PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
COMMENTAIRE – Cette chronique de Mathieu Bock-Côté parue dans Le Figaro d’hier samedi 27 janvier, a de quoi retenir l’attention intéressée des maurrassiens et même des royalistes « sans nostalgie et sans folklore » tels que Pierre Debray voulait qu’ils fussent, et les invitait à être jadis, dans nos réunions de Montmajour et des Baux de Provence. Des royalistes qui ne se satisfont pas de slogans à la hache, pour militants débilités. Mathieu Bock-Côté, pour des raisons qui lui sont propres – son héritage, sa naissance, sa patrie – a comme un compte à régler avec la monarchie – anglaise dans son cas – mais pour les mêmes raisons il place au-dessus des textes, des constitutions et même de l’exercice de la démocratie, ce qui nous vient de la nature, de l’héritage historique, de l’identité profonde des peuples. Il ne nous rendra pas pour autant parlementaristes – comme si les parlementaires représentaient vraiment le peuple historique ! – au prétexte que le Conseil Constitutionnel vient de rendre nul un texte – qui l’était déjà – voté par le Parlement. Aux parlements, aux juges et aux constitutionnalistes, De Gaulle opposait une formule simple, dans un improbable mais efficace latin de cuisine, une maxime que tous devraient pouvoir partager comme souveraine : « Prius omnium, Salus Patriae ». (Avant et au-dessus de tout, le salut de la Patrie). Parlements, juges, partis, politiques et Chefs d’État successifs ont réussi en quelques décennies à déconstruire tout ce qu’il y avait de monarchique et de salvifique dans la Constitution de la Ve République. La rétablirait-on – par extraordinaire – que le processus déconstructeur reprendrait aussitôt son ouvrage. Il est dans la logique du Système. Le principe supérieur du Salut de la Patrie surplombant tout n’est plus ou moins garanti que s’il s’incarne dans une dynastie elle-même supérieure à tout le reste. On le voit bien dans d’autres pays où même réduite à cette unique fonction, une dynastie incarne le droit et la volonté du peuple à la continuité historique. On sait que la question n’est pas d’immédiate actualité en France. De Gaulle l’avait posée, sans la résoudre. Mais l’Histoire nous enseigne que ce qui n’est pas envisageable à vue humaine, les circonstances et les hommes peuvent – en cas de nécessité et d’urgence – l’accomplir sans même – oublieuse mémoire ! – que l’on en soit surpris.
« La Constitution se retourne contre la nation, l’État aussi. »
CHRONIQUE – La censure par le Conseil constitutionnel du tiers des dispositions présentes dans la loi immigration atteste de l’inversion de la fonction de la loi fondamentale : plutôt que d’assurer l’organisation politique de la France, elle paralyse la volonté populaire.
Ce qui devait arriver arriva : le Conseil constitutionnel a censuré jeudi l’essentiel de la loi immigration. Certes, et c’est la petite musique du jour, on explique que le Conseil constitutionnel, pour l’essentiel, n’aurait pas touché le fond du texte, et viserait essentiellement ses vices de forme – c’est la question des fameux cavaliers législatifs. On ne se laissera pas bluffer : ce pointillisme juridique témoigne surtout de la mise sous tutelle du Parlement par les juges, qui lui contestent désormais le droit élémentaire d’amender un texte de loi.
La Cour suprême française, puisqu’il faudrait bien l’appeler ainsi, se donne unilatéralement le droit de modifier l’équilibre des pouvoirs à son avantage – ce qu’elle fait depuis le début le début des années 1970 avec l’invention du bloc de constitutionnalité. Le déploiement de « l’État de droit » correspond en fait à une prise de pouvoir par les juges, qui depuis ne cessent d’étendre leur pouvoir – souvent aussi en interprétant de manière exagérément créative les principes constitutionnels, en fonction de l’évolution de l’idéologie dominante, qui tend à se confondre avec le sens de l’histoire. Le véritable arbitraire du pouvoir est là.
