est, sur ce point, le générique, où la quasi totalité des acteurs apparaît sous le seul patronyme, sans le prénom, comme à l’Armée.
Mais pourtant, quand Clément s’accorde un peu d’émotion, il filme une des séquences les plus poignantes qui se puisse : celle de l’exécution des six victimes, prises au hasard par l’Occupant, après un nouvel attentat : en focalisant sa caméra sur le regard perdu d’un des otages, le dernier du rang, contemplant avant d’être fusillé, les dernières images du monde et de la vie, en captant un mur lépreux, une araignée à longues pattes qui s’y agrippe, un panache de fumée, Clément, sans emphase ni sensiblerie, montre en quelques minutes l’horreur de l’exécution et la grandeur du sacrifice. C’est vraiment magnifique. ■
DVD autour de 15 €
Chroniques hebdomadaires en principe publiées le dimanche.
Publié le 22.09.2019 – Actualisé le 16.12.2023