« Un gouffre se creuse entre les déclarations de Beauvau sur l’insécurité et la réalité du terrain »
Par Xavier Raufer.
Cette nouvelle contribution de Xavier Raufer est parue sur Atlantico le 29 janvier. Remarquable analyse que nous ne commenterons pas sauf pour dire qu’elle émane d’un spécialiste très avisé dont nous suivons les travaux depuis des années.
Plus encore que les autres, le ministère de l’Intérieur est au service exclusif et exigeant de l’État : sans ordre, l’État-nation est en effet voué à sombrer dans le chaos ; ainsi, le rôle de ce ministère est il préjudiciel ; même si, bien sûr, dans l’équilibre général de l’État, il ne compte ni plus ni moins que celui des finances, de la santé, etc.
Voici donc un ministère crucial pour la bonne marche de l’appareil d’État, dans son ensemble. Or depuis environ une décennie, quand M. Bernard Cazeneuve en était le ministre, la fonction même de l’Intérieur s’infléchit en un sens inquiétant. D’abord, ce fut une intimidation parfois brutale du service de com’ du précité sur les journalistes renâclant à sa propagande, pour les subjuguer ; désormais, on a en outre la domestication de divers syndicats de police et la mise des hautes sphères du ministère à disposition des ambitions effrénées du ministre.
Se creuse ainsi un gouffre entre les assertions propagandistes de Beauvau, « Pilonnage… Place nette »… etc., et la réalité du terrain, bien plus sinistre et inquiétante. De cela, d’indéniables exemples.
– La propagande-Beauvau se dépeint comme dominant son sujet, assurant la sécurité des Français, abordant l’avenir avec assurance, en connaissance de cause, face à des menaces identifiées, extrémismes, drogues, etc. Or à l’inverse, Beauvau, une fois de plus et peut-on dire hélas, comme toujours, n’a rien vu venir de la présente explosion de colère paysanne ; pas plus qu’il n’avait naguère capté l’imminence et la gravité de la crise des Gilets Jaunes, ni l’émeute de fin juin 2023, la pire en un siècle, 533 villes ravagées, un milliard d’euros de dégâts, etc.
Face aux bandes et au crime organisé, le travail de l’Intérieur défaille tout autant. Sans arrêt, des émeutes anti-police éclatent dans les zones hors-contrôle ; notre base de données criminologique en dénombre plusieurs chaque semaine de l’année ; certains moments, tous les soirs. Dans ces zones ou alentours, les bandits s’entretuent tant et plus, pour un trafic de stupéfiants qui s’étale et s’aggrave sans cesse. Dans les Bouches-du-Rhône, haut lieu du cinéma « sécuritaire » Élysée-Beauvau, les homicides explosent de plus 60% (soixante pour cent) en 2023, du jamais vu depuis qu’existent les statistiques officielles.
Les « succès » dans la lutte anti-drogue relèvent aussi du mensonge d’État. Jamais l’Amérique latine n’a produit-exporté plus de cocaïne. Rien qu’en Colombie, les hectares cultivés en coca frôlent les 250 000 ; sur place, dans la jungle, le prix du chlorhydrate de cocaïne (nom technique de la drogue) s’effondre à 2 000 US$ le kilo, tant on en produit ! Cette drogue inonde ensuite l’Europe par centaines de tonnes. En 2023, les saisies au seul port d’Anvers dépassent les 115 tonnes (cent-quinze-mille kilos).
Et le « pilonnage »-Intérieur là dedans ? Même un enfant comprend que, certes illicite, la drogue n’est une marchandise, soumise à la loi de l’offre et de la demande. Cours N°1, page 1, de « L’économie pour les nuls » : si à clientèle égale, l’offre diminue, les prix montent. Donc si le « pilonnage » des points de vente de la drogue réussit, le prix du gramme de cocaïne vendu dans la rue DOIT augmenter ; disons, passer de 80 à 120€ le gramme. Or depuis 2021, ce prix s’effondre de 30%, à désormais 60€/g ; 50€ même dans le Nord, près d’Anvers-Rotterdam. Côté héroïne, on en trouve désormais au Nord-est de la France à moins de 10€/g, prix effrayant mettant cette drogue mortelle à la portée des enfants à l’école…
Les cambriolages maintenant : ils explosent, surtout dans les campagnes, dans des proportions telles que, dans la « zone gendarmerie » d’un département-test, on en est sur 2023, à plus 200%, 40 à 50 effractions par semaine !
Le ministère de l’Intérieur devrait révéler aux Français le réel criminel, plaisant ou pas ; allant ou non dans le bon sens. Ensuite seulement, exposer son propre travail ; enfin, prouver que celui-ci réduit la pression criminelle sur la population. Or depuis une décennie, Beauvau ne dépeint quasiment que son propre boulot (« tant de perquisitions… d’arrestations… etc.) ; ce dont franchement, toute victime de l’insécurité se fout. Si vous menez à l’hôpital un enfant avec 40° de fièvre, vous n’attendez pas du médecin qu’il glose sur les piqures faites ou les cachets dispensés ; vous voulez juste qu’il ramène, vite et bien, la fièvre de l’enfant à 37°, voilà tout.
Or à la sécurisation des Français se substitue désormais la protection de clandestins, parfois dangereux, et un feu d’artifice de bobards sur la réalité criminelle du pays : camouflage du nombre réel des cambriolages ; jongleries indignes entre « nature d’affaire » et « nature d’infraction », pour éluder le nombre réel des vols à main armée ; propagande creuse sur des succès fictifs ; on en passe et de tout aussi graves.
Nous parlions au début de gouffre : il se creuse ici, entre ce que les Français voient jour après jour de leurs yeux, et les assertions officielles ; dernières en date, celles du président Macron, attribuant l’insurrection criminelle de l’été 2023 à « De jeunes Français qui s’ennuient » ; plus celles du ministre de l’Intérieur rêvant tout haut qu’on arrête des « Kevin » et des « Matteo », sur ces champs de bataille que multiplient l’impéritie officielle.
Qu’un ministre ou qu’un président décollent du réel est dans l’ordre des choses ; que les hautes sphères d’un ministère accompagnent ce dérapage au lieu de le critiquer puis de le corriger, l’est nettement moins. En politique, les situations évoluent ; mais la neutralité de l’appareil d’État doit, elle, être constante. ■