PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
COMMENTAIRE – Cette chronique de Mathieu Bock-Côté est parue dans Le Figaro d’hier matin (30.12) et il nous paraît qu’elle est à classer, elle aussi, du côté des bons jours. Patrick Buisson était des nôtres, même, et peut-être surtout, s’il avait osé lancer ses filets vers d’autres eaux que celles de nos cercles restreints. Du côté du pouvoir et au plus haut niveau. Au sens maurrassien, il a, comme Maurras ne l’a jamais cessé, tenté « le coup ». Le coup salvateur. Sarkozy n’était pas de taille, politique et humaine, à assumer la politique dont Buisson rêvait. Mathieu Bock-Côté sait fort bien de quoi était faite la pensée et la volonté de Patrick Buisson. Son analyse est fine, ses références sont justes, ses remarques propres sont judicieuses. Patrick Buisson ne sous-estimait pas l’ampleur de la décadence qui atteint ce qu’on appelait, à juste titre, jadis, l’Occident. Fût-ce au prix de rudes batailles, d’abord sur lui-même, fût-ce par un retour à ce que Pierre Boutang appelait « un nouvel âge des héros », il ne le donnait pas pour perdu. Il apercevait l’épuisement du grand cycle révolutionnaire et décadent des trois ou quatre derniers siècles et il y trouvait des signes et des raisons d’espérance. Pour résister à la décadence, il nous faut croire qu’il avait raison. L’Histoire, ensuite, tranchera. Il est toujours hasardeux et, en tout cas, déshonorant de miser sur la défaite !
« S’il était à sa manière monarchiste, c’était moins par coquetterie réactionnaire que parce qu’il pensait qu’une autorité verticale est constitutive de la constitution mentale d’un peuple. Sans quoi il est condamné à l’aplatissement historique. «
CHRONIQUE – Patrick Buisson le savait, l’homme n’est que de passage sur terre, et lui s’était donné pour mission, pendant son bref séjour en ce monde, de renouer le fil de la transmission française.
La mesquinerie de la presse de gauche au moment de la mort de Patrick Buisson n’aura surpris que ceux qui n’ont pas encore compris qu’elle carbure à la haine idéologique : l’homme fut présenté de la plus vile manière pour qu’on en garde le plus mauvais souvenir, en s’assurant que, jusqu’à la tombe, on l’associe à « l’extrême droite », dont il n’aurait seulement été qu’un militant plus doué que les autres.
Patrick Buisson lui faisait peur : on lui prêtait le pouvoir d’hypnotiser les puissants et de libérer les plus basses passions des masses, à la manière d’un théoricien méphistophélique. Deux commissaires politiques qui avaient voulu l’exécuter médiatiquement n’avaient-elles pas intitulé leur ouvrage Le Mauvais Génie ? La gauche idéologique ne s’imagine pas d’adversaires légitimes, seulement des ennemis à éradiquer. Et cela, Patrick Buisson le savait : il ne se faisait aucune illusion à son endroit. La référence fondatrice de la gauche n’est pas 1789, mais 1793 – il n’est pas certain qu’il aurait dissocié les deux dates.
Si j’ai pris la peine de rappeler cela, alors que je tiens surtout à rendre hommage à Patrick Buisson, c’est qu’il est nécessaire de démonter sa légende médiatique et de s’affranchir du fantasme qui le précédait pour retrouver l’authentique penseur qu’il était – on pourrait parler d’un penseur intégral, dans la mesure où il fut tout à la fois historien, philosophe, politologue, éditorialiste, journaliste et conseiller politique, chacun de ces engagements renvoyant aux autres, et à la vision du monde qu’il élaborait et explorait tout à la fois.
Conseiller du prince
Patrick Buisson était étranger au contractualisme moderne, il ne voyait pas la société comme une série d’atomes autodéterminés, mais dans la longue durée, et croyait qu’on ne pouvait, en excellent lecteur de Philippe Ariès qu’il était, qu’on ne peut comprendre un peuple qu’en explorant sa mentalité, et les différentes couches de sens à travers lesquelles elle s’était sédimentée pour former une culture. Patrick Buisson était à sa manière un héritier de l’école des Annales, sans toutefois partager son dédain pour le politique.
Car Buisson était aussi, et peut-être d’abord, un disciple de Raoul Girardet, à qui nous devons la redécouverte de l’étude des mythes politiques, en lesquels il voyait tout le contraire d’une matière inerte. Buisson croyait les mythes agissants, car il voyait l’homme non seulement comme un animal politique, mais comme un animal symbolique, cherchant toujours dans la cité une transcendance que la modernité tend à vouloir neutraliser. Surtout, il croyait possible d’agir sur les hommes en activant les mythes, en libérant les énergies qu’ils contiennent.
