COMMENTAIRE – Nous reprenons surtout à titre informatif cette analyse géopolitique bien menée parue hier dans le Figaro. Les avant-guerre, on le sait, sont en général précédées de rencontres aimables que l’on assure tenues pour la paix, mais où chacun tente d’évaluer les intentions de l’autre et de soupeser ses forces. Nous ne croyons guère à une alliance durable russo-chinoise. Plusieurs fois dans l’histoire contemporaine elles se sont nouées et dénouées. L’ère Mao a connu les deux situations d’alliance étroite, puis d’opposition forte. L’alliance actuelle tient au conflit russo-ukrainien, en réalité russo-étatsunien, et sino-taïwanais, en réalité sino-étatsunien… La symétrie des deux conflits rapproche les deux États sous le viseur de l’impérium américain et l’accentuation du soutien de la Chine envers la Russie tient du constat que l’Occident ne l’emporte pas sur la Russie en Ukraine. Vivons -nous une avant-guerre ? C’est bien possible et bien inquiétant pour les jeunes hommes occidentaux. Désarmés, pour l’instant, intellectuellement, moralement, militairement et peut-être en passe de l’être aussi physiquement. L’attachement à la modernité n’est plus le fait que des générations âgés, encore émerveillées des prouesses techniques du siècle écoulé et par la fine pellicule des élites mondialisées de tous âges. Cela pèse beaucoup de milliards en temps calme. Mais bien peu dès lors que surviennent un ou plusieurs vrais grands conflits armés.
Pour sa première apparition publique, le nouveau ministre chinois de la Défense s’est entretenu le 31 janvier en vidéo avec son homologue russe, Sergueï Choïgou. Le mot de «soutien» de Dong Jun est loin d’être anecdotique.
Sur le dossier ukrainien, la diplomatie chinoise avance prudemment sur une ligne de crêtes depuis l’invasion russe du 24 février 2022. D’un côté, elle affiche publiquement sa neutralité dans le conflit et plaide pour un cessez-le-feu. De l’autre, elle dénonce les ingérences dont seraient coupables les Occidentaux et approfondit toujours plus étroitement sa coopération avec Moscou. Le 31 janvier, cette prudence était pourtant peu perceptible lors de la première apparition publique du nouveau ministre de la Défense chinois, Dong Jun, qui a échangé en vidéoconférence avec son homologue russe, Sergueï Choïgou.
«Nous vous soutiendrons sur le dossier ukrainien même si les États-Unis et l’Europe continuent de faire pression sur la Chine, même si la coopération militaire entre la Chine et l’UE a souffert», a annoncé Dong Jun, en poste depuis le 29 décembre après une période de plusieurs semaines pendant laquelle Pékin ne disposait pas de ministre de la Défense à la suite du limogeage brutal et mystérieux de Li Shangfu fin octobre et sa disparition publique dès le mois d’août. «Mais nous n’abandonnerons pas et ne changerons pas notre politique, et ils ne pourront pas entraver la coopération entre la Russie et la Chine», a mis en garde l’ancien chef de la marine chinoise. Ce terme officiel de «soutien» est très loin d’être anecdotique. «Cela a surpris jusqu’à mes contacts chinois…», glisse une source bien informée auprès du Figaro.
Ambiguïté chinoise
Même si les louanges mutuelles entre Pékin et Moscou sont récurrentes – à l’image de la très commentée déclaration commune du 4 février 2022 aux termes de laquelle «l’amitié [russo-chinoise, NDLR] ne connaît pas de limites » -, jamais Pékin n’avait officiellement et publiquement affiché son soutien à la Russie spécifiquement sur le dossier ukrainien. Jusque-là, publiquement, Pékin pouvait «comprendre» la Russie vis-à-vis de Kiev, sans la «soutenir». Ainsi, en septembre 2022, Li Zhanshu, le numéro 3 du Politburo du Parti communiste chinois, cité par le New York Times, aurait expliqué aux autorités russes que la Chine «comprenait pleinement la nécessité de toutes les mesures prises par la Russie», laquelle était placée «dans une position impossible» en Ukraine. Depuis lors, Pékin mettait surtout en scène son ambiguë «neutralité» et ses appels très théoriques à la paix.
