Selon Iris Brey, le cinéma est un des endroits où se fabrique la « culture du viol »
Par Jean-Paul Brighelli.
Cet article est paru dans Causeur le 10 janvier. Nous en retenons la critique truculente et juste du wokisme, la défense des Arts dits classiques, dans toutes leur variété. Pour le reste, nous lui laissons la responsabilité de ses goûts et préférences pour tels ou tels aspects, telles ou telles œuvres particulières citées. Parmi nos maîtres (à des degrés divers), les goûts et parfois les jugements pouvaient être très différents, de Maurras à Daudet, Massis, Thibon, Boutang ou Bernanos… Le lecteur commentera cet article s’il le souhaite. Le débat est bienvenu.
Pour Jean-Paul Brighelli, le wokisme est source de satisfactions journalières. Au moment où l’on croit qu’il ne peut pas se dépasser dans l’absurdité, l’inculture et, en un mot, le fascisme, il pulvérise sans cesse ses limites. Dernier avatar en date, la « culture du viol » transmise par le cinéma. Et les autres arts alors, ils comptent pour des prunes ?
» Le Monde (qui n’en finit plus de glisser sur la pente vaselinée du Grand N’importe Quoi) »…
Qui connaît Iris Brey ? Elle est, dit Le Monde1 (qui n’en finit plus de glisser sur la pente vaselinée du Grand N’importe Quoi) « autrice, critique et réalisatrice » : quand on porte ainsi plusieurs casquettes, c’est qu’on n’en mérite pas une. En fait de réalisatrice, cette aimable personne est une journaliste spécialisée dans la représentation du sexe au cinéma : elle sera d’ici peu maître de conférence dans une fac marginale, où elle occupera une chaire que d’autres auraient mieux méritée. En tout cas, elle est experte en glissements progressifs de l’insinuation. Après avoir évoqué Harvey Weinstein, puis Ronan Farrow (l’homme qui aime tellement sa mère qu’il prête à son ex-beau-père, Woody Allen, des comportements sur lesquels le FBI a enquêté par deux fois en vain), et enfin « l’ogre » Depardieu, qui incarnait, paraît-il, « une figure paternelle aimée », elle arrive au cœur de son sujet : le cinéma — tout le cinéma — est un acteur majeur de la « culture du viol ».
Dénonciation obligatoire
« Le cinéma est l’un des endroits où se fabrique la culture du viol et de l’inceste, parce qu’il dépeint majoritairement les agressions sexuelles du point de vue de l’agresseur comme un jeu, ou comme un moment érotique », dit-elle. Et de citer bien sûr Les Valseuses, où pourtant ni Miou-Miou ni Isabelle Huppert ni Brigitte Fossey ne boudent leur plaisir. Mais justement, c’est cela, le « male gaze », le « regard masculin ». Une femme ne filmerait pas de telles scènes de cette façon. Ou peut-être que si, les femmes étant leurs pires ennemies. Rappelez-vous La Leçon de piano de Jeanne Campion, Palme d’or à Cannes en 1993 (et palme aussi pour l’héroïne, interprétée par Holly Hunter). Les féministes professionnelles y perdent leur latin, parce que la réalisatrice est infiniment talentueuse, et ne se laisse pas enfermer dans la dénonciation obligatoire du viol.
C’est que des scènes de viol, au cinéma, il y en a quelques-unes. On se souvient, dans le Dernier tango à Paris, de cette extraordinaire publicité pour le beurre sans sel. Mais la plus féministe a, bien sûr, été filmée par un homme — Sam Peckinpah dans Croix de fer, où la violée (russe) coupe le sexe du violeur (allemand) d’un coup de dents.
Mais pourquoi s’arrêter au cinéma ? Les Liaisons dangereuses comportent une scène décisive entre Valmont et la toute jeune (circonstance aggravante, me dirent mes élèves — mais elles appartenaient déjà à cette génération qui a laissé l’intelligence au vestiaire) Cécile de Volanges. Quant à La Marquise d’O, de Heinrich von Kleist (1808 — le film qu’en a tiré Eric Rohmer en 1976 était une petite merveille, dans son traitement même de la scène du viol), le récit entier tourne sur l’enfant issu de ce viol, dont la mère cherche à retrouver l’auteur.
Ce n’est pas en montrant des viols qu’on incite au passage à l’acte
Il y a même des œuvres où le violeur tue la violée pour qu’elle ne parle pas — voir Maupassant et La Petite Roque. Et on fait lire ça à des enfants ?
Pourquoi s’arrêter là ? Le Bernin, le fabuleux sculpteur italien du début du XVIIe, a réalisé L’Enlèvement de Perséphone, où la belle n’est manifestement pas d’accord : suggérons à la Galerie Borghese, à Rome, de la déplacer dans les réserves — ou de la détruire à coups de masse. D’ailleurs, des enlèvements de belles personnes par des dieux concupiscents, la mythologie en est remplie — à commencer par Europe : oui, celle qui a donné son nom à notre continent se fit enlever sauvagement par un dieu déguisé en taureau. Une métaphore, sans doute… Chez Rubens, elle semble protester. Mais dans la version de Jordaens (1643), elle a l’air d’aimer ça, la gueuse ! Elle attend avec impatience, entourée de jolies femmes fessues et fort dénudées. Ils attendent quoi, au musée des Beaux-Arts de Lille, pour déposer la toile dans les combles ?
Bien sûr, toute la culture joue à frôler l’indicible. C’est même ce qui la constitue en tant que culture, et ce qui la distingue des pseudo-civilisations acculturées qui s’indignent dès qu’on leur montre des femmes nues — voir l’analyse d’Elisabeth Levy sur cette stupidissime affaire du collège Jacques-Cartier d’Issou. Ce n’est pas en montrant des viols que l’on incite à passer à l’acte, c’est en interdisant toute représentation : que je sache, à Hambourg ou Cologne pour la Saint-Sylvestre 2015-2016, les 2000 hommes qui ont agressé près de 1200 femmes n’étaient pas des Allemands gavés de bière, de choucroute et de films cochons. Mais le wokisme se nourrit d’indignations et d’incitations à l’interdiction. Il est la résurgence contemporaine des autodafés nazis et autres bûchers des vanités. Espérons que d’ici peu ces nouveaux gauleiters finiront comme Savonarole. ■
Agrégé de Lettres modernes, ancien élève de l’École normale supérieure de Saint-Cloud, Jean-Paul Brighelli est enseignant à Marseille, essayiste et spécialiste des questions d’éducation. Il est notamment l’auteur de La fabrique du crétin (éd. Jean-Claude Gawsewitch, 2005).
Ce qui est terrible pour les gens de ma génération – 21 ans en 1968 – c’est le retour de la pruderie victorienne ! Alors que nous pensions avoir dépassé cette haine du corps et de la nudité qui avait empuanti les 150 ans précédents (de la Révolution à la fin de ces années 60, précisément), voilà que – »proh pudor », les plages recouvrent les seins et même le Burkina s’invite !
Sous la reine Victoria, les pieds des pianos étaient couverts ; car pieds fait penser à chevilles, qui fait penser à jambes, qui fait penser à cuisses, qui fait penser à… Où était la « joyeuse Angleterre », celle de la « MLoll Flanders » de Fielding ?
Où était la joyeuse impudeur du Moyen-Âge où les étuves étaient mixtes ? Et le goût du plaisir d’Henri IV et du jeune Louis XIV ? Où étaient les délices voluptueux de la Régence et les « biches » de Louis XV ?
La beauté des femmes est une des (nombreuses) preuves de l’existence de Dieu.