C’est seulement en ayant cela à l’esprit qu’on comprendra son rapport aux sondages. Il ne s’agissait pas pour lui d’explorer la surface de l’opinion, et les humeurs changeantes des masses, mais d’explorer les structures profondes de l’imaginaire des peuples, et leurs attentes informulées, car souvent informulables dans les paramètres de la modernité progressiste. Le politique avait dès lors la mission de traduire ces aspirations, dans une perspective étrangère à la rationalité technocratique. Buisson pouvait alors se faire conseiller du prince et vrai stratège.
Une nouvelle chute métaphysique
C’est dans La Cause du peuple qu’il a exprimé sa philosophie politique. Car Buisson croyait l’homme moderne fondamentalement carencé, arraché aux structures profondes qui lui permettraient traditionnellement d’accéder à la plénitude de l’existence terrestre. Il n’était pas sans raison fasciné par Gustave Thibon. S’il était à sa manière monarchiste, c’était moins par coquetterie réactionnaire que parce qu’il pensait qu’une autorité verticale est constitutive de la constitution mentale d’un peuple. Sans quoi il est condamné à l’aplatissement historique. N’était-ce pas aussi la conviction du général de Gaulle ?
Dans ses derniers livres, il s’est voulu l’historien de la décadence de l’Occident, qu’il assimilait presque à une nouvelle chute métaphysique. Buisson racontait le déracinement d’une civilisation s’étant rendue coupable d’interruption volontaire de transmission culturelle par névrose hédoniste. Il n’était toutefois pas loin de croire qu’une minorité créatrice, en rupture avec l’hubris moderne, portait en elle les éléments d’une prochaine renaissance, pour peu qu’elle s’affranchisse des abstractions désincarnantes.
Le temps ne lui a pas été accordé d’aller au bout de son œuvre, mais à qui ce temps est-il vraiment accordé ? Buisson le savait, l’homme n’est que de passage sur terre, et lui s’était donné pour mission, pendant son bref séjour en ce monde, de renouer le fil de la transmission française. Fidèle jusqu’au bout à sa vision, à ses convictions intimes, il est en droit, où qu’il se trouve aujourd’hui, de se dire mission accomplie. D’autres prendront la suite. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
Patrick Buisson, un conseiller politique cultivé s’il en fût, ce qui est bien rare de nos jours. Cependant il est permis de douter qu’il fût un lecteur de Philippe Ariès sinon il aurait pu faire le constat non d’une décadence mais d’une évolution des mentalités depuis la Libération. La déchristianisation du pays plus que cinquantenaire produit des effets sociaux plus que négatif mais il n’est pas dans le rôle du Politique de renverser la tendance mais plutôt de tenter d’en corriger de ses effets les plus négatifs.
Le plus important pour un Politique c’est la souveraineté nationale dont le peuple a été dépossédé depuis le 29 mai 2005 ce qui rend illégitime tout ce qui a été fait depuis.
En lisant « la cause du peuple » je jubilais de découvrir un exercice pratique et fascinant d’empirisme organisateur.
Connaissant un peu mieux que beaucoup les rouages internes de notre État je lisais à livre ouvert dans les récits, les orientations, les révélations, même les anecdotes toutes les déceptions et aussi les souffrances que Buisson avait dû essuyer. Il a cru – pouvait-on lui donner vraiment tort – que Sarkozy pouvait être du bois qu’il nous faudrait. Et de fait, lorsque le candidat a dit qu’il voulait avant tout démolir l’héritage de Mai 68, nous avons pu croire qu’il y avait une possibilité à nos portes.
Sans doute Buisson s’est-il trompé, ou plutôt a été déçu par un homme dynamique, énergique mais sans véritable structure : simplement doté de bons réflexes, mais trop contraint par mille choses de se soumettre à la doua et à ses femmes. Au moins a-t-il tenté ; nous qui avons les mains propres mais n’avons pas de mains, comment lui reprocher d’avoir tenté le coup ?
Et pour le reste, bien sûr qu’il a lu Ariès et bien d’autres, beaucoup plus que vous et moi aurions pu lire et – surtout – comprendre. « La fin d’un monde » et « La décadanse » formaient un d’optique d’exploration chirurgical, d’une complexité et d’un intérêt exceptionnels.
Restait à paraître un troisième tome : celui de l’Espérance. Buisson a dû jeter quelques pages, mais la faucheuse l’a cueilli avant.
Nous perdons quelqu’un de très grand.
L’Action Française a tout de même fait ou contribué à faire Patrick Buisson, et bien d’autres. Il devait le savoir puisque ces dernières années il y était venu plusieurs fois.
Pour le reste, d’accord avec Pierre Builly sur la question Sarko. Et je pense que puisque ce dernier le sollicitait, il devait tenter. Y aller.
Bien vu Mathieu mais je rajouterai en bon catholique qu’il était que pour lui la verticalité du pouvoir était reliée à la Transcendance.