Diplômée de l’Université libre de Bruxelles et de King’s College London, Catherine van Offelen est spécialiste des questions de sécurité au Sahel et en Afrique de l’Ouest.
« Derrière cette tentation du président de se prendre pour un roi, il y a le sceau d’une honte originelle, celle de 1793. »
Le dernier film de Ridley Scott consacré à Napoléon s’est attiré un flot de critiques. Et pour cause, ce mélo impérial fait de l’empereur un personnage sinistre et médiocre. Tout sauf le digne héritier, comme l’écrivit Stendhal, de César et d’Alexandre. Si le biopic du réalisateur britannique heurte si fort la sensibilité française, c’est bien que l’astre de Napoléon, comme celui de Louis XIV, continue d’y briller. Si Lionel Jospin et quelques élites françaises rejettent l’héritage de l’empereur, le peuple continue, lui, à se souvenir que le général corse hissa un jour le destin de la France au rang de mythe. En Histoire, beaucoup de Français sont prêts à tout embrasser pour peu que la grandeur règne. On se souvient de la plaisanterie de ce paysan du XIXe qui disait: «Moi, je suis pour la République, du moment que ce soit Napoléon le roi».
«Les Français ont le goût du prince», notait le Général de Gaulle. On se souvient de la visite du roi Charles III en France en septembre dernier, au cours d’un cérémonial qui n’avait rien à envier à la plus fastueuse monarchie : sous les ors et les glaces de Versailles, les petits plats de porcelaine avaient été mis dans les grands. Le protocole républicain peut rendre grâce aux manufactures royales de lui avoir légué un mobilier si élégant ! Même au royaume de Belgique, mon pays d’origine, l’apparat n’atteint pas ce degré de magnificence. Si le roi Philippe et la reine Mathilde brillent, c’est par leur sobre discrétion. Je viens d’un royaume dont je me sens citoyenne et j’ai rejoint une république dont je me sens sujette.
La France souffrirait-elle de n’avoir pas choisi entre République et monarchie? Elle a tranché la tête du roi, mais n’a pas tranché la question. Une situation que décrivait Emmanuel Macron en 2015: « Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. » L’émotion suscitée en France par la disparition de la reine Elizabeth II témoigne de l’attachement des Français pour la monarchie. Tout le paradoxe français est là : la France est un peuple de républicains fascinés par les têtes couronnées.
Dans la saga des rois sans trône, Emmanuel Ier a succombé plus que tout autre à la tentation monarchique de la République. Par son goût de la solitude et la façon dont il éclipse les corps intermédiaires, celui qui fit broder son parti a ses initiales (EM) fait resurgir cette fonction royale, système pour lequel il n’a jamais caché son inclination. Au président normal a succédé un président vertical. Le roi d’Angleterre Charles III, héritier d’une monarchie de mille ans, fut reçu d’égal à égal par un président pourtant dépourvu de légitimité dynastique.
La Ve République ne présente pas seulement une continuité culturelle avec l’Ancien Régime comme, par exemple, à travers l’utilisation des châteaux et hôtels particuliers au profit des hauts dignitaires. La nature même du régime trahit une ambiguïté institutionnelle permanente. L’organisation pyramidale du gouvernement est telle qu’en dessous du chef de l’État, le Parlement fait figure de simple «chambre d’enregistrement» et les ministres s’expriment surtout en invoquant «les promesses du président». Même sous Louis XIV, le pouvoir était moins concentré. La France a gardé le monarque, mais a éclipsé le soleil qui éclairait le royaume.
En 1958, Charles de Gaulle a taillé au président un manteau institutionnel et constitutionnel monarchique. Mais qui pour l’enfiler ? La double charge – exécutive et symbolique – du président français exige une qualité d’être supérieure pour conduire le destin de la nation en échappant à la «folie des cimes», à l’accablement de la charge ou à la tentation de jouer les Caligula. Il doit être à la fois le prince qui guide son peuple et l’élu qui le représente, le symbole et le gérant. Bien souvent il n’arrive à être ni l’un ni l’autre. Car on ne peut mettre dans les mêmes mains le sceptre et la calculette, revêtir les mêmes épaules d’hermine et d’un complet veston. Entre le corps de la nation et le directeur de l’épicerie, il faut choisir.
