Faut-il accorder liberté d’expression et d’association à n’importe qui ? Non, sans-doute ! Mais le Pouvoir actuel aime surtout à interdire celles qui défendent la Tradition française ! Pour le reste de cette tribune le lecteur jugera.
TRIBUNE – Plusieurs avocats dénoncent les récentes dissolutions d’associations, ou projet de dissolution, annoncées par l’exécutif. Selon eux, ces décisions sont le plus souvent purement politiques et ne reposent sur aucun fondement légal.
Devant ces dérives intolérantes relevant d’une sorte de libéralisme autoritaire, qui pourra demain encore se sentir à l’abri des errements sécuritaires de Gérald Darmanin ?
En son temps, Montesquieu, pointant les dérives autoritaires de l’empereur Tibère, écrivait qu’il n’était «point de plus cruelle tyrannie que celle exercée à l’ombre des lois et sous les couleurs de la justice» (Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, 1734). Il aurait certainement été surpris de constater l’actualité de cette maxime dans la France du XXIe siècle. À moins d’un aveuglement volontaire, comment ne pas s’inquiéter face aux nombreuses mesures arbitraires prises par le ministre de l’Intérieur ces derniers mois ? Censure préventive de colloques, interdictions de rassemblements pacifiques, comme de simples hommages à Thomas tué à Crépol, dissolutions administratives d’associations… Rarement les coups de boutoir portés à nos libertés d’expression, d’association et de réunion n’ont été aussi pernicieux.
Alors qu’Academia Christiana, association s’attelant à former la jeunesse aux valeurs catholiques, est la prochaine sur la liste, nous, avocats et juristes, devons rappeler que ces mesures sont manifestement illégales, comme l’ont démontré plusieurs décisions de Justice, ou s’appuient sur des interprétations hasardeuses de la loi.
Car que reproche exactement le ministre de l’Intérieur à cette association ? Là, de promouvoir les livres du juriste Carl Schmitt, pourtant encore enseigné à l’Université, car cela constituerait la promotion d’une «idéologie antisémite». Ici, de citer Charles Maurras pour exalter «la collaboration avec l’ennemi», alors même que les ouvrages de l’académicien sont en vente libre et régulièrement réédités (et qu’Emmanuel Macron lui-même l’avait invoqué devant les députés de la majorité en 2020). Mais encore de publier des vidéos d’entraînement aux sports de combat, qui «provoqueraient à des agissements violents contre les personnes». À la lecture des arguments du ministre on ne sait si l’on doit rire ou pleurer. C’est pourtant notre édifice civilisationnel, reposant sur des libertés constitutionnellement garanties, qui vacille.
Faut-il donc interdire la lecture de tout auteur ayant de près ou de loin eu des accointances discutables au milieu du XXe siècle, tel François Mitterrand ? Faut-il éradiquer de nos bibliothèques Rousseau, Shakespeare, Dickens, et même Freud et Victor Hugo, tous ayant tenu des propos qui seraient de nos jours condamnés par les tribunaux ? Faut-il également dissoudre les clubs d’autodéfense qui se multiplient en France à mesure que nos concitoyens craignent pour leur sécurité physique ?
Au-delà de ces reproches, le gouvernement s’appuie sur une loi à l’histoire bien précise pour dissoudre ces associations : loi prise à la suite de la crise du 6 février 1934 où l’on dénombra une vingtaine de morts et plus d’un millier de blessés, dans une atmosphère faisant craindre une authentique guerre civile. Cette loi visait donc de façon restreinte les groupes de combat et milices privées. Mais ce sont les modifications récentes de cette loi, introduisant notamment la notion de haine, qui soulèvent des problèmes juridiques majeurs.
La haine est en effet un sentiment dont il n’existe aucune définition juridique possible – si ce n’est celle décidée arbitrairement par le pouvoir en place et laissée à l’interprétation quasi théologique du juge. Qui pourrait en effet sonder les reins et les cœurs pour y déceler tel ou tel sentiment ? Avons-nous oublié, comme le rappelait l’avocat et académicien François Sureau, qu’«il est des haines justes et que la République s’est fondée sur la haine des tyrans» et que «la liberté c’est être révolté, blessé, au moins surpris, par les opinions contraires» (Discours de réception de François Sureau à l’Académie française, 2022). On ne peut malheureusement que constater que la notion varie en fonction des intérêts politiques et que certaines haines apparaissent politiquement, médiatiquement, judiciairement plus détestées que d’autres.
Au-delà de ce dernier cas d’espèce, ces attaques à l’encontre d’associations jamais condamnées pénalement laissent entrevoir une fuite en avant autoritaire. L’arme de la dissolution administrative apparaît ainsi comme un moyen de sanctionner des comportements parfaitement légaux mais réprouvés par le pouvoir politique. Peut-on laisser le gouvernement s’ériger ainsi en juge d’une nouvelle morale au mépris de la séparation des pouvoirs et de la liberté d’association ?
Rappelons que cette liberté d’association, considérée par Tocqueville comme la première des libertés permettant le progrès de toutes les autres, est l’un des piliers nécessaires à toute société démocratique. Quant à la liberté d’expression, elle est le moyen le plus sûr d’assurer la quête de vérité.
Devant ces dérives intolérantes relevant d’une sorte de libéralisme autoritaire, qui pourra demain encore se sentir à l’abri des errements sécuritaires de Gérald Darmanin ? Il est temps que le gouvernement revienne à la raison et que les juristes reprennent leur rôle de sentinelles des libertés. ■
Les signataires :
Thibault Mercier, avocat à la Cour, président du Cercle Droit & Liberté.
René Boustany, avocat à la Cour, vice-président du Cercle Droit & Liberté.
Grégroire Bertrou, avocat à la Cour.
Philippe Torre, avocat à la Cour.
Damien Challamel, avocat à la Cour.
Benoît de Lapasse, avocat à la Cour.
Haine de soi ?
Cette tribune remet certes bien les pendules à l’heure, mais rappeler comme François Sureau que la république s’est fondée sur « la haine des tyrans « et qu’il y aurait donc des « haines justes », me laisse perplexe. Qui peut sérieusement prétendre, une seule minute, que Louis XVI était un tyran ou alors faut-il reprendre le sophisme du loup de la fable, « si ce n’est toi c’est donc ton frère « ?
En réalité cette haine des tyrans dont s’est bercée notre révolution vertueuse cache- si on réfléchit un peu- une haine de soi portée à incandescence : celle qu’on projette sur tout un peuple finalement pour l’éradiquer comme en Vendée, et même sur l’humanité. La révolution s’est vite entre dévorée, comme tous ceux qui se sont inspirés de son modèle au 20e siècle, et aujourd’hui la tentation de haïr son peuple peut encore s’ inscrire sur certains visages. Je pensais que François Sureau avait plus de recul.