Nous poursuivons ici notre survol barrésien des dimanches de cette année 2023, avec, pour le mois de décembre, l’annonce de la réédition du Jardin sur l’Oronte (1922), initialement publié par Plon, aujourd’hui réédité par Belle-de-Mai Éditions.
Maurice Barrès fut, ne l’oublions pas, rédacteur en chef de la Cocarde de septembre 1894 à mars 1895. Dans les pages de celle-ci, note Eugen Weber dans son essai L’Action Française (Stock, 1964), on trouvait associés des compagnons aussi peu faits pour sʼentendre que René Boylesve, Charles Maurras, Frédéric Amouretti, Camille Mauclair et des syndicalistes extrémistes, tels que Augustin Hamon et Fernand Pelloutier. »
René Boylesve, membre de l’Académie française à partir de 1918, salua justement la qualité de rassembleur qu’avait Barrès dans l’hommage qu’il lui rendit après sa disparition, dans un article des Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques du 8 décembre 1923 :
BARRÈS LE MAGNANIME
J’ai connu encore, dans ma jeunesse, des « arbres de la liberté» auxquels de vieux messieurs attribuaient une valeur symbolique. Il y a de tout temps, certains hommes, écrivains, orateurs, hommes, politiques, qui, dès leur plantation sur la place publique, nous apparaissent comme revêtus d’une qualité analogue à celle de ces tilleuls : si indépendants, que nous nous sentions vis-à-vis d’eux.
Nous savons cependant que, bon gré mal gré, nous dépendons d’eux ; le dessin de leur musculature s’imposera à notre esprit, commandera des formes, sinon, des moules, à notre pensée et jusqu’à notre manière de sentir, et c’est à leur ombre que nous viendrons, à certaines heures de fièvre, demander abri et fraîcheur. Un de ces arbres vient d’être abattu prématurément. Ceux d’entre nous qui sont arrivés a la vie spirituelle vers les années 90 — d’autres aussi, qui sont plus âgés, et combien d’autres qui sont jeunes — nous nous regardons avec une stupeur triste. Notre grand symbole est couché ; l’heure est fiévreuse ; l’ombre nous manque ; la place est vide. L’esprit s’inquiète et le cœur se serre.
Mais pensons moins à nous priver de lui qu’à lui-même tel qu’il fut.
On lui adresse le reproche assez singulier de manquer de principes et de doctrine. Mais les principes et les doctrines, c’est lui, et dès les débuts, qui en a inauguré la recherche passionnée ; n’est-ce pas lui qui, au sortir d’une période de scepticisme, aussi brillante qu’insuffisante, a créé, de toute sa géniale clairvoyance, la nécessité de trouver des points d’appui inébranlables ? En eût-on tant cherché, sans l’appel de cette voix déchirante dont les accents irrésistibles sont entendus si rarement dans le ciel du monde intellectuel ? S’il fut gêné dans la découverte ou dans l’adoption de règles strictes et de bases transcendantes, la cause en est attribuable à l’excessive richesse de ses dons : en lui, la sensibilité égalait l’intelligence, ce qui n’est pas peu dire, et il atteignait constamment, à l’aide de ces deux ailes parfaitement conjuguées dans son vol, des régions d’une impressionnante altitude et où ne s’élaborent pas précisément les règles de vie les plus pratiques. Mais. montant plus haut, il agissait plus loin ; il conquérait un plus grand nombre : il put ainsi réunir, dans une admiration efficace et certainement très saine, des multitudes aux tendances les plus diverses, et que la meilleure loi, élaborée par la sèche raison, eût laissées indifférentes ou hostiles. D’un homme qui fut essentiellement le Maître des régions élevées, faut-il s’étonner ou s’indigner que l’enseignement n’ait pas toujours eu la pureté cristalline de la voix qui parle sur notre plan et à nos oreilles ?
Toutes réserves faites sur l’esprit comme sur la lettre de cette œuvre dont la. pesée aura été si forte sur son temps, je croirais volontiers qu’elle comptera comme une des plus complètes d’un siècle qui commence à la Restauration et se termine à la Grande Guerre, et cela, non peut-être à cause de l’authenticité d’un chef-d’œuvre accompli. mais à cause de ce cours parallèle et constant de l’intelligence et de la sensibilité, qui irrigue jusqu’aux moindres parcelles des terres barrésiennes. Barrès offre à lui seul le mélange que l’on voit aux époques, mais rarement aux individus.
Il est impossible de toucher par l’analyse à cette œuvre en un si court espace et en si peu de temps. Aussitôt qu’on pense à Barrés, on se sent entraîné dans cent direction, il faut essayer de dire en deux mots l’essentiel. À mon avis, le politique et le littéraire. en lui, se confondent comme le classique et le romantique. Qu’il poursuive de ses verges cinglantes un prévaricateur ou qu’il échafaude avec ses subtilités une de ses « idéologies passionnées » qu’il s’évertue avec une surhumaine patience à prolonger les courages, ou qu’il verse le plus innocemment du monde des larmes païennes, jaillies de sa nature profonde, sur les misères du génie chrétien où sa raison lui montre le salut, il n’a jamais qu’une même préoccupation : tirer les hommes du bourbier, les élever vers quelque chose de plus noble et de plus pur : spiritualiser, ennoblir. Préoccupation qui n’appartient pas qu’à lui seul. Mais ce qui n’est qu’à lui, c’est qu’étant artiste, et grand artiste, il a lié son art, sans l’amoindrir, à la plus haute idée morale.
L’un des premiers mots que j’aie entendus de sa bouche — et que je n’ai guère entendu d’une autre — est « magnanimité». Ceux qui l’ont eonlu. se souviennent du grave accent d’airain. qu’il savait donner à un vocable sublime. Cet homme m’a fait trembler en dînant, plus qu’aucun prédicateur en chaire. C’est que, précisément, il ne prêchait pas ; c’est que, tout près du mot où il insérait avec une si jolie et si naturelle conviction l’idée de la grandeur et du sacrifice, il savait rendre acceptable le charmant sourire d’une gaminnerie conservée toute fraîche. D’une main de virtuose, il parcourait toute la gamme des sentiments mais pour vous laisser charmés sur celui dont en se sent grandi.
S’en est-il allé attristé, en songeant qu’en un temps où un tel rôle est si opportun il le jouait en vain ? Alors, pleurons doublement ce grand homme !
René BOYLESVE, de l’Académie Française.
Nombre de pages : 108.
Prix (frais de port inclus) : 20 €.
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plusieurs manifestations à la mémoire de Maurice barrès sont organisées à Charmes, ville natale de Maurice Barrès, l’initiatives à l’initiative de Jordan Cruciani, élu de cette ville et délégué régional du Carrefour des Acteurs Sociaux