Tableau noir, ou quand les « apprenants » deviennent incontrôlables
Par Jean-Paul Brighelli.
Cet article – brillant, comme à l’ordinaire – est paru dans Causeur, hier, 12 février. Faut-il y ajouter un commentaire ? Soumettons-le plutôt à la sagacité et à la critique des lecteurs. de JSF souvent prolixes. Et utilement. Ils ajoutent à la vitalité de ce quotidien qui, d’ailleurs, n’en manque pas, Et cela se sait. À preuve : les nombreux nouveaux abonnés à notre « lettre » du matin et les multiples « partages » de certaines de nos publications sur les réseaux sociaux et autres
Les élèves ne sont pas les mêmes, disent les pédagos. À élèves différents, pratiques diverses, ajoutent-ils. Oui — mais ils ne disent pas ce que tous les enseignants constatent : les « apprenants » sont désormais incontrôlables.
Ma consœur Mara Goyet, qui enseigne l’Histoire-Géographie, s’est fait connaître au fil des années 2000 par des ouvrages pertinents sur le collège — et écrits avec moins de hargne que les miens, ce qui la rendit plus fréquentable. Entre autres : Collèges de France, Fayard, 2003 ; Tombeau pour le collège, Flammarion, collection Café Voltaire, 2008 ; Collège brutal, Flammarion, collection Café Voltaire, 2012 ; Finir prof. Peut-on se réconcilier avec le collège ?, Robert Laffont, 2023.
Et voici que cette dame, qui sait tenir une classe, confiait à Facebook il y a quelques jours :
« C’est une réflexion un peu étrange que je me suis faite hier soir après une heure de cours un peu éprouvante. Je me suis dit que j’allais y repenser après une « bonne nuit de sommeil ».
« Depuis deux ou trois ans, j’ai le sentiment qu’un verrou a sauté. Une partie des élèves nous parle de plus en plus mal. Comme on ne parle ni à un professeur, ni à un adulte. Comme on peut sans doute parler à ses parents en pleine crise d’ado. Et encore.
« C’est un mélange de mépris, de contestation, de plainte et de dénonciation de grave injustice. Dans ces moments-là, l’enseignant est à la fois rien et un bourreau. Ce qui est le plus étrange c’est que cela peut venir d’élèves que l’on a aidés, que l’on aime bien, avec lesquels on peut tout à fait avoir un lien. J’ai vécu l’an dernier ce retournement de manière spectaculaire avec une élève que j’aimais et soutenais beaucoup.
« J’enseigne depuis 27 ans dont 11 ans en ZEP, je ne découvre donc pas la potentielle violence de certains élèves. Mais là, j’ai le sentiment que c’est un peu différent. Il ne s’agit pas d’altercations ni de confrontations. Cela peut se dérouler dans un contexte serein et cela ne prend pas forcément l’aspect d’une crise. »
Et de s’enquérir : « Vous avez des idées ? »
Déconfiture
Ses pistes personnelles ne sont pas à négliger : « L’idée qui m’est venue hier c’est qu’il y a un lien avec l’assassinat de Samuel Paty. Si la majorité de l’opinion voit désormais le courage, la solitude et l’investissement des enseignants, une autre a pris toute la mesure de leur vulnérabilité. Certains élèves n’aiment pas les victimes. Le terme est une insulte. Une faute. Une faiblesse. Une victime se doit donc d’être victimisée ou méprisée (elle est responsable de son état ; prof est un métier de lâche ; d’ailleurs, lors des minutes de silence pour Samuel Paty, les élèves sont en général polis mais beaucoup ne semblent pas spécialement concernés). Quand on ne se laisse pas faire, il y a un retournement immédiat qui consiste à se victimiser soi-même (« pourquoi moi », « qu’est-ce que j’ai fait », « pourquoi c’est toujours moi », « ça se fait pas »). »
J’ai fait ma petite enquête auprès des collègues en exercice dans des zones difficiles — mais qui ne sont pas forcément labellisées ainsi.
