Polanski : Vampire, vous avez dit vampire ?
Par Sabine Prokhoris.
Cet article – brillant – est paru dans Causeur, le 20 février. Nous ne sommes pas compétents du tout pour porter un quelconque jugement moral sur Roman Polanski et, au demeurant, si nous l’étions, ce ne serait pas le critère pertinent pour juger de son œuvre artistique. Encore moins pour l’exclure du domaine public des ouvrages de l’esprit. Nous avons affaire depuis déjà un certain temps à une « cabale des dévots » à la sauce Woke. Rappelons que le Tartuffe a survécu bien des siècles à celle qui, sous le règne de Louis XIV avait prétendu l’interdire. Elle échoua.
On apprend que le Festival du film fantastique de Gérardmer a retiré Le Bal des Vampires de la rétrospective « Vampires » de son édition, au motif que « le nom de Roman Polanski suscitait l’effroi » parmi les (jeunes) membres du jury du court-métrage.
À vrai dire on se pince, tant cette information ressemble à un (très) mauvais canular. Ainsi les responsables du festival, pitoyablement soumis à une poignée d’activistes décérébrés, cèdent devant le prétendu « effroi » de petits maîtres censeurs ivres de leur misérable pouvoir d’intimidation. Au lieu de rire au nez de ces piètres épouvantails qu’épouvante, paraît-il, le « monstre » Polanski, et de les recadrer comme il se doit, ils renoncent à projeter le film. Pour épargner à cette innocente (et passablement ignorante) jeunesse quelque terrible « traumatisme » peut-être ? Pour ne pas se trouver à leur tour la cible de la réprobation des commandos #MeToo ? Tous aux abris alors ! Et tant pis pour l’intelligence et l’honnêteté. Du moment qu’on se trouve assuré d’être dans la zone d’intérêt, dûment sécurisée, du « Bien » selon #MeToo… Ouf, ils l’auront échappé belle – grâce à la si pure bêtise du Comité de Salut public du jour qui édicte le « vrai » et le « bon ». On attend maintenant leur acte de contrition (très tendance par les temps qui courent) pour avoir songé, ô scandale, à programmer un film du « prédateur » prototypique, « violeur-de-fillettes » comme chacun sait.
Honte à eux.
Honte à eux parce qu’ils saccagent tout regard libre sur l’œuvre d’un cinéaste dont les films, exceptionnelle et vitale école de la lucidité, nous offrent le précieux cadeau d’un art qui élargit et affine notre perception du monde et de nous-mêmes, de l’inépuisable mystère humain en somme.
Honte à eux parce qu’ils assurent, par leur pleutrerie écœurante, le règne tyrannique de la désinformation – et des aveuglements volontaires – quant à tout ce qui touche à ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Polanski ».
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Désinformation permanente s’agissant de ce qui est arrivé en 1977 avec Samantha Geimer – une relation illicite avec une mineure, infraction pour laquelle Polanski a plaidé coupable, purgé la peine fixée (et au-delà), puis s’est trouvé victime de la délinquance judiciaire caractérisée de magistrats américains drogués aux scandales médiatiques. En dépit de cela, c’est le mot de « viol » qui demeure encore agissant dans l’opinion publique, par l’intermédiaire de la plupart des médias, couplé à la croyance entretenue que Polanski aurait fui la sanction méritée.
Aveuglements volontaires – voire complaisances à questionner – quant à des incriminations pour le moins sujettes à caution mais valant preuves (selon le dogme « Victimes on vous croit ! ») qui, telles des algues vertes prolifèrent autour de Polanski, en une litanie d’accusations dépitées plus opportunistes les unes que les autres. Qui osera examiner avec un peu de distance critique, et les yeux ouverts, les affirmations de ses accusatrices en série, peu soucieuses de leurs propres contradictions (Charlotte Lewis), ou de l’incohérence de leurs comportements : sauter au cou de son « agresseur » cinq mois après le viol avec violence allégué, comme le fit par exemple Valentine Monnier devant témoins ? Une toute petite dissonance, qu’on mettra sans sourciller sur le compte de « l’amnésie traumatique ». Qui relèvera les invraisemblances de leurs « récits » ?
Honte à eux parce que, faisant mine d’accorder du crédit à l’« effroi » fabriqué de ces médiocres et tout-puissants justiciers, ils perpétuent en somme, sans le savoir sans doute, l’ignoble soupçon qui pesa sur Roman Polanski après l’assassinat de son épouse Sharon Tate – interprète exquise du Bal des vampires –, que résuma avec une obscène infatuation Jean-Pierre Elkabbach osant lui susurrer, lors d’une interview en 1979, dix ans après le crime, « mais tout de même, vous n’étiez pas tout à fait innocent ». Un « monstre », on vous dit…
De quoi être saisi d’effroi en effet – mais face à l’horreur éhontée des propos du journaliste. Lequel dans la même interview attribua également à Polanski un goût coupable pour les « petites filles ».
Où nous retrouvons la confusion du jour, qui ne sait ni ne veut distinguer la fillette de la jeune fille.
Honte à eux tous.
« Combien de millions de fois faut-il répéter un mensonge pour qu’il devienne – momentanément – l’équivalent d’une vérité ? Beau problème pour un mathématicien de la psychologie des foules », se demandait jadis Clemenceau.
Concernant Roman Polanski et l’injuste opprobre dont on l’a recouvert, cette question nous apparaît plus que jamais urgente. Combien de temps ce moment grotesquement sinistre va-t-il encore durer ? Nul ne le sait.
Honte, honte à ceux qui en font prospérer l’iniquité stupide. ■