Avec Michel Maffesoli et Stéphane Courtois – Atlantico – Entretien.
Cet entretien très riche est paru hier 19 janvier. Nous le livrons sans commentaires aux lecteurs de JSF qui s’en chargeront très bien eux-mêmes, s’il y a lieu.
« La sécularisation extrême de la société moderne n’est-elle pas la cause principale de la grande peur devant l’Islam dès lors que la République n’a à proposer qu’un « laÏcisme » sans émotion, sans images, sans odeur et sans saveur à une jeunesse en quête de sacré ? »
Au lendemain de la conférence d’Emmanuel Macron, Libération a titré “Vieille France” en Une, d’autres y ont vu un tournant conservateur voire réactionnaire. Dans une autre affaire, la gauche en a également profité pour tirer à boulets rouges sur l’établissement Stanislas.
Atlantico : Au lendemain de la conférence d’Emmanuel Macron, Libération a titré « Vieille France » en Une, d’autres y ont vu un tournant conservateur voire réactionnaire. Considérer que nous serions face à une révolution conservatrice n’est il pas excessif au regard des annonces faites par le président ?
Stéphane Courtois : La réaction de Libération est caractéristique de cette « vieille extrême gauche » qui, à la suite de Philippe Sollers et de sa « France rance », continue d’être plus proche des bistrots de Saint-Germain-des-près ou du quartier de l’Opéra que des près, champs, campagnes désertifiées, zones rurales abandonnées des services publics où le Rassemblement national prospère à grands pas. Mais aussi des cités, quartiers de banlieue et petites villes de provinces où s’étalent un trafic de drogue et une insécurité qui touchent en priorité les classes populaires – habitants de ces lieux – et désagrègent la société. Dans un pays où des professeurs se font égorger dans leur lycée, où un jeune de 14 ans est tué d’un coup de couteau dans le métro, où une femme de 75 ans est violée devant son mari, y a-t-il vraiment quelque chose de « réactionnaire » à tenter de rétablir un peu d’ordre et de morale ? Nos donneurs de leçon progressistes de la mairie de Paris sont-ils au courant que dans la capitale des milliers de SDF dorment dehors et de plus en plus souvent squattent les immeubles habités ?
Michel Maffesoli : De plus en plus tout est théâtre, communication, effets d’annonces. Et d’une certaine manière les cris d’orfraie d’une presse bien peu indépendante par rapport aux subventions publiques et aux soutiens des grands groupes financiers ne font que renforcer cette théâtrocratie. Parler de « révolution conservatrice » parce que le président souhaite imposer l’apprentissage de la Marseillaise à tous les écoliers de primaire, qu’il souhaite restaurer même pas la blouse grise, mais une « tenue commune » qui pourrait être un « uniforme » et qu’il renforce l’éducation civique est en effet excessif.
Mais n’est-ce pas tout simplement tenter de sauver l’exercice dit démocratique que de prendre au sérieux cette litanie de mesures prétendument nouvelles.
Dont la plus grande partie traîne dans nombre de rapports parlementaires, d’inspections, bref dans cette littérature grise dont se repaissent les décideurs.
Il eût fallu un souffle bien plus puissant pour parler de « révolution conservatrice » que l’évocation plus pathétique que vraiment lyrique de ce que le président a appelé « le supplément d’âme ». Cette expression n’est-elle pas significative du devenir futile du débat politique ?
Au-delà des critiques habituelles, assiste-t-on à une forme de panique morale de la gauche, pour reprendre un concept qui lui est cher lorsqu’elle parle de la droite ?
