« D’où provient cette terrible vague qui menace d’emporter tout ce qui est particulier dans nos vies ?
Quiconque y est allé le sait : d’Amérique.
Sur la page qui suit la Grande Guerre, les historiens du futur inscriront notre époque, qui marque le début de la conquête de l’Europe par l’Amérique. Ou pis encore, cette conquête bat déjà son plein, et on ne le remarque même pas.
Chaque pays, avec tous ses journaux et ses hommes d’État, jubile lorsqu’il obtient un prêt en dollars américains.
Nous nous berçons encore d’illusions quant aux objectifs philanthropiques et économiques de l’Amérique : en réalité, nous devenons les colonies de sa vie, de son mode de vie, les esclaves d’une idée qui nous est, à nous Européens, profondément étrangère : la mécanisation de l’existence.
Mais cet asservissement économique me semble encore peu de chose en comparaison du danger qu’encourt l’esprit. » ■
Stefan Zweig, « L’Uniformisation du monde », Allia, 2021
COMMENTAIRE – David L’Epée a bien raison de citer Stefan Zweig, digne témoin de la vieille vraie grandeur européenne. Je n’imagine pas qu’il pourrait avoir le moindre penchant pour les institutions de Bruxelles, plus américaines qu’européennes. Je ne crois pas non plus qu’il croirait à une unité européenne quelconque au sens politique ou étatique. En revanche, il fut un grand esprit européen comme Valéry, Thibon, De Gaulle, Maurras, Adenauer et tant d’autres. David L’Epée n’ignore sûrement pas que Maurras, lui aussi, était contre l’uniformisation du monde. Il trouvait qu’elle était de toute façon impossible et qu’un monde indifférencié serait en tout cas bien ennuyeux. Les maurrassiens le savent-ils ? Zweig c’est autre chose ! ■ GP