Par Philippe Mesnard.
J’ai souvent souligné la parenté profonde entre Macron et le pape François, tous les deux révolutionnaires, autoritaires et populistes : leurs constants appels à abandonner le vieux monde, le mépris dont ils accablent ceux qui refusent le changement, leurs manières roides de tancer les récalcitrants, enfin leurs constantes invocations au peuple, qui saurait seul ce qui est bon pour lui et qu’eux seuls sauraient écouter. Tout cela est frappant et constant.
Le populisme de ces deux autoritaires a un petit parfum de démocrature crânement assumée, façon « Je me dévoue, il faut bien qu’il y ait un courageux pour passer outre les institutions surannées et les vieilles gardes crispées ». Volontiers prophétiques, ils se posent en interprètes clairvoyants et exclusifs des aspirations tacites de leurs peuples, de leur confus désirs, auxquels eux seuls savent donner une forme intelligible – quitte à ignorer ce que disent et désirent réellement leurs peuples.
Sur la question de l’immigration, alors que les députés ont travaillé des mois durant à produire – pardon, coconstruire – un texte de loi entamant un très léger retour de balancier pour endiguer le flot d’une immigration très majoritairement refusée par la population, alors que ces députés représentants du peuple souverain ont majoritairement voté cette loi, le président Emmanuel Macron a fait comprendre que cette loi était mauvaise à ses yeux et a demandé à son préfet du dicastère pour la Doctrine de la Foi (je veux parler de Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel) d’annihiler purement et simplement la majeure partie du travail effectué au nom d’une interprétation si exacte de la Constitution qu’on nous explique que le regroupement familial n’a rien à voir avec l’immigration : « et voilà pourquoi votre peuple est muet ». La France restera donc le pays européen le plus ouvert à l’immigration, ce qui n’empêche pas le président et ses troupes de se féliciter d’avoir donné aux Français le bouclier qu’ils réclamaient.
Dans cet exemple de l’immigration, on mesure le point où la sécession des élites en est rendue – mais on mesure aussi que ce schisme assumé entre la classe dirigeante et le peuple est en train de produire un curieux amalgame, une régénérescence du corps social, une coagulation inattendue anti-européenne, anti-gouvernementale. Voilà que les schismatiques, qui accusaient bien évidemment les Français délaissés par leur prétendu progrès d’être eux-mêmes des facteurs de désunion, réalisent contre eux l’union des paysans, bientôt rejoints par d’autres catégories et surtout plébiscités par le peuple, qu’on n’a jamais vu si unanime dans son soutien aux factieux et son rejet du président.
Faire fi des oppositions exprimées, des écrits déjà produits et même de la doctrine établie
À force de fragmenter les Français, la caste au pouvoir a perdu sa légitimité et les appels sans échos de Macron à l’unité autour de son projet ont fait naître une autre unité. De même François, avec son synode sur la synodalité synodalisante, a-t-il à son habitude joué la partition de la coconstruction pour mieux faire avancer ses propres idées et, n’ayant pas réussi à imposer ses synthèses déjà rédigées, a missionné le cardinal argentin Victor Manuel Fernandez pour produire une déclaration aussi subtile qu’une décision de notre Conseil constitutionnel et aussi solide sur le fond comme sur la forme ; déclaration qui faisait fi des oppositions exprimées, des écrits déjà produits et même de la doctrine établie.
Et voilà que, là aussi, les oppositions coagulent : vieil Occident et jeune Afrique, conservateurs américains et progressistes français, les évêques osent enfin dire au pape qu’ils en ont assez d’une part de devoir justifier des inepties, d’autre part de voir leur autorité sans cesse amoindrie au mépris des règles de l’Église, qui plus est par un Vatican soi-disant synodalisé jusqu’au cœur. François, qui déclarait le 10 septembre 2019 n’avoir pas peur du schisme (entendez qu’il pensait laisser prendre la porte de l’Église à ses adversaires tout en les accusant d’être rigides et de manquer à la miséricorde), se retrouve forcé d’admettre que son autorité est géographiquement bornée. Voilà que le peuple de Dieu lui offre un consensus auquel il ne s’attendait pas. De même que sa pastorale lui permet d’évincer la doctrine tout en prétendant n’y pas toucher, voilà que la démocratie synodale permet de renoncer à l’obéissance sans tomber dans le schisme.
Dans les deux cas, l’instrumentalisation du schisme entre méchants et gentils, réactionnaires et progressistes, réalistes et rêveurs, fidèles et indéterminés, finit par se retourner contre ceux qui prétendent rassembler tout en divisant et expliquent que la fidélité la plus haute implique les changements les plus radicaux. Puissent ces fragiles unités reformées être les prémices de plus stables rétablissements. ■
Article précédemment paru dans Politique magazine.
Parfaitement d’accord