Par François Marcilhac.
Il y a eu d’abord, c’est vrai, cette « coalition régionale et internationale pour lutter contre les groupes terroristes qui nous menacent tous », que Macron, alors aux côtés de Benjamin Netanyahou à Jérusalem, avait annoncé vouloir « bâtir » en octobre 2023 à la suite des crimes commis par le Hamas. Son entourage s’était aussitôt empressé de désamorcer les conséquences de cette proposition irréfléchie sur nos relations avec les pays arabes qu’il voulait impliquer dans la coalition. Cela n’avait pas été sans mal et, surtout, notre pays avait perdu en crédibilité dans la région, voire au-delà. On avait toutefois pris cela pour une simple foucade présidentielle, si regrettable fût-elle.
On ne pensait pas, alors, qu’il s’agissait d’un signe annonciateur. Mais il y a, maintenant, sa sortie va-t’en-guerre sur la possibilité pour l’OTAN d’envoyer des troupes au sol en Ukraine. Cela a été, dans toute l’Europe et même aux États-Unis et au Canada, une réprobation unanime. Non plus un silence gêné, comme pour la coalition anti-Hamas, mais un refus franc et massif de nos partenaires face à ce qui ne pouvait plus apparaître comme une simple foucade mais qui ressemblait davantage à des propos totalement irresponsables de la part d’un président de la République qui semble ne pas pouvoir s’empêcher de faire le buzz, fut-ce au prix du risque de déclencher une troisième guerre mondiale.
Certes, nous n’en sommes pas encore là, et Poutine s’est contenté de faire les gros yeux en ressortant une énième fois sa menace nucléaire : il n’a, semble-t-il, pas vraiment pris au sérieux Emmanuel Macron. Ou plutôt il a jugé à sa valeur, proche de zéro, la capacité qu’aurait Emmanuel Macron d’être pris au sérieux par ses partenaires et de les entraîner dans une telle folie, d’autant que, non content d’être isolé au sein de l’OTAN, Macron a pris soin de viser directement notre voisin d’outre-Rhin en se moquant de lui, voire en tentant de l’humilier — lui qui, au départ, ne voulait pas humilier Poutine. Le chef de la diplomatie française, Stéphane Séjourné, a beau estimer ce samedi 2 mars, dans un entretien au quotidien Le Monde qu’« il n’y a pas de clash franco-allemand, nous sommes d’accord sur 80% des sujets », il n’en reste pas moins que les 20% de désaccords peuvent à eux seuls peser plus lourds que les 80% de sujets sur lesquels il y aurait consensus. Il serait surprenant qu’Olaf Scholz ne garde pas à Macron un chien de sa chienne…
À quoi le président de la République joue-t-il ? Mais le sait-il lui-même ? D’aucuns vont jusqu’à émettre l’hypothèse qu’il n’a fait cette proposition irresponsable que pour des raisons de politique intérieure : détourner l’attention des Français des difficultés intérieures que connaît actuellement sa majorité toute relative. C’est possible, puisque tout est possible en République, même l’instrumentalisation d’une guerre sur le continent européen pour de vulgaires motifs de politique politicienne, surtout à quelques semaines d’élections que Macron risque de perdre. D’où, aussi, l’acharnement contre le RN, accusé d’être l’agent de la Russie en France. Ces élections sont, de plus, les élections européennes, et ce serait une humiliation supplémentaire pour le grand Européen que se veut Macron de voir les siens y prendre une déculottée. Toutefois, compte tenu de l’accueil réservé par les Français à sa proposition belliciste, il semble avoir encore creusé l’écart… à son détriment.
Nous y sommes : l’Europe ! Tout à son rêve solitaire de souveraineté européenne, Macron, qui aime se déguiser en chef de guerre — rappelons-nous l’épisode Pierre de Villiers —, ne verrait peut-être pas d’un mauvais œil qu’un bain de sang, en mêlant celui de toute la jeunesse européenne, ne signe l’émergence d’une « nation » européenne. Les plus atlantistes ont espéré, en 1999, que la guerre contre la Serbie, rassemblant tous les pays européens sous commandement américain, joue un tel rôle. On passerait alors au cran supérieur : un Européen doit vivre pour « elle », pour « elle », un Européen doit mourir… Nos partenaires qui, contrairement à Macron, ne voient dans l’Europe qu’un syndicat d’intérêts, ne semblent pas prêts à le suivre aussi légèrement, même si, ici ou là, certains pays, se sentant particulièrement menacés en raison de leur vulnérabilité, profitent de la sortie de Macron pour tâter le terrain. Quant à Biden, prendrait-il le risque d’envoyer des marines en pleine campagne présidentielle ?
Malheureusement, la France tourne chaque jour davantage le dos à une diplomatie indépendante et responsable, la seule, pourtant, qui permettrait d’offrir de nouvelles perspectives de paix en Europe. ■