Nous poursuivons ici notre survol barrésien des dimanches de cette année 2023, avec, pour le mois de décembre, l’annonce de la réédition du Jardin sur l’Oronte (1922), initialement publié par Plon, aujourd’hui réédité par Belle-de-Mai Éditions.
C’est l’occasion de proposer la lecture de l’article écrit par Pierre Drieu La Rochelle pour Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques le 8 décembre 1923, intitulé « L’Économie de Barrès ».
« Barrès n’était pas de Paris, mais d’une petite ville, avec la campagne derrière le prochain mur, nourrissant au creux de sa maison une passion solitaire. Pourtant les regards de ses concitoyens l’attendent au détour de l’a rue, il sait, il ne s’en privera pas.
Il était dur, il y avait en lui quelque chose de rustique, de résistant, d’incorruptible. Sous des langueurs de vieille fille macérée dans la mauvaise hygiène, il avait une santé de fer. Il a résisté à tout, aux plus vulgaires parfums, aux gestes les plus séduisants. Il était fermé à ce qui est captivant dans notre prochain ; ce qui est individuel chez les autres lui paraissait spécieux et le faisait passer vite, lui, le grand seul, volontiers ricaneur. mais plein d’une âcre fermentation aussi riche que l’amour.
Il ne s’est occupé que de soi et de la chose française. Pas de métaphysique comme les Allemands (on il la dissout finement dans son expérience ; Nietzsche se serait réjoui d’entendre dans le Jardin de Bérénice le grand fracas de Schelling et des autres, confondu dans ce murmure exquis) ; aucunement de cette infinie féerie des âmes particulières dont s’enchantent les Anglais et les Russes.
Non, Barrès se contente d’abord d’entourer une proposition juridique, antique, romaine : l’Individu et l’État ; d’une poésie décidée, parfois violente, mais toujours délicate. Il semble sortir d’une race profonde, aux instincts farouches, mais pendant. deux mille ans façonné par le génie latin.
Il a voyagé aussi comme le savaient faire autrefois les Français quand ils avaient, du surplus à jeter dehors. C’est le contraire de la manière anglaise. Nullement aristocrate, ni grand aventurier, ce bourgeois étriqué se réserve les plaisirs de l’âme les plus succulents. Il ne perd pas ses regards dans la nature comme Kipling, mais il va droit aux musées, il gratte les vieilles pierres imprégnées d’humain, de sa main, paresseux comme tout son corps, mais que mène une méthode sans cesse resserrée par la crainte modique de ne point assez utiliser son temps et son génie.
On le trouve plus loin encore ; dans son plus piquant et plus acharné retour sur soi-même ; il a médité non pas sur Dieu et ses plus riches aspects dont la tentation nous fait aisément renoncer à l’humain, mais à la mort qui est le contact le plus imnédiat. le plus banal entre le divin et l’humain, et à l’Amour où la Mort transparaît.
Par tout cela, il est bien, tour à tour provocant et circonspect, fasciné par les actions d’éclat mais les aimant dans un raccourci qui les rend presque imaginaires, plein d’une poésie faite de la meilleure éloquence, qui ne se lasse pas d’épurer ses moyens en vue de séduire de plus en plus inévitablement un auditoire peu à peu oublié — il est bien le porte-parole de la nation française, militante en religion et en politique, qui se terre chez soi quand elle n’envahit pas l’Europe, ou ne court pas le monde, qui fait des révolutions par amour de l’ordre, qui donne dans le romantisme avec toutes ses forces sûres et qui entretient sur les limites de ce monde une réflexion caustique, stoïque.
Maurice Barrès a écrit des livres, non pas des romans, il n’a pas créé de personnages, si ce n’est lui-même et la France qu’il a redressé avec Maurras et quelques autres dans un grand effort fiévreux. Ses figures de femmes ne sont que des porteuses de miroir fort humiliées.
Il a beaucoup ignoré, beaucoup dédaigné. Il a toujours fait en lui-même, autour de lui-même, promptement et rudement, la part du feu. Il a beaucoup sacrifié à l’action, à la mise en action de sa destinée, à la mobilisation des parties les plus agiles de son esprit et de son cœur.
Point de rêve, point de trouble, si ce n’est, devant la gêne inévitable, la mort.
Il a bien réalisé l’idéal français qui est de prendre la vie au sérieux, comme un bien donné qu’il faut consommer sur place, par les moyens communs, et si l’on regardé au delà, c’est terrible.
Maurice Barrès a été ainsi encore plus français que les meilleurs Français de notre temps ; à la fin on s’aperçoit qu’il s’est tenu à distance de toute chose pour les égaler tous dans la plus juste propriété et donc les dépasser : plus large qu’Anatole France, plus ferme qu’André Gide, plus prudent que Paul Claudel, plus direct que Charles Péguy, plus humain qu’Élémir Bourges. Je ne parle que des génies de son ordre.
Derrière lui, je vous présente des héritiers, Louis Aragon, Henry de Montherlant. »
Pierre DRIEU LA ROCHELLE.
Nombre de pages : 152.
Prix (frais de port inclus) : 21 €.
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