Stéphane Courtois :Depuis le rapport du think tank socialiste Terra Nova, qui en 2012 officialisait l’abandon des classes populaires par le Parti socialiste et lui recommandait de ne s’appuyer que sur les classes moyennes et supérieures, les socialistes ont perdu leur magistère moral. Ils ont tenté de le reconstituer sur une base bobobo – bourgeoise-bohème-bolcho. Le bolcho socialiste mais aussi communiste, gauchiste et écologiste a transféré sa radicalité de la défense d’un mythologique « prolétariat », à la lutte contre toutes les discriminations, à commencer par celles dites « de sexe » et « de genre », jusqu’à torturer la langue française avec son orthographe inclusive pratiquée y compris dans les universités et l’administration. Toutes ces billevesées, qui n’auraient pas déplu au Père Ubu, ont fini par lasser le bon peuple qui s’intéresse plutôt au prix du logement et du beefsteack – quand il peut s’en payer un ! Quant au bolcho mélanchonien, adepte de la lutte contre l’islamophobie, il tente de draguer une nouvelle clientèle électorale. Mais un certain 7 octobre 2023 a remis, à gauche, quelques pendules à l’heure !
Michel Maffesoli : Il me semble que ces critiques s’inscrivent dans un exercice très convenu et restent très formelles. Au fond tant le président que ses critiques se situent sur le même plan, celui d’une technocratie et d’une médiacratie incapables de penser le changement de valeurs à l’œuvre dans la société contemporaine.
Le président a affirmé à plusieurs reprises sa croyance dans une société de progrès, progrès essentiellement matériel. C’est une vision que partagent nombre de ses détracteurs. Peut-être est-ce l’obsolescence des concepts politiques qui ont fondé la modernité qui panique les tenants de la gauche comme ceux de la droite.
La gauche se sent sans doute coupable du naufrage de l’école, baisse de niveau des programmes, suppression de l’enseignement des langues anciennes, mais les solutions cosmétiques proposées par le président ne peuvent faire illusion.
Si panique il y a, elle est le fait de toutes les élites, de tous les bien-pensants qui ne veulent pas voir que les grandes valeurs de la modernité sont saturées : l’émancipation des individus et le progrès matériel ne représentent plus un idéal commun, ni ils ne mobilisent, ni ils n’unissent. Le rapport au temps a changé : durant la modernité, il s’agissait de faire du passé table rase et de se projeter dans un avenir meilleur. Le présentéisme actuel n’est pas qu’immédiateté vide. Il intègre le, les passés (tradition) et ne reporte pas l’intensité de la vie dans un futur lointain voire inaccessible.
Le jeu démocratique organisait le débat entre deux « projets de société ». On voit bien qu’aucun parti ne propose plus de projet cohérent, un tant soit peu global. D’où la panique généralisée des élites, de ceux qui ont le pouvoir de dire et de faire.
La succession des « crises » qui marquent les mandats d’Emmanuel Macron est symptomatique de cette perte de poids de la politique. Qui doit user sans cesse de nouvelles stratégies pour tenter de mobiliser une population qui ne lui accorde plus son crédit.
Mais paradoxalement l’opposition et notamment celle dite de gauche n’est guère au rendez-vous pour résister aux divers moyens utilisés pour tenter de contenir un peuple de plus en plus rétif. Les mesures les plus autoritaires visant à obliger toute une population à accepter un traitement expérimental et aux effets secondaires inconnus ont rencontré une large approbation chez nombre de gens de gauche prêts à abandonner toutes leurs belles antiennes sur la démocratie sanitaire tant ils paniquaient à l’idée de la mort. Et l’on n’est pas sûr que la gauche fera barrière aux diverses tentatives de contrôle social des réseaux sociaux telles qu’annoncées par le président. Sous couvert bien sûr de protection des enfants et de lutte contre la pornographie.
La gauche ne se raidirait-elle pas parce qu’elle perd son magistère moral et que l’intimidation idéologique qu’elle a pratiqué depuis des années ne fonctionne plus, notamment sur des responsables politiques que l’apparition de médias « décomplexés » – tels ceux du groupe Bolloré – a libéré ?
Michel Maffesoli : Si l’on pense que le problème essentiel de la société française est l’immigration, et qu’on pourrait délivrer la société de tous ses maux en stoppant celle-ci, on pourra parler de médias « décomplexés » et de politiques libérés.
