Par Patrice Jean.
Cette tribune est parue dans Le Figaro de ce matin. (22 janvier). Nous n’avons rien à y ajouter si ce n’est que Patrice Jean y dénonce avec pertinence et vigueur un événement médiatique qui ne fait que mettre en lumière cette montée vers un néo totalitarisme à quoi tend notre démocratie, aussi bien du côté d’une certaine extrême-gauche évidemment sectaire que de la technostructure gouvernementale tentée d’exclure tout ce qui n’est pas elle et pourrait lui résister.
TRIBUNE – Pour Patrice Jean*, la pétition publiée par Libération et signée par plus de 1 200 poètes, visant à empêcher Sylvain Tesson de parrainer l’édition 2024 du Printemps des poètes, est un lynchage symbolique.
« Les pétitionnaires savent-ils que Baudelaire était plus réactionnaire que Tesson ? Qu’il existe de grands écrivains réactionnaires ? »
La tribune contre Sylvain Tesson (et son parrainage du Printemps des poètes) s’ouvre sur une référence au second mandat de Macron qui glisserait vers l’extrême droite ; ensuite, les pétitionnaires glissent vers Tesson, accusé à son tour, d’être d’extrême droite. Le texte se termine par un éloge de la poésie, laquelle «est une parole fondamentalement libre.» Il y a là une contradiction : si la poésie est une parole « fondamentalement libre », elle est libre, aussi, de ne pas se soumettre aux injonctions progressistes. En réalité, cet éloge de la liberté est totalement hypocrite. Non, les pétitionnaires n’aiment pas la liberté : ils s’aiment eux-mêmes, et ils détestent tout ce qui ne leur ressemble pas.
Sylvain Tesson serait une «icône réactionnaire». C’est possible, même si le côté réactionnaire n’est pas le tout de ses livres. Les pétitionnaires savent-ils que Baudelaire était plus réactionnaire que Tesson ? Qu’il existe de grands écrivains réactionnaires : Chateaubriand («un réactionnaire de charme», selon Gracq), Balzac qui écrivait à «la lueur de deux Vérités éternelles : la Religion, la Monarchie», Flaubert et ses railleries sur la révolution de 1848, Barbey d’Aurevilly, Bloy, Céline, Bernanos, etc. Les surréalistes Breton et Aragon, pour progressistes qu’ils fussent, avaient lu Barrès. Les auteurs de la tribune, parce qu’ils sont engagés (et engagés chez les gens bien, c’est leur côté «bourgeois»), imaginent que tous les écrivains sont comme eux, obsédés par les prises de position politique. Ils introduisent le militantisme dans la littérature. Mais s’il n’est plus possible de lire Sylvain Tesson, tous ces censeurs, s’ils veulent rester cohérents, devront aussi renoncer à la lecture des auteurs cités plus haut, et même à d’autres comme Dostoïevski ou Pessoa (peut-être est-ce le cas, mais alors, quel appauvrissement !). Ils ne liraient dès lors que ceux qui partagent leurs idées ? Ignorent-ils que le négatif est nécessaire à la pensée ? Et qu’à lire uniquement le Même on se condamne à une pensée consanguine et stérile ? J’ai toujours lu des écrivains qui ne m’étaient pas proches politiquement ou philosophiquement, pour essayer de les comprendre. Ne pas se laisser surprendre par un écrivain témoigne d’une grande frilosité et d’un repli sur soi contestable.