L’une met en cause le confinement : en deux ans d’école supprimée ou bancale, les élèves ont perdu l’habitude d’écouter, voire tout simplement d’être assis. Ils s’étonnent encore de ne pas pouvoir se lever pour aller chercher un Coca dans le frigo.
Une autre pense à l’extrême féminisation du corps enseignant. Et de préciser — pour mettre les points sur les i : « Quand j’étais en collège en banlieue parisienne, il y a une bonne quinzaine d’années, les collègues femmes et moi avions déjà nettement plus de problèmes de discipline (ou même de statut) que les « collègues hommes ». Et oui, c’est certainement lié aussi (pas seulement mais aussi) à un certain type de public qui a une relation particulière aux femmes, et carrément compliquée aux « femmes de savoir ». »
Une autre, qui enseigne en CPGE, note : « Il y a certainement aussi une perte de limites, d’autorité, que mes collègues de prépas scientifiques constatent désormais y compris avec les élèves de ces prépas en cours de maths ou physique. En français ou philo, c’était habituel depuis que j’y suis (14 ans), et cela s’est aggravé. Mais je l’imputais au fait de ne les voir que peu, d’être une matière à faible coefficient — comme la musique ou le dessin en collège…
Mais donc les élèves qui n’écoutent pas, ne bossent pas et de surcroît contestent (et s’imaginent qu’ils sont brillants), il y en a désormais en prépas… »
Enfin, telle enseignante en IUT se trouve en butte à l’hostilité pas même camouflée des Musulmans locaux, qui ne tolèrent pas qu’une femme leur enseigne quoi que ce soit. Quand de surcroît elle a les cheveux courts, on l’identifie immédiatement comme « gouine », ces adorables bambins adultes n’étant jamais à court d’un cliché.
J’ajouterai la prépondérance éducative, à la maison, des théories (et pratiques) de l’enfant-roi, qu’il soit considéré comme HPI (forcément puisqu’il est intenable) ou tout simplement comme le petit mâle auquel ses sœurs et sa mère doivent obéir. La gifle se fait rare, la fessée est proscrite. Il en est à la maison comme à l’école : désormais, on écoute ce que le petit morveux croit avoir à dire : les femmes sont impures et la terre est plate.
Les raisons d’une déconfiture ne sont jamais uniques. Elles sont multi-factorielles. Mais il y a un axe de lecture qui n’a pas été pris en compte dans cette recherche des causes d’ensauvagement : c’est le facteur-temps. L’évolution vers la sauvagerie et la bestialité n’a pas été régulière. Elle s’est singulièrement accentuée depuis quelques mois.
Certes, la situation s’est lentement dégradée depuis une dizaine d’années. Le confinement a donné un coup d’accélérateur — mais au fur et à mesure que l’on reprend en main les élèves laissés en jachère pendant deux ans, cela devrait se tasser. Or, la situation s’est brutalement aggravée à la rentrée de septembre, plus encore à celle de janvier.
L’après-Nahel
Début septembre, certains élèves étaient encore dans l’exaltation de leur joli coup de pseudo-émeute et de vrais pillages de début juillet. Ils avaient fait entendre leur puissance collective, face à des forces de l’ordre qui n’osent plus réagir — et ont d’ailleurs l’ordre de rester passive.
Depuis début janvier, c’est bien pire. En cause, le parti-pris pro-Gaza de nombre d’élèves musulmans. Déjà qu’il fallait gérer ceux qui niaient la Shoah (une invention des Juifs, comme chacun sait), il faut désormais faire avec ceux qui affirment que les bébés jetés dans les fours sont un pur mensonge israélien. Encouragés par des leaders politiques qui ne savent plus où ils ont rangé leur gauche, ils arrachent les photos placardées d’otages israéliens, et se lancent dans des campagnes de manifestations systématiques — tous les samedis. Et je passe sur les déferlantes de graffitis et autres bombages.
