Par Pierre Builly.
Adorables créatures de Christian-Jaque (1952).
Polisson et charmant.
Ce délicieux petit film de Christian-Jaque ne pourrait évidemment plus être tourné aujourd’hui. Osez le féminisme, Les chiennes de garde, les Femen assiégeraient les cinémas où il serait présenté si jamais il avait pu être distribué, la pieuse dépendance au politiquement correct faisant partie des terrorismes les plus totalitaires qui se puissent.
Car Adorables créatures est d’une gracieuse misogynie. Mais qu’on ne s’y méprenne pas : Christian-Jaque est dans la veine de Sacha Guitry, narquois amoureux de la plus belle partie de l’Humanité… les femmes, je suis contre ; tout contre. Les femmes sont représentées dans la caricature la plus habituelle qui soit : bavardes, dépensières, cancanières, profiteuses, superficielles, coquettes, intéressées, irresponsables, monstres de duplicité… et absolument charmantes. Ce n’est naturellement pas dans la note de nos jours graves et sérieux.
Je conçois fort bien qu’à sa sortie, en 1952, Adorables créatures ait fait un très joli scandale, et cela pas simplement parce que la charmante anatomie de Martine Carol y est dévoilée avec une certaine complaisance par son mari de l’époque. Mais tout le film, qu’on peut ranger facilement dans la catégorie des films à sketches présente toute une kyrielle de situations et de rencontres polissonnes et spirituelles. Les créatures du titre trompent avec grâce leurs maris, se font acheter par de riches commanditaires, s’offrent des gigolos et même les jeunes filles se jettent sans pudeur au cou de l’homme qu’elles veulent séduire.
C’est sans doute une tradition galante du cinéma français, un de ces éclairages qui nous font regarder avec – au choix – réprobation, indignation, admiration par le monde entier, ce goût, bien évanoui de nos jours de la bagatelle légère, des amours joyeuses, des plaisirs gratuits. Rien à voir avec les pesants travaux sur l’égalité des sexes dont les gouvernements, plus préoccupés par cela que par la situation économique ou la sécurité du pays nous abreuvent. Passons.
C’est donc le récit de quelques mois ou de quelques années de la vie d’un jeune homme, André (Daniel Gélin) qui parcourt avec une certaine désinvolture toute la palette des relations amoureuses, de la femme mariée Christiane (Danielle Darrieux) dont il est la distraction, à la riche veuve Denise (Edwige Feuillère) très engagée dans les œuvres charitables, qui aime les peaux jeunes (on dirait maintenant une cougar) en passant par Minouche (Martine Carol) gourgandine vénale, et en terminant par Catherine (Antonella Lualdi) très jeune fille délurée qu’André finit par épouser.
C’est très amusant, plein de mots rosses et vachards écrits par Charles Spaak, du type, pour la dame d’un certain âge qui se regarde dans le miroir, la voix off de Claude Dauphin : Une femme encore très belle, ce n’est pas la même chose qu’une femme très belle ou de la même, qui ne demande, au restaurant, qu’une cuillère de caviar et à qui on prête un appétit d’oiseau, répondant C’est pourquoi je comprends si bien les pauvres : comme eux, je ne mange pas.
Et puis il y a quelques audaces bien venues : la patronne (Giovanna Galetti) d’André/Gélin, qui est publicitaire, fume le cigare et ne fait pas mystère de sa sexualité lance en le regardant Quel dommage que ce ne soit pas une femme ! et Alice (Renée Faure) joue un rôle de voleuse à l’échine dure, bien mieux faite pour cela que pour interpréter les amoureuses (Clélia Conti, dans La chartreuse de Parme), assez semblable, en deuxième couteau acéré à ce qu’elle tournera beaucoup ensuite (Le sang à la tête, Le président).
Petit reproche : Gélin, qui avait 32 ans à l’époque ne fait donc pas trop les 23 ans qu’on lui prête et Antonella Lualdi, qui avait 22 ans, ne semble pas en avoir 16. Mais ce sont reproches véniels pour un très joli film, doté, en plus d’une musique charmante de Georges van Parys. ■
DVD autour de 15€.
Chroniques hebdomadaires en principe publiées le dimanche.