Par Dominique Jamet.
Deuxième article d’une nouvelle chronique hebdomadaire de Dominique Jamet dans Boulevard Voltaire. (9 février 2024). « Une parole libre » toujours empreinte de mesure, sagesse, expérience et talent. L’orthodoxie maurrassienne, il le sait bien, devrait nous amener à dire à Dominique Jamet que dans l’état où se trouve le Pays et la société française dans ses profondeur, un « sauveur », éphémère de par sa nature, serait un remède notoirement inférieur à la situation et aux enjeux de la nation. Pierre Boutang dirait qu’il lui faut « une pensée qui sauve« , une métanoïa plutôt qu’un sauveur ; des institutions transcendantes et pérennes ; « Reprendre le pouvoir » (et non le contrôle !) et pour cela renouer les fils entre pouvoir et légitimité, aujourd’hui disparue, d’où le mépris citoyen pour les politiques ; enfin que le sauveur naturel, le seul horizon qui tienne, est le Prince chrétien. Dominique Jamet pensera que nous en sommes trop loin pour en parler. Que la chose est trop improbable. Restons en là. L’Histoire produit de l’improbable, il suffit de la lire.
Ce n’est pas mépriser ou injurier le Salvador que de rappeler qu’il s’agit d’un petit pays. Le plus petit, et le plus pauvre, d’Amérique centrale, quelque part entre Honduras et Guatemala. Six millions et demi d’habitants – le dixième de la population française – s’y entassent sur 20.000 kilomètres carrés – les deux tiers de la Belgique.
Le nom du Salvador lui a été donné par les Espagnols, en référence à Jésus-Christ Sauveur du monde, et force est de constater, ma foi, qu’en juin 2019, lorsque Nayib Bukélé Ortez, âgé de trente-sept ans et parfaitement inconnu à l’extérieur, en devint le président avec 53 % des suffrages exprimés, sa malheureuse patrie, en danger, avait grand besoin d’un sauveur.
Miné par une corruption généralisée, rien ne semblait pouvoir arrêter le Salvador sur la pente fatale qui le voyait glisser, à l’image de l’Équateur et surtout du Mexique, vers le chaos, à savoir l’infiltration puis la submersion de l’État de droit et de la société entière par le crime organisé, en l’espèce les seigneurs du narcotrafic et leurs gangs tout-puissants dont les membres, sûrs de leur impunité, affichaient sans peur et sans vergogne leur affiliation à telle ou telle bande ou mafia dont ils se faisaient tatouer sur le visage et sur le corps le nom et les emblèmes.
Quelques chiffres spectaculaires pour donner une idée de la situation. Pour toute l’année 2019, le Salvador enregistrait 2.400 homicides, à comparer avec les quelque 1.000 relevés en France, dix fois plus peuplée, rappelons-le. Le taux des meurtres pour 100.000 habitants s’élevait à 58 pour 100.000 habitants, contre 1,2 chez nous.
Un réel passage à l’acte
Deux ans plus tard, le nombre des homicides au Salvador avait baissé, à 1.147. En 2023, il s’établissait à 495 et le taux pour 100.000 habitants tombait à 7,8, le plus bas jamais constaté au Salvador. C’est que le président avait décrété l’état d’urgence et ne s’était pas borné à déclarer dans les mots mais avait poursuivi dans les faits et dans le droit une guerre totale contre le crime en mettant l’armée, la police et la justice au service de cette priorité absolue.
Les médias du monde entier ont braqué leurs projecteurs, ces dernières semaines, sur les formes et sur les conséquences de cette offensive que le président Bukélé entend mener jusqu’à la victoire, et d’abord sur les gigantesques centres de rétention qu’il a voulus et conçus à la mesure du problème qui lui était posé. Pour ce faire, il n’a pas hésité à faire arrêter et incarcérer plus de 60.000 délinquants supposés, soit 1 % de la population du Salvador, identifiés sur la base de leurs tatouages, de leurs forfaits ou de simples soupçons. Certains se sont élevés contre des arrestations arbitraires, contre la lenteur des procédures qui ont abouti à la libération d’innocents injustement inquiétés. Ils n’ont pas tort sur le principe, mais ils refusent de voir que c’était le prix à payer pour aboutir au résultat cherché : la mise hors d’état de nuire des dizaines de milliers de déclassés, de dévoyés et d’opportunistes qui avaient plus ou moins clairement parié sur la pérennité et la victoire de la mafia et cru trouver des emplois plus rémunérateurs et paradoxalement plus sûrs en dehors de la légalité.
Une réélection qui en dit long
Le peuple salvadorien a tranché, et de quelle manière ! En réélisant Bukélé avec 83 % des suffrages, en élisant 58 députés de son parti sur les 60 membres du Parlement au terme d’une consultation dont nul n’a contesté la régularité, il a plébiscité un homme qui a retenu son pays au bord du précipice et qui, à défaut de lui apporter dès à présent la prospérité, a restauré l’État en lui faisant remplir la première mission qui lui incombe : assurer la prééminence de la loi sur la violence, du droit sur le crime, garantir la sécurité et la vie des citoyens.
Nous suivons en France un tout autre chemin. La violence sociale, sous toutes ses formes, après avoir longtemps et continûment reculé, progresse de nouveau à bas bruit. Au lieu de construire des prisons à la mesure des chiffres de la délinquance et des besoins de l’ordre public, la Justice module de plus en plus ses condamnations sur l’insuffisance des espaces dévolus à l’incarcération. La police voit les tribunaux détricoter chaque matin par le biais des sursis, des aménagements et des réductions de peines le travail ingrat qu’elle a réalisé la nuit précédente. Plus grave : en conjuguant la prohibition théorique des diverses sortes de stupéfiants mais en déléguant dans la réalité leur commercialisation au crime organisé, nous avons permis à la mafia de la drogue de recruter une armée du crime qui, suivant les ordres qu’elle recevra, peut indifféremment maintenir la paix sociale ou déchaîner la guerre civile. Nous aussi, comme les Salvadoriens, nous sommes en quête mais, moins chanceux qu’eux, nous sommes en peine d’un sauveur. ■
Construire des prisons et des centres de rééducation sont évidemment la première chose à faire Mais nos gouvernants sont des couards ou des esclaves
Quelle chance ont ces gens d’avoir un tel président à leurs têtes. Quand on voit par quoi, nous Français sommes gouvernés, il y a de quoi être inquiet. Il nous reste à espérer qu’un homme ou une femme capable et honnête puisse reprendre sérieusement les rênes de ce pays .
@Euzennat de Coux : pas si simple de construire des prisons ou des centres de rétention ! Il faut savoir que la quasi-totalité des communes refusent absolument d’en accueillir. Elles en veulent… chez les autres.
Tant qu’on n’aura pas tordu le bras des élus, on n’arrivera à rien.