Par Pierrick Berthou.
COMMENTAIRE – Nous n’éprouvons guère le besoin d’ajouter quoi que ce soit à cette tribune toute digne de respect, de compréhension et de soutien. Le coût d’une terre désertifiée, le prix à payer pour l’équivalent chômage subséquent, et le poids du déficit désormais installé, endémique et croissant de notre commerce extérieur alimentaire, ces paramètres devraient sûrement être pris en compte par ceux qui ne voient dans la crise agricole qu’un problème économique et financier. Si les produits importés coûtent moins cher que les nôtres pour le consommateur, combien coûtent-ils en réalité à la collectivité nationale ? Mais la quasi disparition programmée de notre agriculture ou sa paupérisation n’est pas seulement d’ordre économique ou financier. Elle ressort de l’identité et de l’équilibre profond de la société française. Il convient d’en traiter dans cet esprit là. On lira parallèlement à cette tribune l’article de François Schwerer déjà publié dans nos colonnes.
TRIBUNE – En important de plus en plus notre alimentation via les traités de libre-échange, nous poignardons dans le dos nos paysans, s’inquiète Pierrick Berthou, agriculteur à Quimperlé.
Entre nourrir le sol pour nourrir les Hommes et nourrir la finance il faut choisir… Le choix est fait !
Pierrick Berthou est agriculteur à la ferme de Poulfang, à Quimperlé (Finistère).
Alors qu’il y avait 1,6 million de paysans en France en 1970, en 2024 nous passerons «allègrement» sous la barre des 350.000 paysans, dans l’indifférence générale… Florian, un voisin a «jeté l’éponge» en 2022. Nico, un autre voisin, lui, a décidé de mettre sa ferme en vente. Ces deux jeunes voisins, autour de 40 ans, tous deux issus d’une longue lignée de paysans quittent leurs fermes, quittent la terre. Ils prennent cette décision car ils n’en peuvent plus, ils n’ont plus de perspectives. Ce que nous, la société, perdons, ce n’est pas seulement deux paysans qui trimaient, c’est aussi du savoir faire, transmis de génération en génération, qui s’arrête brutalement !
N’en doutez pas. L’agriculture, en dépit des effets de manches de ses décideurs, va mal, très mal. À ce rythme, nous allons dépeupler nos campagnes à grande vitesse. Car, il faut bien le comprendre, nos décideurs ont choisi depuis fort longtemps d’industrialiser l’agriculture et même de la financiariser. Tout cela avec la même logique comptable, impitoyable, qui oppresse, qui désorganise, qui déstructure l’ensemble de notre société…
Nos fermes s’agrandissent à marches forcées, implacablement, sans respect, sans conscience ! Tout cela se fait sans mesurer les conséquences, car les répercussions sont bien présentes : déclin de la biodiversité, visible et moins visible, sur la terre, sous la terre, dans les mers, dans les airs. Sans évoquer la perturbation du cycle des pluies, des vents, et de nos animaux maltraités, tandis que nous, paysans, subissons et disparaissons comme des taiseux que nous sommes…
Notre société ne vit que grâce à ces quelques centimètres de terre qui recouvrent la planète. Ces quelques centimètres, qui font le lien entre le ciel et le sous-sol, sont riches d’humus, d’argiles, de limons, des mycorhizes, d’une vie animale, végétale etc. Ces sols qui permettent toutes nos activités Humaines sont aujourd’hui en danger, car malmenés et menacés par l’industrialisation de l’agriculture. Cette industrialisation de l’Agriculture s’appuiera, inexorablement, sur les monocultures, les N.G.T (O.G.M), les nouvelles technologies et la spécialisation. En un mot, c’est la monotonie qui s’installera dans nos campagnes… Tout le contraire de ce qu’est la nature par essence qui, justement, est un feu d’artifice de diversité de bruits, diversité de couleurs, diversité d’odeurs qui mettent tous nos sens en émois !