Que se passe-t-il dans la tête d’un écrivain quand il vient d’apposer son nom à la tribune contre Tesson ? A-t-il conscience d’avoir commis une petite saloperie ? Ou bien se sent-il fier, très fier, de combattre le fascisme, ou ce qu’il prend pour du fascisme (car, ne nous leurrons pas, dans la tête du progressiste, un réactionnaire est un mode d’être du fascisme) ? Ou bien se sent-il grave et concerné, « on ne lâche rien ! » ? Comme il faut être sûr de soi, être persuadé d’avoir raison, pour oser s’en prendre, collectivement, à un écrivain ! Le collectif, ici, ressemble à un lynchage, symbolique certes, mais lynchage quand même (et ce ne sont pas les progressistes qui ont sans cesse la « violence symbolique » à la bouche qui pourront minimiser cette violence). Rien que pour cette raison : 1200 signataires contre un seul homme (Muray aurait écrit « Tous contre seul »), on reste abasourdi face à ce qui ressemble à une folie. Tesson, faut-il le rappeler, n’est pas un homme politique, n’a pas tripoté de fesses interdites, ni tué personne : il écrit des livres. Il a du style, du panache. Ce type de tribune n’aurait de sens que pour condamner un criminel, un violeur, un vrai fasciste. Emportés par leur lyrisme en écriture inclusive (comme on dit « en toc »), les auteurs et les signataires de cette tribune ont perdu le sens de la mesure, ils ont repeint un écrivain avec leurs angoisses, leurs peurs, leurs vanités, leur bêtise, ils l’ont condamné avec la même rigueur scientifique qu’on brûlait, jadis, les sorcières. Pourtant, depuis Mona Chollet, les progressistes les aiment bien, les sorcières ! Cette pulsion qui consiste à sacrifier, régulièrement, une femme, un homme, est inscrite dans la psyché humaine. Toute l’histoire de l’humanité nous apprend que le Mal s’est fait au nom du Bien. J’invite les pétitionnaires à réfléchir à leur faute morale. Il n’est pas trop tard pour enlever votre nom, pour l’effacer, si vous ne voulez pas apparaître, au tribunal de l’histoire, pour des brûleurs de sorcières.
Ultime observation : une pétition pareille à celle contre Tesson, mais dirigée contre un écrivain flirtant avec La France insoumise, est-elle envisageable ? Je ne pense pas. Nous pouvons donc en conclure, d’une manière objective, que la tolérance est passée à droite. J’entends déjà les protestations : hors de question de tolérer l’intolérable. Restons sérieux ! Il n’y a rien d’intolérable chez Tesson. Écrit-il qu’il faut brûler les enfants ? Que l’on doit emprisonner tous les opposants à Macron ? Que l’on doit empêcher, par tous les moyens, un écrivain non conforme de parrainer le Printemps des poètes ? Au reste, c’est le seul point que je lui reprocherais : que diable allait-il faire dans ce Printemps des poètes ? Il aurait dû se méfier, on ne poétise pas en groupe, avec des potes poètes. La poésie est partout sauf dans les marchés de poésie, de même que l’élégance, pour être véritable, ne peut proclamer son élégance, et la modestie sa modestie. Pour le reste, je l’assure de ma totale solidarité face aux gardes rouges du printemps et des cent fleurs. ■
* Patrice Jean est écrivain. Dernier livre paru : Kafka au candy-shop (Éditions Léo Scheer).
Laissons les petitionnaires limiter leurs lectures à BHL et Christine Angot ils mourront idiots
Cet article, long et fastidieux, est toutefois révélateur en ce qu’il montre comment un esprit « indépendant »peut assimiler la mentalité, disons progressiste pour rester modéré ; ainsi , l’auteur de ce papier met il sur le même plan « un criminel, un violeur, un vrai fasciste ».
Enfin, c’est pour le Figaro !
J’ai un point de vue assez différent de celui de Richard. Il consiste à penser qu’il faut parfois considérer un article de presse uniquement sous l’angle de son intérêt stratégique ou tactique dans une bataille médiatique quelconque. Ici l’article défend assez intelligemment tout de même, Sylvain Tesson. Et voilà tout. Les erreurs idéologiques ou historiques sont évidemment à signaler, mais dans le cas d’espèce, elle me paraissent secondaire. Dans le cas d’espèces seulement bien sûr.