L’école sous influence.
Par Jean-Paul Brighelli.
Cet article – brillant, comme à l’ordinaire – est paru dans Causeur, hier, 7 février. Comme on le verra, il soumet son texte à la sagacité et à la critique des lecteurs. Nous aurions mauvaise grâce à ne pas en faire autant, alors que nous le reprenons à raison de son intérêt et de sa qualité. Suggestion facile : peut-être faudrait-il objecter à Jean-Paul Brighelli, à qui l’on n’a pas besoin de le dire deux fois, que tant que l’Occident se définira par le Coca Cola, le fanatisme islamiste ou tout autres qui courent le monde, n’aura pas à s’inquiéter de l’avenir. .
Jean-Paul Brighelli s’est attelé à la refonte de son ouvrage de 2006, Une école sous influence, où, parmi les premiers, il dénonçait la mainmise islamique sur des élèves auxquels on n’apprenait plus rien. Les faits lui donnaient raison à l’époque, et l’ont malheureusement conforté, ces vingt dernières années, dans sa conviction : si on laisse une cervelle inoccupée, elle s’emplit de n’importe quel prêt-à-penser sous la forme d’un prêt-à-croire. Il soumet ici à la sagacité (et à la critique) des lecteurs ce qui devrait être son premier chapitre.
Sans doute vous rappelez-vous la splendide formule de Patrick Le Lay, alors président-directeur-général du groupe TF1 : « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible ».
Autant donner la citation dans son contexte (in Les Dirigeants face au changement, Editions du huitième jour, 2004) :
« Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective business, soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit. Or, pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible.
« Rien n’est plus difficile que d’obtenir cette disponibilité. C’est là que se trouve le changement permanent. Il faut chercher en permanence les programmes qui marchent, suivre les modes, surfer sur les tendances, dans un contexte où l’information s’accélère, se multiplie et se banalise.
« La télévision, c’est une activité sans mémoire. Si l’on compare cette industrie à celle de l’automobile, par exemple, pour un constructeur d’autos, le processus de création est bien plus lent ; et si son véhicule est un succès il aura au moins le loisir de le savourer. Nous, nous n’en aurons même pas le temps ! »
Évidement des jeunes cervelles
J’ai dit « splendide formule », parce qu’il est rare qu’un chef d’entreprise avoue avec un cynisme aussi parfait quel est son but final. Et aussi parce que, comme toute formule vraie, elle marche avec n’importe quel exemple. Tenez :
« À la base, la fonction actuelle de l’enseignement de l’ignorance, selon la belle formule de Jean-Claude Michéa, c’est d’aider Tariq Ramadan, les Frères musulmans et l’Internationale woke à vendre leurs produits. Et pour cela, nous leur fournissons du temps de jeune cerveau humain disponible ».
Il y a deux leviers dans ce processus, activés en même temps. D’un côté, la logique ultime de la société du spectacle, où Télévision et Ecole fournissent non des savoirs mais des divertissements — ce qui, au sens pascalien originaire du texte, signifie un détournement de l’esprit vers des sujets annexes ludiques et vides de sens. D’un autre côté, les pédagogies de l’évidement des jeunes cervelles offrent aux divers fanatismes qui actuellement se disputent la possession de ces espaces vierges un merveilleux champ d’expérimentation.
Si vous n’apprenez pas en classe que la Terre est ronde, alors qu’on le sait au moins depuis le Vème siècle av. J.C., ce qui a amené bien des explorateurs à se lancer dans des expéditions lointaines, Pythéas à l’extrême nord, Hannon ou Euthymènes au sud… Si vous n’apprenez pas en classe que la Shoah a fait 6 millions de morts, et que le Grand Muphti de Jérusalem l’approuvait entièrement, comment voulez-vous que des banlieusards fanatisés par des prêches et des médias incontrôlés ne pensent pas qu’Israël a inventé les crimes du Hamas ?
Revenons à Patrick Le Lay. Tous les mots dans son explication ont un sens précis. Par exemple, lorsqu’il note que « la télévision, c’est une activité sans mémoire », il touche au plus près du fonctionnement majeur de notre présent : il n’a pas de passé.
C’est un fait sidérant, et essentiel : les jeunes ignorent qu’il s’est passé quelque chose avant leur naissance — pas même que leur père a mis son p’tit zinzin dans le p’tit machin de leur mère, comme chantait le regretté Henri Dès. Rien. L’Histoire commence avec la génération Z.
L’islam procède de même. Et pour être tout à fait cohérent, il élimine, dès qu’il en a l’occasion, toutes les traces des civilisations qui l’ont précédé —parce qu’il n’est pas lui-même une civilisation, contrairement à ce qu’affirment les béats de l’islamisation, mais la négation de toutes les autres. Il dynamite les bouddhas de Bamian, exécute le directeur des antiquités de Palmyre, attaque le musée du Bardo en Tunisie.
En 2015, j’écrivais sur ce dernier événement : « La « destruction des idoles » ne suffit pas à expliquer cet acharnement, au marteau-piqueur ou à la kalachnikov, à bousiller des œuvres d’art : il s’agit d’éradiquer le Temps. Les témoignages du Temps. D’en finir avec l’Histoire par d’autres voies que celles qu’avait imaginées Francis Fukuyama ».
À un dieu incréé doit correspondre un monde immuable. Terre brûlée et tabula rasa. L’islam est la religion d’un désert qui entend le rester.
