Philippe Conrad met régulièrement en ligne, sur les réseaux sociaux, de brèves notes toujours particulièrement intéressantes en matière d’Histoire, d’idées et d’édition. Il est question ici de l’œuvre et de la personne de Gustave Thibon, dont nous avons, pendant de longues années, été très proches. Les lecteurs de JSF liront cette note avec intérêt. Ceux d’entre eux qui l’ont tant de fois écouté dans nos réunions de Montmajour et des Baux de Provence, ou encore dans ses conférences que nous organisions chaque année dans les grandes villes de Provence, ou bien aussi lors du dîner-débat avec Alain de Benoist qui eut lieu à Marseille, à notre initiative il y a quelque 40 ans, ne l’ont sûrement pas oublié.
19 janvier 2001, mort de Gustave Thibon qui était né le 2 septembre 1903, à Saint-Marcel-d’Ardèche. Enraciné dans son terroir, nourri par une culture universelle, il entretint l’espérance d’un sursaut de civilisation, face aux nuages les plus sombres.
Penseur monarchiste et catholique, souvent présenté comme un « philosophe paysan », il a publié plus d’une vingtaine d’écrits, abordant des sujets comme la présence de la foi, la domination de la technique.
Dès son plus jeune âge, il reçut de son père qui écrivait des vers les nourritures intellectuelles. « À sept ans, dira-t-il un jour, je récitais force poèmes de Leconte de Lisle, Hérédia et bien sûr de Mistral et Aubanel, en provençal ».
Il sera contraint d’abandonner l’école à l’âge de 13 ans pour assurer la subsistance de sa famille, mais il sera toute sa vie animé par une intense soif de connaître.
Les horreurs de la guerre de 1914-1918 le marquent profondément et le confirment dans son rejet du patriotisme revanchard et de la démocratie. « Comment pardonner cela à l’humanité? Ce fut la guerre civile dans toute son horreur, la mise à mort d’un monde pour des raisons dont aucune ne tenait debout. Toute cette jeunesse sacrifiée ! »
À l’âge de 23 ans, il revient au mas familial, et tout en travaillant la terre, il se remet à l’étude, des mathématiques, de l’allemand, du latin et du grec ancien. Après avoir fréquenté Hegel, Thomas d’Aquin, Nietzsche, Klages, il se tourne vers Saint Jean de la Croix , Thérèse de Lisieux, et découvre Simone Weil. Au contact de ces maîtres, il développe une pensée d’une extraordinaire fécondité qui n’est inféodée à aucune mode . Son écriture est à la fois poétique, prophétique et mystique.
À vingt-cinq ans, l’Européen Thibon était formé. Il n’était pas encore chrétien. Son père l’avait élevé plus près du Dieu de Victor Hugo que de celui de l’église de Saint-Marcel d’Ardèche, tout en poursuivant le travail de la terre.
Gustave Thibon élabora une réflexion en étroite consonance avec la quête spirituelle des hommes et des femmes d’aujourd’hui. « J’aime notre époque, écrivait-il, parce qu’elle nous force à choisir, entre la puissance de l’homme et la faiblesse de Dieu. » Pour Thibon, l’homme se condamne lui-même en se coupant à la fois de ses racines naturelles et de ses origines surnaturelles, en ignorant la dimension cosmique aussi bien que la profondeur divine de l’existence, l’une répondant de l’autre.
L’un des événements les plus marquants de sa vie est sa rencontre avec Simone Weil qui a été chassée de l’université. C’est en 1941 qu’il accueille cette dernière dans sa ferme en Ardèche.
C’est, de son propre aveu, la « grande rencontre » de sa vie : en quittant la France pour l’Amérique, en mai 1942, Simone Weil abandonne à Thibon ses cahiers, en lui en laissant la « complète propriété ». « Vous êtes français comme on ne l’est plus depuis trois siècles » lui disait-elle. Il publie en 1947, le manuscrit de « La Pesanteur et la grâce », qui révèle au monde la personne et l’œuvre de Simone Weil. Dans sa préface originelle, Gustave Thibon s’explique longuement sur les circonstances de cette amitié ; en 1952, il écrira avec le P. Perrin, « Simone Weil telle que nous l’avons connue ».
Ce grand lecteur de Virgile, Marc Aurèle, Dante, Olivier de Serres ou des plus proches de nous comme Chateaubriand, Kierkegaard, Mistral, Gabriel Marcel, Lorca, Milosz, Marie Noël, nous permet de franchir les siècles. ■
Source medarus Ardèche, portrait d’Ardéchois.
Aph Aph Philippe Conrad