Spontanées, ces manifestations hurlantes ? Je n’en crois rien. Celles qui se déroulent dans la rue, avec haut-parleurs, banderoles et musique, sont soigneusement préparées. Aucune improvisation. Un orchestre clandestin s’est saisi de cette opportunité pour lancer à l’assaut de notre civilisation en général et de l’Ecole en particulier des hordes à intellect minimal et pulsions chauffées à blanc. Le moindre incident, la moindre mauvaise note, la moindre contestation de leur pouvoir de brutes sont autant de prétextes à protestations violentes, qui infailliblement amènent les parents à faire chorus avec leurs chers bambins si malmenés par le Système. Les agressions contre les surveillants, l’administration et les enseignants ne se comptent plus — sinon, chaque semaine, sur les cinq doigts de chaque main. On n’enseignait plus, depuis longtemps, qu’en atmosphère tendue. On ne bosse plus désormais qu’en atmosphère survoltée. En fait, on ne travaille plus du tout.
Il en est des élèves comme des supporters de foot (ce sont d’ailleurs souvent les mêmes) : ils s’alignent sur le comportement et les vociférations des plus bêtes — et le terme de « bête » n’est pas gratuit : ils ont renoncé au langage, ils sont passés à l’étape du cri inarticulé, et désormais l’étape suivante est le coup porté avec une spontanéité touchante… Après « À mort l’arbitre ! », on est passé à « À mort le prof » — et Samuel Paty ou Dominique Bernard portent témoignage du fait que ce ne sont pas des métaphores.
Alors, je pose une question très simple : jusqu’à quand les autorités tolèreront-elles que l’on assassine des enseignants — et continueront à s’étonner que l’on ait des problèmes de recrutement ?
Dernier point. Les cours d’« empathie », dans ces circonstances, risquent fort d’avoir un effet négatif. Les proies, désignées à la collectivité, ne connaîtront aucun apaisement — et les enseignants, qui ne sont pas partie prenante de l’empathie universelle, paieront les pots cassés des hormones réfrénées : le harcèlement vis-à-vis des profs, qui sont le fait des élèves et des parents, qui via Pronote envoient des messages insultants aux enseignants et à leur hiérarchie, parfois en pleine nuit, est en expansion lourde. On sait comment cela peut finir.
Quant aux groupes de niveau que devrait générer la fin du collège unique, ils risquent, s’ils ne sont pas gérés d’une main légère et avec beaucoup d’intelligence, avec des passerelles d’un groupe à l’autre tout au long de l’année, d’enfoncer les élèves les plus turbulents — qui sont neuf fois sur dix les plus faibles — dans une spirale descendante. Ils commenceront par dire « Je suis parmi les nuls parce que je suis noir / maghrébin / manouche. Et ils se vengeront. Ils savent qu’ils peuvent compter sur leurs parents, et sur leurs « grands frères ».
Interrogations abyssales. C’est peut-être la raison pour laquelle Mara Goyet, après avoir émis des questionnements fondés, a supprimé de sa page tout ce que j’ai reproduit ici — et que j’avais sauvegardé immédiatement après parution. ■
Agrégé de Lettres modernes, ancien élève de l’École normale supérieure de Saint-Cloud, Jean-Paul Brighelli est enseignant à Marseille, essayiste et spécialiste des questions d’éducation. Il est notamment l’auteur de La fabrique du crétin (éd. Jean-Claude Gawsewitch, 2005).
Excellent article , du vécu quotidien. A savoir que ça ne existe pas seulement qu’en France, mais aussi aux États-Unis où ma fille a enseigné en université récemment et a fini par prendre sa retraite anticipée parce qu’elle avait dans sa classe des étudiants qui changeaient de sexe et qui exigeaient du professeur de ne pas se tromper sur leur identité sous peine d’être taxée d’homophobe. Employer un article masculin au lieu de féminin vous conduit tout droit au bureau directeur de l’établissement pour un blâme et peu importe la qualité de votre enseignement la ligue LGBT est la plus forte.