Mais peut-on sérieusement croire que les troubles profonds qui agitent nos sociétés européennes sont dus essentiellement à l’immigration ?
La sécularisation extrême de la société moderne n’est-elle pas la cause principale de la grande peur devant l’Islam dès lors que la République n’a à proposer qu’un « laÏcisme » sans émotion, sans images, sans odeur et sans saveur à une jeunesse en quête de sacré ?
La laideur de nombre de nos banlieues et notamment de ces temples de la consommation que sont les « zones » diverses qui encerclent les villes et mitent les campagnes n’est-elle pas corollaire plutôt de la religion du progrès et de la croissance infinis ? L’insécurité n’est-elle pas avant tout le signe d’une grégaire solitude ?
Les litanies de mesures, de promesses font ainsi écho à une inquiétude généralisée. Sans qu’elles réussissent à l’apaiser.
Stéphane Courtois :Cette intimidation idéologique persiste en partie. Ainsi, nous venons de commémorer fin décembre le cinquantenaire de l’Archipel du Goulag d’Alexandre Soljenitsyne, qui fut un véritable pavé dans la vitrine de l’avenir radieux du communisme. Ce livre fut ensuite largement confirmé par l’effondrement de l’URSS, puis par l’ouverture des archives de Moscou et enfin la publication du Livre noir du communisme. Or seul le département de la Vendée organise une grande exposition sur cet événement. A l’inverse, la plupart des médias consacrés à l’histoire l’ont ignoré et ont préféré s’intéresser au centenaire de la mort de Lénine ! En réalité, la gauche, de plus en plus dominée par l’extrême gauche – trotskiste, mélenchoniste, anarchiste comme on l’a constaté lors des manifestations violentes contre la loi sur les retraites –, tente de se replier en bon ordre, mais ayant perdu ses bases idéologiques, le repli tourne à la déroute. Après tout, le président de la République en est lui-même un bon exemple, même s’il tente de donner des gages en organisant l’entrée au Panthéon le 21 février de Missak et Mélinée Manouchian dont la principale qualité est d’avoir été d’excellent cadres communistes arméniens au sein d’un PCF stalinien.
Même s’il est légitime de se préoccuper de dérives éventuelles au sein de l’établissement Stanislas, l’affaire n’est-elle pas instrumentalisée par la gauche pour un combat politique beaucoup plus large ? La ministre de l’Education nationale, Amélie Oudéa-Castéra n’est-elle pas tombée dans un piège au regard de la question posée par Mediapart et les journalistes qui ne portait pas sur le privé ou le public, mais plus spécifiquement sur l’idéologie de l’établissement dans lequel elle scolarise ses enfants, et cela faisant d’elle, aux yeux de la gauche et d’une partie des journalistes, une ministre réactionnaire et conservatrice ?
Stéphane Courtois :Pour la mouvance de gauche – militants, politiques, journalistes etc. –, en particulier pour ceux qui sont francs-maçons, tout ce qui est même légèrement à leur droite est « réac », voire « facho ». Dans ce cadre de pensée, les catholiques représentent la quintessence du réactionnaire et le collège Stanislas était une cible facile. Mais on peut s’interroger : en visant « Stan », Médiapart n’a-t-il pas mis en place un écran de fumée pour masquer que la plupart des bo-bo-bo mettent leurs enfants … à l’École alsacienne ? Et pourquoi ne pas épingler les grands lycées parisiens qui sélectionnent leurs élèves à marche forcée, laissant tomber ceux qui ne peuvent suivre le rythme effréné des colles et autres dissertations à répétition ? La question n’est pas celle de cathos contre laïcs, mais celle de l’effondrement du niveau de l’enseignement public, depuis le primaire jusqu’à une université gangrénée par le wokisme. Voilà l’énorme problème que madame Oudéa-Castéra va devoir régler.