Avec la Ve République, de Gaulle a créé l’illusion du messie. Le saint chrême se nomme suffrage universel. Tous les cinq ans, le peuple français se met en quête d’un homme providentiel. Chaque fois, c’est le roi qu’il adoube à nouveau. Même les soirs d’élection prennent des allures de grand-messe cathartique où l’urne accouche soudain d’un souverain. Puis, le peuple a cinq années pour déchanter et rêver à nouveau de l’échafaud.
Derrière cette tentation du président de se prendre pour un roi, il y a le sceau d’une honte originelle, celle de 1793. Car la France porte en son sein le récit d’une infamie : celle d’avoir, au nom de toutes les valeurs, déchiré le rideau, franchi le Rubicon, brisé l’ultime tabou, c’est-à-dire assassiné son roi. L’eau baptismale de la France, c’est le sang versé du souverain. En inscrivant les trois principes de liberté, d’égalité et de fraternité (qui, soit dit en passant, s’annulent les uns les autres) en lettres de sang, la révolution a construit son dogme sur la violence. De là, peut-être, les convulsions chroniques et la haine dangereuse qui structurent désormais la démocratie française.
La schizophrénie insoluble d’un pays tout à la fois monarchique et régicide s’inscrit aussi dans cette religion de l’égalitarisme. Il y a là toute l’infortune d’un pays qui ne supporte plus le faste, ce qui dépasse, ce qui surplombe, alors même que le pouvoir commande une grandeur ostentatoire. Le carrosse n’est pas là pour écraser le miséreux, mais pour montrer que le pouvoir est une affaire sérieuse. Son exercice ne peut être horizontal, ouvert et collaboratif, il repose sur cette nostalgie toute royale qui consiste en l’adhésion de tous à la splendeur d’un seul. Un président élu pour être normal a tué le caractère sacré de la fonction.
La passion française pour l’égalité ne va toutefois pas jusqu’à la simplicité ou l’humilité. À quoi sert un monarque ? «À éviter que le Premier ministre – ou la Première ministre – ne se prenne pour le roi ou la reine», répond l’Anglais. En France, la vacuité du trône a engendré un transfert du nimbe monarchique vers tous les corps intermédiaires. Une maire de Paris règne sur sa ville en petite reine et des directeurs de cabinet se prennent pour les ci-devant décrits par le duc de Saint-Simon. Puisque le roi n’est plus là, chacun se prend pour une miette de roi.
La France a perdu la grandeur mais gardé l’opulence, elle a perdu son monarque, mais pas les courtisans. Elle a conservé les ors, les lustres, les lambris, les châteaux, les fleurs de lys, les sonneurs de cornemuse, les voitures de fonction et l’organisation si aristocratique de sa société, avec ses baronnies et ses jeux de cour. Mais elle a perdu ce à quoi sert la monarchie : la transcendance du sacré, la permanence dans l’éphémère, la mémoire d’une nation pour appréhender l’avenir, le lien entre le passé et le futur, la protection du symbole de la nation des affres de la politique. Car il est une loi immuable et multiséculaire : les nations sont des fictions, elles ne survivent que grâce à l’incarnation. « Je suis national » proclamait Napoléon. Une start-up n’a pas besoin d’un roi. ■
Catherine Van offelen
« ambiguïté institutionnelle permanente »… »la double charge -exécutive et symbolique du président français… ». Voilà: ça ne marche pas! La « sobre discrétion du Roi Philippe et de la Reine Mathilde (en Belgique!) nous manque. terriblement…
» En inscrivant les trois principes de liberté, d’égalité et de fraternité (qui, soit dit en passant, s’annulent les uns les autres) en lettres de sang, la révolution a construit son dogme sur la violence. De là, peut-être, les convulsions chroniques et la haine dangereuse qui structurent désormais la démocratie française. »
Tout est dit par l’auteur de ce texte Il faut rompre ce sortilège. Comment? Peut-être seul un enfant peut , sinon le briser, du moins, nous en débarrasser, à l’image d’Apu le ,héros de » la complainte du sentier , film- de S. Ray jette à la fin dans le lac le collier que sa sœur a dérobé, ce dont les adultes qui sollicitent notre suffrage, semblent bien ont incapables de faire.
Belle analyse de la journaliste Belge, OUI à la France il maque un Roi, de nos jours ce sont ceux qui devraient servir qui se prennent pour le ROI; ex: l’ENA Ecole Nationale d ADMINISTRATION qui au lieu de fournir de bons commis de l’Etat , a servit de tremplin aux arrivistes ambitieux: ( 4 Pt de la Vème République sur 7 )