J’ignore ce qui se passe ailleurs mais il est certain que le laxisme qui a interdit la fessée montre ses excellents résultats dans les familles comme à l’université.
« ça n’existe pas seulement qu’en France, mais aussi aux États-Unis ».
Non seulement cela, mais les USA sont dans une situation bien pire que la nôtre sur ce point.
Rien à rajouter
Je fais le même constat après 24 ans de carrière
Envie de fuir mais coincé par l’administration
très bon article qui confirme que les musulmans s’enferment dans l’ignorance, et l’échec, ils en blâmeront leur état de victimes, auto infligé, et ,n’échapperont pas à la décadence et l’arriération. Ce sera source de violence, cela est déjà le cas; ils n’en sortiront qu’en remettant en question l’islam, qui est à l’origine de leur situation.
très bon article qui confirme que les musulmans s’enferment dans l’ignorance, et l’échec, ils en blâmeront leur état de victimes, auto infligé, et ,n’échapperont pas à la décadence et l’arriération. Ce sera source de violence, cela est déjà le cas; ils n’en sortiront qu’en remettant en question l’islam, qui est à l’origine de leur situation.
Il faudrait rappeler à ces jeunes voyous, que l’esclavage a été aboli en France, donc ils sont libres de repartir au pays de leur ancêtres et remplacer la bagnole par un chameau bien plus « écolo »
Ma foi, si ce n’est pas là une démonstration de la plus totale faillite du «système», c’est-à-dire, la mise en perspective froide du point de non retour auquel nous aboutissons, si ce n’est pas exactement cela, je veux bien consentir à me faire professeur…
Il reste à mesurer réellement ces propos, comprendre pourquoi – après réflexion – Mara Goyet a finalement préféré les retirer d’où elle les avait affichés… Sans doute, a-t-elle craint – plus redoutable que les «brutes, racailles et sauvageons» – sans doute, craint l’effet du courroux des «autorités compétentes», de ses semblables, terrorisés, gagnés à l’Adversaire et, par conséquent, passés du côté des Judas et du mouchard.
Ce qui est dit dans cet article devrait mettre en perspective les véritables «heures les plus sombres de l’Histoire» : essentiellement, celles que nous vivons à l’instant présent.
Être enseignant, c’est ne pas quitter le bateau quelque soit le vent, et Dieu sait qu’il peut souffler aujourd’hui,
mais avoir sa foi chevillée au corps: savoir qu’on est là pour transmettre, et non faire de la garderie. .Le reste la ( fausse) hiérarchie, le recteur, les parents, les directives, bien des collègues qui ne vous soutiennent pas,( cela peut changer) , il ne faut pas s’en occuper, et continuer sa route, les élèves quelque soient leur origine, vous le rendent s’ils vous sentent déterminé.. Les difficultés viennent comme toujours de l’administration.. Héroïques , oui c’est une ascèse dans un système qui tourne à vide- le ver était-il dans le fruit?- et se décompose derrière ses slogans creux et ronflants, mais nous n’avons pas le choix, nous y sommes acculés peut-être de là resurgira une école vraiment libre. . .
il faudrait qu’Henri apprenne sérieusement la syntaxe de quel(le) que, quelque que …
à Daumesnil : la syntaxe internetique est une fumisterie ! lorsque l’on dactylographie sur cette cochonnerie, on «s’en mêle» les pinceaux, si bien que les couleurs de la syntaxe caléiodscopent !
Il est tout à fait désobligeant de faire des remontrances de cette manière. Cela fait plusieurs fois qu’Henri doit supporter de pareilles pseudo-leçons de la part d’une station d’métro, un peu trop souterrain pour être honnête, Félixéboueur…
Même en s’appliquant, sur la zinternetrie, on tape à côté, on dérape, bref, on ne peut que «penser à côté» sur un terrain pareillement miné. Il est beau que, ici, assez souvent, les uns et les autres s’en sortent plutôt pas mal avec l’instrument démoniaque.