Michel Maffesoli : Stanislas, un des fleurons de l’enseignement d’excellence, est évidemment une cible de choix pour une vieille gauche en mal de conflits bien tranchés. C’est un établissement privé sous contrat qui obéit à la loi. L’enseignement privé est plébiscité par nombre de Français soucieux de mettre leurs enfants dans un établissement présentant un projet éducatif explicite comme l’avait prévu d’ailleurs la loi Savary. Bien sûr Stanislas est un établissement catholique qui sélectionne ses élèves sur leur niveau scolaire (comme l’Ecole alsacienne) mais aussi sur l’adhésion des parents au projet d’une éducation catholique. La seule question légitime est celle de la conformité de cette Ecole aux règles imposant l’accueil d’enfants non catholiques et la possibilité qu’ils ne suivent pas l’enseignement religieux. De fait, comme l’accès à cette Ecole d’excellence est difficile à objectiver, sans doute les enfants de familles ouvertement critiques ne sont ils pas accueillis à bras ouverts. Ensuite la question est de savoir si le contenu de cet enseignement religieux est contraire à la loi : propos racistes, homophobes etc. L’établissement se défend en incriminant un catéchète renvoyé d’ailleurs. Mais en revanche il ne figure dans aucun texte l’obligation de faire l’apologie des comportements dits « libérés » ou « émancipés ». Il faut prendre garde à une normalisation grandissante, à une construction forcée d’un homme nouveau. Rappelant quand même de tristes époques. Il est vrai que l’on retrouve dans les cercles dirigeants de ces médias et mouvements des figures du Trotskisme, du maoïsme, du léninisme. Comme le disait Pasolini : « Le fascisme se cache désormais chez les antifascistes ! » ■
Michel Maffesoli est membre de l’Institut universitaire de France, Professeur Émérite à la Sorbonne. Il a publié en janvier 2023 deux livres intitulés « Le temps des peurs » et « Logique de l’assentiment » (Editions du Cerf). Il est également l’auteur de livres encore « Écosophie » (Ed du Cerf, 2017), « Êtres postmoderne » ( Ed du Cerf 2018), « La nostalgie du sacré » ( Ed du Cerf, 2020).
Stéphane Courtois est un historien et universitaire.
Il est directeur de recherche au CNRS (Université de Paris X), professeur à l’Institut Catholique d’Études Supérieures (ICES) de La Roche-sur-Yon, spécialiste de l’histoire des mouvances et des régimes communistes.
On lui doit notamment Le bolchevisme à la française (Fayard – 2010).
Inutile de commenter .L’heure est grave. si l’on a pas compris que les représentants de cette république nous entraînent vers la guerre, soit mondiale et tragique , soit dans l’asservissement d’un l’islamisme conquérant. Ou est passé l’intelligence, cet esprit que Fénélon défini comme « connaissances bien raisonnées ».
La chute de quarante ne nous a pas servi de leçon. Après le caporal, voici le danseur de claquette et l’obscurantisme oriental. En Occident on ne fait plus d’enfant, que cela ne tienne, il y a la bombe atomique!
Encore une fois, l’Angleterre n’est pas dans l’esprit Français .
Assez joué, il est temps de remettre un roi qui apaise les tensions explosives, conduites par cette république d’inconscients et redonne une direction dans la paix et la sérénité à ce peuple de France qui le mérite.
Cet entretien mérite lecture pour nombre d’éclairs et de justesses. Contraint dans l’opposition réactionnaire-progressiste, il souffre d’ignorer les questions plus urgentes. Le risque de guerre, les dérives de l’UE, le discrédit de nos Organes Institutionnels (Constitution, Lois, Parlement, Justice), sans oublier notre langue (évoquée brièvement par M. Courtois).
Sur ce dernier sujet, je pose une question futile aux lecteurs: quelle est la différence entre une annonce et ces mystérieux (pour moi) « effets d’annonce » (première réponse de M. Maffésoli)? Quand annonce-t-on quelque chose et quand se livre-t-on à un « effet d’annonce »? Malicieusement, j’ajoute, car je n’aime pas cet autre curieux accouplement: dans quels « cas de figure » ? Pourquoi, en effet, ne pas se limiter à « cas » si on ne traite pas de géométrie ?