PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
COMMENTAIRE – Cette chronique de Mathieu Bock-Côté est parue dans Le Figaro du 12 janvier. Mathieu Bock-Côté y disserte de l’avenir des partis.. Et notamment celui des Républicains en qui l’on s’est tant obstiné, contre l’apparence, à espérer qu’ils redresseraient cette France qu’ils avaient eux-mêmes contribué à engager dans la voie du déclin. Mais le peuple échappe aux partis et le fossé est devenu béance entre les deux catégories distinguées jadis par la dialectique maurrassienne et aujourd’hui présente dans tous les esprits : le divorce est consommé entre Pays Réel et Pays Légal, sous la forme dégradée que, d’ailleurs, l’un et l’autre ont prise. Comment en sortir ? « De l’alternance entre deux partis de gouvernement se reconnaissant mutuellement comme légitimes, écrit Bock-Côté, on bascule vers un scénario qui est plutôt celui de la grande alternative, où une classe politique nouvelle, animée par un paradigme fondamentalement différent, s’imposerait, en dégageant la précédente. ». Deux questions, peut-être sont à se poser : 1. En quoi consistera le « paradigme fondamentalement différent » de « la grande alternance » ? S’agira-t-il seulement de continuer à « alterner » comme il est si bien dit ici ? Et si oui, à quoi bon ? 2. Les évolutions intérieures et extérieures de la France et du monde, la conjoncture explosive dans de nombreux domaines (submersion migratoire, crise économique et financière, déséquilibres démographiques mondiaux, tensions internationales de forte intensité, conflits engagés ou à venir) permettront-elles que survivent en toutes situations et circonstances le jeu habituel des alternances – plus ou moins factices, plus ou moins réelles ou radicales, mais toujours des alternances sans aucune limite, principe ou institution transcendante. Il peut arriver que les circonstances se chargent de régler la question, si théorique soit-elle à l’origine.
« Pour la première fois depuis les origines de la Ve République se pose la question du régime ».
CHRONIQUE – S’il est difficile de comprendre les ressorts idéologiques du remaniement, la nouvelle équipe gouvernementale montre que le parti d’Emmanuel Macron est porté avant tout par un réflexe de survie, analyse Mathieu Bock-Côté.
Plusieurs confessent leur perplexité lorsque vient le temps d’expliquer les changements de cap politique successifs d’Emmanuel Macron. Comment le même président peut-il avoir nommé Jean-Michel Blanquer à l’Éducation nationale avant de le remplacer par Pap Ndiaye, délogé ensuite par un Gabriel Attal faisant tout le contraire de son prédécesseur, gagnant ainsi une popularité lui permettant de devenir un premier ministre symbolisant la droitisation du quinquennat, quand vint le temps de congédier Élisabeth Borne, figure du socialisme technocratique ? Comment peut-il avoir nommé Rachida Dati à la culture alors qu’y régnait encore avant-hier Rima Abdul Malak ?
Y a-t-il une rationalité idéologique invisible ou secrète qui commande de telles nominations ? Ou s’agit-il simplement de nominations cyniques et même arbitraires pour répondre aux humeurs de la population et aux évolutions de la conjoncture politique ? C’est une autre hypothèse qu’il faut mobiliser pour comprendre la stratégie d’Emmanuel Macron, qui se présente ici plus que jamais comme le président de l’autoproclamé bloc central, qui croit se confondre avec la seule France légitime. Il est porté par une conviction inconditionnelle qui structure toutes les autres : la construction de l’UE, censée aboutir, tôt ou tard, à l’officialisation d’une souveraineté européenne. De cette boussole idéologique, Emmanuel Macron n’a jamais dévié.
Mais, plus encore, ce bloc central est porté par un réflexe de survie, car pour la première fois depuis les origines de la Ve République se pose la question du régime, et plus encore, du possible remplacement d’une classe politique par une autre. De l’alternance entre deux partis de gouvernement se reconnaissant mutuellement comme légitimes, on bascule vers un scénario qui est plutôt celui de la grande alternative, où une classe politique nouvelle, animée par un paradigme fondamentalement différent, s’imposerait, en dégageant la précédente.
On pourrait pour une fois vraiment parler du vieux monde et du nouveau monde. Ceux qui viennent du premier, et qui se savent condamnés aux marges si le second s’impose, ont vu dans le macronisme une bouée de sauvetage politique et sociologique. Les « vieux partis » s’opposaient mais parlaient le même langage. Ils se sont rejoints ensuite devant la menace populiste, en composant une coalition nouvelle, parvenant, avec la complicité du système médiatique, à se présenter comme une force de renouveau démocratique – et même comme une force de salut démocratique contre l’« extrême droite ». C’était l’émergence de l’extrême centre : ceux qui l’animent et ceux qui le rejoignent sont prêts à tout pour maintenir l’hégémonie du bloc central, même s’ils savent ses assises sociologiques en régression. Désormais, ils fusionnent.
Abandonnés du vieux monde
Les fractures profondes du corps social finissent toujours par se traduire politiquement. La macronie, de ce point de vue, apparaîtra à l’échelle de l’histoire davantage comme une sociologie que comme une idéologie, ou comme le dernier sursaut d’un système cherchant à tout prix à se maintenir alors qu’il est débordé. Ces fractures dépassent une élite déstabilisée, enfermée dans un système de pensée paralysant, dont elle ne peut ni ne veut s’extraire. Pour se maintenir, le bloc central peut frapper indistinctement à gauche ou à droite : il s’agit de conserver le pouvoir.
On notera que ce système est toutefois capable de produire suffisamment de jeunes figures pour en convaincre plusieurs de sa capacité de renouvellement. Il n’est pas interdit de penser qu’il y parvienne, la politique ne se réduisant pas à une série de mouvements mécaniques. On pourrait même voir son « virage à droite » comme le réflexe de survie d’un système capable d’intégrer une dose significative de la doctrine qui le contredit pour se redynamiser. Peut-il réussir ?
Une question demeure : que feront les abandonnés du vieux monde qui s’en désolidarisent mais qui ne veulent pas embrasser la classe politique populiste émergente, soit par une réserve idéologique sincère ou surjouée, soit parce qu’ils craignent de se faire annexer puis avaler. Je parle évidemment ici des Républicains « idéologiques », de la frange national-conservatrice de ce parti, qui pourrait rejoindre le bloc national en émergence, en y amenant un capital précieux, sa culture de gouvernement.
Mais, encore une fois, ce que veut la logique n’est pas nécessairement voulu par la politique. Les LR espéraient encore hier récupérer l’aile droite du macronisme, les déçus du zemmourisme et se poser comme pôle central d’une proposition nouvelle qui permette de rompre avec l’idéologie dominante sans sortir du système qui en a accouché. Cette proposition semble aujourd’hui un peu moins crédible. Ils risquent alors de disparaître dans les failles de l’histoire, à la manière d’une force trop attachée au souvenir de son ancienne puissance, et périssant par nostalgie. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
Bonnes, très bonnes questions posées par Gérard Pol…
Il faut se les poser !
1) En quoi consisterait le « paradigme fondamentalement différent » ? Oui nous maurrassiens sommes curieux sur cette question. Très curieux.
2) Les « circonstances » ne vont-elles pas remettre en cause le principe de l’alternance démocratique ? Une question que Pierre Debray avait commencé d’ébaucher dans JSF vers 1984. Indirectement Gérard nous pousse à revenir à ce maitre venu à Maurras par Pierre Boutang. Depuis elle nous taraude.