J’ai connu l’époque où les gamins du quartier se retrouvaient joyeusement pour jouer, pour grimper aux arbres, fabriquer des arcs, des flèches et des cabanes, imaginer un monde, refaire le monde en ingurgitant des quantités mémorables de cerises, de poires, de pommes, de prunes cueillies à même les arbres qui habillaient les talus de nos campagnes tellement fleuries. Des fruits en grandes quantités, totalement gratuits, tantôt trop mûrs, tantôt pas assez mûrs, ce qui, parfois, venait déranger un tube digestif «susceptible» qui obligeait à trouver rapidement un buisson afin de se soulager, sous le regard hilare des copains. Aurons-nous encore des gamins courant la campagne aux beaux jours afin d’attraper des grillons en leur tapant le «cul» à l’aide d’une brindille sèche, et de les ramener dans une boîte d’allumettes ? Et, quel bonheur que d’entendre, soudainement, lors d’une dictée silencieuse, le chant du grillon, déclenchant un rire collectif, même de l’instituteur. Osons croire que cela perdurera, car il ne faudrait pas grand-chose pour faire revivre nos campagnes et nos villages. Oui, c’est possible…
Il fut un temps où la couronne parisienne fournissait l’ensemble des légumes pour la population de la capitale. Ils avaient, disait-on, les meilleurs maraîchers du monde, parce qu’ils avaient les meilleurs sols. C’était l’époque où les rues de Paris étaient tapissées de pailles, de feuilles et autres matières absorbantes. Absolument tout était valorisé, on ne gaspillait pas ! C’est ainsi que les contenus des pots de chambres, jetés par les fenêtres, étaient récupérés par les paysans afin de les épandre sur leurs terres pour y cultiver les légumes. C’était avant l’arrivée des égouts. À cette époque le fumier était considéré, à juste titre, comme la nourriture du sol, «l’or du paysan».
Aujourd’hui le fumier est pour beaucoup un déchet. Un déchet qui alimente les méthaniseurs. La méthanisation, qui nous est présentée comme productrice d’énergie verte n’est pas vertueuse, loin s’en faut. La méthanisation est un artifice créé d’une part pour ne pas payer à un prix rémunérateur les denrées agricoles aux paysans et d’autre part, sa création va précipiter l’industrialisation de l’agriculture. Seuls ceux qui auront accès aux capitaux auront le droit de continuer. En définitive, cette opération produit certes du gaz, mais appauvrit les sols par soustraction de carbone dont le sol est particulièrement gourmand, car indispensable. Entre nourrir le sol pour nourrir les Hommes et nourrir la finance il faut choisir… Le choix est fait !
L’adage dit «nous sommes ce que nous mangeons». Il y a encore peu de temps nos campagnes et nos potagers urbains fournissaient notre nourriture. Chacun savait d’où venaient les aliments et qui avait savamment préparé cette nourriture. Aujourd’hui, la restauration hors foyer, comme disent mécaniquement et froidement les économistes, prend de l’ampleur. À tel point que nous remplissons nos assiettes, quand il y en a, d’aliments sans saveurs et sans origines. Et, c’est ce que nous mangeons de plus en plus. Pourtant, nos élus nationaux qui insistent constamment sur la nécessaire souveraineté et sécurité alimentaire, sont capables de signer des traités de libre-échange. Du fait de ces traités de libre-échange nous importons de plus en plus notre alimentation (d’où une perte de souveraineté et de sécurité alimentaire) et nous poignardons dans le dos nos paysans. C’est une trahison, c’est de la folie !
Fin 2023, nos députés européens ont voté massivement en faveur du traité de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande. Dans ce traité, il est strictement stipulé que les produits néo-zélandais ne pourront être identifiables. Le consommateur ne pourra plus choisir une origine ou favoriser une manière de produire son alimentation. Nos représentants qui ont voté ce texte considéreraient-ils leurs électeurs uniquement comme des «estomacs montés sur pattes», qu’il faut remplir n’importe comment ? Quelle indécence, quelle infamie ! En fait, en signant ces traités de libre-échange, nos élus européens organisent la perte de lien entre le consommateur, son alimentation et sa terre. Ils nous coupent de nos racines, de nos origines, de notre culture, de notre histoire, de notre façon de vivre. Ils banalisent la vie en tuant la différence, en uniformisant la nourriture, en uniformisant les Humains.
Sommes-nous condamnés à consommer du poulet ukrainien, du bœuf argentin hormoné, du mouton et du lait néo-zélandais, du porc javellisé américain ? Alors que la France et l’Europe peuvent très largement s’autosuffire et même exporter ! Il est évident que nous devrions refuser ces traités de libre-échange et pas seulement pour des raisons agricoles et alimentaires, mais aussi pour des raisons économiques et humaines. Nous pouvons encore agir en choisissant, lors de nos achats, une alimentation véritablement locale et saine (sans OGM par exemple) et collectivement intervenir énergiquement auprès de nos représentants politiques pour que cesse le libre-échange, au profit d’une coopération entre nations comme codifiée par la charte de la Havane. Il est loin le temps où Maximilien de Béthune, duc de Sully, s’exclamait en disant «labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France». Ce bon Sully, aujourd’hui, doit se retourner dans sa tombe !
