Par Mathieu Bock-Côté.
COMMENTAIRE – Mathieu Bock-Côté renoue dans sa chronique du Figaro de ce matin avec ses atermoiements intermittents habituels. Atermoiements entre démocratie libérale qui, de fait, nourrit en même temps censure et chienlit, comme on le voit si intensément aujourd’hui, et, à l’opposé, sinon la démocratie illibérale, trop horriblement connotée aux yeux de la doxa, du moins une démocratie libérale idéale qui se subordonnerait à plus haut qu’elle-même : l’identité héritée, les constituants historiques d’un peuple déterminé, défini, limité, charnel, qui a le droit, pense-t-il, à l’instar de son Québec natal, à la continuité historique. Fort bien, mais qui en serait le garant ? Il y faudrait, dit-il, une « instance autorisée ». Autorisée, instituée par qui ? Nous dirions plutôt une institution autorisée par la légitimité historique, qui ne dépendrait de personne, qui serait pérenne, consubstantielle au dit peuple. Et nous n’en voyons pas d’autre, en France notamment qui n’est guère disposée à s’en passer, qu’une instance dynastique, notamment chargée de veiller à la justice et à l’équité. Comme à la protection identitaire du peuple concerné. A propos de sa démocratie libérale, Mathieu Bock-Côté écrit à juste raison qu’ « Il n’est pas certain qu’elle mérite tant de louanges ». Puis en conclusion, il déclare en revanche qu’ « il Il y aurait lune grande tâche pour une association de journalistes soucieux de la restaurer ». Tout en sachant qu’elle travaille « en fait à imposer à tous un régime contraire ». Allez savoir ! Réelles ou apparentes, les contradictions, le dilemme ne manquent pas à cette chronique. Elle finit par être de ce fait passablement embrouillée.
CHRONIQUE – La liberté de la presse se porte moins bien qu’on ne le dit en Europe occidentale – alors que certains la présentent comme le dernier bastion de la démocratie libérale face à la montée des empires autoritaires.
Reporters sans frontières, apparemment, se préoccupe de la liberté de la presse en Europe. Rien dans sa pratique ne confirme vraiment cette prétention, comme en témoignent les derniers événements. Et pourtant, cette cause mériterait qu’on l’embrasse vraiment. Car la liberté de la presse se porte moins bien qu’on ne le dit en Europe occidentale – alors que certains la présentent comme le dernier bastion de la démocratie libérale face à la montée des empires autoritaires. Il n’est pas certain qu’elle mérite tant de louanges alors que partout s’impose la consigne du rappel à l’ordre médiatique, sous des formes nouvelles, qui vont de la répression sociétale à la répression étatique, qui poussent de toute façon au développement de l’autocensure. La censure revient à l’Ouest.
Le cas de la Belgique francophone pourrait intéresser, tant y domine une culture politique fondée sur la censure revendiquée de ce que le système médiatique appelle l’extrême droite. C’est ce qu’on appelle le cordon sanitaire. Les médias belges francophones, loin de lutter contre la censure, la pratiquent fièrement, en se déclarant ouvertement hostiles aux forces politiques qu’elles décrètent antidémocratiques. On notera que ce régime médiatique explicitement répressif est souvent donné en exemple à la France. Si elle s’y convertissait, elle pourrait faire refluer le populisme, et assécher l’espace public des passions odieuses qu’on lui prête. Tout cela présuppose évidemment un système politico-médiatique qui traite des forces politiques légales à la manière d’un ennemi intérieur à éradiquer.
Je me permets d’insister : que la Belgique francophone soit objectivement un des territoires les moins démocratiques en Europe occidentale suscite chez plusieurs une forme d’envie. Ils y voient un modèle à reproduire. Ils y voient une démocratie militante ayant retenu la leçon de Weimar et faisant tout ce qu’elle peut pour bloquer l’accès à l’espace public aux forces accusées de ne pas souscrire aux grandes valeurs identifiées par la classe dirigeante – grandes valeurs qu’elle sera toutefois seule à définir et à interpréter, ce qui nous rappelle l’importance des idéologues stipendiés dans la définition de ce qu’on appelait autrefois la ligne de parti, qui peut à tout moment peut se retourner, comme l’avait noté Orwell.
Un discours contrefactuel
On aurait tort, toutefois, de croire que la Belgique a le monopole de la répression médiatique. En Écosse comme en Irlande, de nouvelles lois sont apparues récemment pour criminaliser ce qu’on appelle les discours haineux. L’Union européenne veut faire de même. Mais ces discours, on a fini par le comprendre, sont assimilables à toute remise en question du sens des revendications diversitaires s’inscrivant sous le signe du progrès. C’est autour de la théorie du genre que se cristallise cette nouvelle censure, en obligeant chacun à verser dans un discours contrefactuel et antiscientifique pour conserver sa respectabilité dans l’espace public. Elle porte aussi sur l’immigration, dont il faut obligatoirement célébrer les bienfaits. En fait, nous sommes dans le registre du délit d’opinion, qui n’est qu’une version sécularisée du délit de blasphème.
Mais la censure nouvelle se justifie désormais aussi au nom de la lutte contre la désinformation, comme on a pu le voir à Davos en début d’année. Ce concept se réfère moins à de véritables infox qu’à une mise en récit de l’actualité ne s’inscrivant pas dans le grand récit mondialiste et diversitaire qui fonde la légitimité de la caste au pouvoir en Occident. C’est à cette lumière qu’on comprendra l’inquiétude croissante pour le traitement jugé amplifié des faits divers. Qui accorde plus d’importance qu’il ne le faudrait à certains faits divers est accusé de désinformer, en déréglant le récit médiatique autorisé, qui les avait écartés ou minorés. Ceux qui s’en éloigneront seront accusés de relever de l’opinion, et de vouloir déstabiliser le débat démocratique autorisé, en excitant des passions favorables aux forces populistes.
Cet appel à la maîtrise du récit médiatique suppose l’existence d’une instance autorisée capable de distinguer formellement pour tous ce qui relève des faits divers et ce qui n’en relève pas. Dans la même logique, mais en partant de l’autre bout du raisonnement, on voit le service public, en de nombreux pays, chercher à construire activement un récit médiatique sous le signe de la pédagogie progressiste, qu’il s’agisse de faire la promotion de la diversité, de l’Europe ou de l’écologisme.
On y revient : l’Europe occidentale est traversée par une tentation illibérale qui se déploie paradoxalement au nom de l’État de droit et de la démocratie libérale. Il y aurait là une grande tâche pour une association de journalistes soucieux de la restaurer. Hélas, celles qui prétendent le faire travaillent en fait à imposer à tous un régime contraire. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.