Pourquoi tant d’élèves musulmans méprisent-ils ce qu’on cherche à leur enseigner ?
D’ailleurs, chaque fois que l’islam a rencontré dans ses rangs un savant, il a tout fait pour l’éliminer. Il met Avicenne en prison, et en 1182, le calife Abu Yusuf Yaqub al-Mansur lance contre Averroès une campagne de diffamation et d’interdictions qui amènera le philosophe à être exposé à la risée publique dans la mosquée de Cordoue, et finalement exilé jusqu’à sa mort. Chance, il n’a pas fini empalé.
Ah, ils ont bonne mine, les thuriféraires d’Al-Andalus !
D’où la répugnance aux études de nombre d’élèves musulmans. Pas tous : il en est qui ont réfléchi, et qui ont choisi la voie du savoir — et très probablement celle de l’agnosticisme : on estime à 40% le nombre de musulmans athées. D’où leur contestation de tout ce que dit le prof — et surtout, de tout ce que dit la prof : le mépris des femmes, qui se révèle si bien dans les sacs-poubelles dont ils les obligent à se vêtir, s’étend aux enseignantes, y compris dans le Supérieur. Manque de pot, elles sont majoritaires dans la plupart des disciplines, aujourd’hui. Ah, l’identification est bien difficile pour les garçons !
En revanche, ces mêmes croyants sont de grands consommateurs de boissons sucrées, ce qui entraîne une double épidémie, d’obésité d’abord et de diabète ensuite. Un médecin à qui ses patients musulmans et diabétiques demandaient s’ils pouvaient quand même faire le ramadan leur répondait de façon impavide : « Vous pouvez — mais vous mourrez ». Et de leur expliquer que le Coran a prévu la dispense de jeûne pour les malades. Mais qui va croire la parole d’un roumi, quand le premier prêcheur inculte venu de Turquie ou d’outre-Méditerranée affirme le contraire ?
Il n’y a qu’à voir, dans les marchés musulmans de ma bonne ville de Marseille, les pyramides de boissons sur-sucrées aux couleurs chatoyantes. Leur consommation fait partie de la stratégie du canapé chère aux institutionnels du divertissement télévisé, quand la seule activité physique consiste à appuyer sur les touches d’une télécommande.
Au même moment, on apprend que l’organisation des Jeux olympiques, à Paris, a affermé l’événement à la société Coca-Cola. Comme l’écrivait Le Monde dès septembre 2023 : « Parrain officiel du relais de la flamme, expliquent dans le « quotidien du soir » les docteurs Pierre-Vladimir Ennezat et Guillaume Sarre, Coca-Cola a également obtenu le privilège d’avoir son image jouxtant celle des porteurs du flambeau. La multinationale est une nouvelle fois associée à l’idéal d’un esprit sain dans un corps sain, visant ainsi à être assimilée, dans l’esprit du grand public, à une boisson pour sportifs.
« Pourtant, l’organisation des JO en France était une belle occasion pour promouvoir la santé et réduire nos dépenses de soins abyssales. Malheureusement, le choix de Coca-Cola comme sponsor n’incite pas à l’optimisme. Car il est bien documenté que la consommation de boissons sucrées (jus de fruits et sodas) provoque un dérèglement métabolique contribuant largement à une pandémie meurtrière et silencieuse : celle des maladies chroniques dites « non transmissibles ». »
Le slogan doit changer, et les J.O. peuvent le partager avec l’Ecole : Un esprit malsain dans un corps malade — ou le contraire, à votre guise. ■
Agrégé de Lettres modernes, ancien élève de l’École normale supérieure de Saint-Cloud, Jean-Paul Brighelli est enseignant à Marseille, essayiste et spécialiste des questions d’éducation. Il est notamment l’auteur de La fabrique du crétin (éd. Jean-Claude Gawsewitch, 2005).
L’agriculture et la télévision: modèle réduit grossissant d’une autre dipôle : le travail et l’oisiveté.
Il est clair que le travail va vers les systèmes techniques complexes, au détriment des tâches, disons, « moyennes », comme les classes qui s’en chargent. Restent les fonctions de base, terre à terre, de présence physique, salissantes ou répétitives, laissant peu de place à l’initiative (c’est même souvent le contraire). La productivité extraordinaire du travail complexe rend vitale l’écoulement massif et régulier de ses productions, mêmes superflues ou insalubres.
La vie d’avant exigeait, du travail, agricole, manuel, artisanal, occupant, formant, promouvant (élevant), des masses de citoyens actifs. L’école supérieure y ajoutait, pour la minorité apte, l’initiation aux choses de l’esprit, aux abstractions. Sans idéaliser ce monde d’avant, il ne connaissait ni l’oisiveté forcée ni la surabondance de biens aussi triviaux, inutiles et malsains que le Coca-Cola. J’ai ressenti une émotion inattendue en visionnant, sur le net, « Biquefarre » et Farrebique », les films évoqués par P. Builly. On pouvait encore s’émerveiller des inventions et des naissances.
Ajoutons au tableau moderne la télévision et le canapé et nous trouvons le monde décrit par Brighelli : un école largement égarée dans l’occupation pour l’occupation, le gardiennage d’adolescents, la figuration, le simulacre, les leurres, les mensonges; la télévision promouvant les revendications triviales (il y en a d’essentielles), la facilité, l’ignorance et l’abêtissement ; l’obésité et le diabète (entr’autres problèmes). à la sortie.