Le message transmis par Dong Jun à Sergueï Choïgou ce 31 janvier est donc «important», note le chercheur de l’IFRI Dimitri Minic, spécialiste de l’armée russe. «C’est une confirmation de plus en plus nette d’une tendance déjà forte», résume au Figaro l’historien.
Lors de cette entrevue, le ministre russe de la Défense s’est empressé d’ajouter qu’il ne s’agissait pas d’une alliance militaire formelle. «Contrairement à certains pays occidentaux, nos deux pays ne forment pas un bloc militaire», a-t-il précisé. Une déclaration qui est pour le coup classique dans le discours sino-russe. «Les relations militaires russo-chinoises se développent régulièrement dans toutes les directions. Nous organisons régulièrement des activités conjointes d’entraînement au combat naval, aérien et terrestre, et avons mené avec succès des exercices de combat de différents niveaux de complexité», a ajouté le ministre russe, qui considère que cette «coopération militaire globale» ne «cible aucun pays tiers».
Dong Jun souhaite quant à lui «élever les relations entre les deux armées à un niveau supérieur». «Les militaires devraient jouer un rôle plus important dans l’approfondissement de la coopération stratégique globale sino-russe et dans le maintien de la sécurité et de la stabilité mondiales», a déclaré le ministre chinois de la Défense.
Jusqu’à présent, la Chine n’a pas fourni d’armes létales à la Russie qui, pour sa guerre en Ukraine, s’équipe en revanche en drones et en obus auprès de l’Iran et de la Corée du Nord, le régime de Pyongyang étant aussi un allié de Pékin. Des véhicules tout-terrain chinois ont néanmoins été observés en Ukraine, notamment dans la région de Kherson, ainsi que parmi les unités tchétchènes prorusses du dictateur Ramzan Kadyrov. En février 2023, par la voix du secrétaire d’État Antony Blinken, les États-Unis s’étaient officiellement alarmés du possible envoi par la Chine d’armes à la Russie. Mais, depuis un an, le sujet n’a pas été publiquement réévoqué par Washington.
Echanges commerciaux en hausse
Le soutien chinois à la Russie est surtout économique. Depuis le début de la guerre en Ukraine, les échanges commerciaux entre les deux pays ont fortement augmenté : ils ont atteint 240 milliards de dollars en 2023, en hausse de 26,3% sur un an, 2022 ayant déjà été une année record. Avec d’autres pays du «Sud global», Pékin permet également à la Russie de contourner les sanctions, notamment en matière de composants électroniques. La Russie est aussi devenue le premier fournisseur de pétrole de la Chine, devançant l’Arabie saoudite. En revanche, les Chinois se montrent toujours prudents sur le projet de gazoduc géant Force de Sibérie 2, pour lequel aucun contrat n’a encore été signé, au grand dam de Moscou. Malgré tout, l’économie russe ne s’est pas effondrée, loin de là. Au contraire, pour 2024, le FMI vient de rehausser sa perspective de 1,1% à 2,6%. Et le soutien chinois n’y est pas étranger.
Malgré cette déclaration de «soutien» de Dong Jun, l’Ukraine n’apparaît pas comme la première des priorités de la diplomatie chinoise. Le 27 janvier, à Bangkok en Thaïlande, la question de Taïwan a été le principal sujet de conversation entre le chef de la diplomatie chinoise, Wang Yi, et le conseiller à la sécurité nationale américain, Jake Sullivan, quelques semaines après la victoire à la présidentielle du camp prodémocratie dans l’ancienne Formose. Pékin et Washington ont qualifié leurs discussions de «franches» et «substantielles». Si le dialogue sino-américain n’est pas rompu, l’alliance entre Pékin et Moscou apparaît plus étroite que jamais, loin de l’idée un moment espérée par certains analystes que la guerre en Ukraine éloignerait les deux régimes. ■
Il faut vraiment être aveugle pour ne pas soutenir la Grande Russie contre l’impérialisme yankees et ses petits caniches européens tous plus minables les uns que les autres.