En fait, la France vit déjà, depuis un certain temps, dans une forme de VIe République qui cherche à se faire passer pour une version évoluée de la Ve. C’est ainsi que s’opèrent les coups d’État depuis cinquante ans : les institutions anciennes, comme celles relevant de la souveraineté populaire, ne sont pas abolies mais vidées de toute substance. Elles demeurent à la manière d’un vieux décor, même si le vrai pouvoir ne s’y trouve plus. Elles demeurent, car comme le notait en son temps Machiavel, le peuple tend à se montrer attaché à ses coutumes, à ses vieux rituels – bien davantage qu’à l’exercice réel du pouvoir, d’ailleurs, et il est bien vu, pour éviter sa révolte, de feindre de les respecter. Ces institutions vidées du pouvoir pourraient toutefois en être réinvesties, ce que rappellent tous ceux qui plaident pour une réforme constitutionnelle.
À l’échelle de l’histoire, on assiste à une inversion de la philosophie constitutionnelle. Traditionnellement, une constitution avait pour vocation d’organiser politiquement un peuple, de structurer sa vie politique, en lui donnant les moyens nécessaires pour agir par lui-même dans l’histoire. Elle n’était toutefois pas à elle-même sa propre fin. La sagesse politique rappelait qu’une constitution qui paralyse un peuple, déforme sa vie politique, le condamne à l’impuissance publique, est une constitution qui doit être changée, tout simplement.
C’est pour cela d’ailleurs que le général de Gaulle a fondé la Ve République : il jugeait la IVe structurellement impuissante. Il n’y avait pas chez lui de fétichisme institutionnel. Les institutions devaient servir les hommes et non l’inverse. Une bonne constitution n’est pas qu’un texte juridique : elle tient compte de l’histoire d’un peuple, de sa psychologie collective. Il n’en est plus ainsi. La Constitution désormais désincarne : un peuple est ainsi appelé à s’immoler symboliquement dans le droit – les principes constitutionnels un jour fixés et par les juges interprétés sont jugés plus importants que son identité profonde – d’ailleurs, existe-t-elle vraiment ? La Constitution se retourne contre la nation, l’État aussi.
Un régime oligarchique qui ne dit pas son nom
Peut-être faut-il aussi y voir une radicalisation du contractualisme moderne, où la logique du contrat social s’extrémise au point de se substituer à toute vie organique – au point de la neutraliser, et de juger son dépérissement comme nécessaire. Mais il faudrait alors en venir à la conclusion que la pente naturelle de la modernité est fondamentalement impolitique – ou plutôt, qu’elle invisibilise le politique dans une technostructure sur laquelle l’homme a bien peu d’emprise, et qui se déploie sans qu’il ne soit possible d’en dévier le sens. L’histoire s’écrirait sans les hommes, devenus pantins des systèmes qu’ils ont mis au monde.
Mais ce serait encore là céder à sa ruse, car derrière cette évolution des institutions, prend forme un régime oligarchique qui ne dit pas son nom, et qui sert globalement les intérêts de ce qu’on appelle un peu communément les élites mondialisées. Dans leur esprit, le peuple est une catégorie politique dangereuse, toxique : il n’apparaît plus qu’à travers le concept marqué de « populisme ». Il est nécessaire de le contenir, de l’emmailloter, idéalement de le démembrer, pour qu’il ne puisse pas faire de mal avec ses réflexes régressifs, son passéisme insurmontable, et l’incapacité qu’on lui prête à comprendre le mouvement du monde.
En fait, il est nécessaire de le désarmer institutionnellement. Sans quoi il pourrait, à travers ses représentants, voter des lois que la morale réprouve et que le sens de l’Histoire, deviné par les théologiens de la modernité, n’autorise pas. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
Étant spécialiste de Droit constitutionnel, historien de la vie politique française, et citoyen français, je peux dire que ce monsieur immigré du Canada ne connait rien à cette spécialité. Sans n brouhaha n’a strictement aucun d’un sens.