Nous devons réaliser que nous vivons sur l’héritage de centaines de générations de paysans qui nous ont précédées. Ce sont ces paysans qui ont façonné, enrichi, amélioré, entretenu nos sols, tout cela avec acharnement. Ce sont ces paysans qui font que nous pouvons vivre aujourd’hui sur cette terre. Et, nous, nous dilapidons, nous renions, nous méprisons cet héritage. Notre attitude est suffisante, dédaigneuse, irresponsable. Nous devons absolument sauver nos sols. Mais pour cela, nous devons avant tout sauver les paysans qui sauront restaurer et respecter nos sols. Tous ensemble, car cela nous concerne tous. Agissons et cessons de subir, car tout est possible. ■
je vous lis avec l’émotion des souvenirs en finissant mon existence en ville dans un exil rendu pratique par la perte d’autonomie..je vous lis avec beaucoup de regrets car je ne vois plus la nature mais les maisons bétonnées de mon environnement. Reste stoïque et réconfortante la présence d’un indispensable vieux chien . Seul contact avec la nature.
Si notre pays qui est avant tout un pays agricole perd ses labourages et ses pâturages elle perdra son âme et après sa population qui change au gré des nouveaux arrivants elle n’aura plus de France que le nom.
« C’était l’époque où les rues de Paris étaient tapissées de pailles, de feuilles et autres matières absorbantes. Absolument tout était valorisé, on ne gaspillait pas ! C’est ainsi que les contenus des pots de chambres, jetés par les fenêtres, étaient récupérés par les paysans afin de les épandre sur leurs terres pour y cultiver les légumes. C’était avant l’arrivée des égouts. À cette époque le fumier était considéré, à juste titre, comme la nourriture du sol, «l’or du paysan». »
Je suis bien content t que cette époque soit terminé ! Avec l’anesthésie, le tout-à-l’égoût me semble être une des plus belles inventions des derniers siècles…
Cette manie de pleurnicher sur le prétendu « bon vieux temps » est absolument crispante…
Crispe! Crispe, mon ami! T’as bien raison. Mais le Soleil vert te guette!
Le but de l’auteur de l’article n’était pas de déplorer la fin des caniveaux malodorants mais de montrer combien le circuit carbone traditionnel est plus compatible avec l’autonomie collective que l’industrialisation de l’agriculture qui passe irrésistiblement de la spécialisation à la délocalisation, puis à la standardisation, puis à la baisse de qualité, puis à la financiarisation et la servitude. Un personnage modérément sympathique, mais qui ne manquait pas de bon sens, Hafez El Assad, s’était élevé dans les années 80 contre cette évolution en Syrie. Il disait: « Être indépendant, c’est d’abord avoir à manger ; si un pouvoir étranger à la Syrie peut couper notre approvisionnement, il ne servira à rien d’avoir nos coffres pleins de billets de banque. » Il a donc préservé l’agriculture syrienne, et pendant la guerre civile, les villes ont pu être approvisionnées en produits vivriers produits sur place. S’il ne l’avait pas fait, le pouvoir de son fils aurait été décapité et la Syrie serait dépecée aux quatre vents. Certes, cette attitude n’est pas conforme à la stricte rationalité économique, mais elle est politique et humaine, même conduite par des hommes sans pitié comme lui.
Tout d’abord merci à ce paysan Breton de Quimperlé, (mes origines). Nostalgie quant tu nous tiens. Que la France de notre enfance était belle et bien joyeuse pour toute une jeunesse qui s’ouvrait à la vie en paix. De nos jours la peur insidieuse médiatisée nous conduit au trépas. Nous avons perdu l’envie de vivre, et ils veulent nous conduire à la guerre hors de nos frontières et perdre nos valeurs intrinsèques et notre culture Française. La raison fait que les français aiment leurs paysans. « J’entends et j’oublie, je vois et je me souviens, je fais et je comprend. « Confucius
Petite rectification ou précision technique: les égouts existaient dans les villes Romaines, il y a plus de deux mille ans ?
Anecdote/ J’ai dans ma jeunesse réalisé un levé de plan de rues de Saint Antonin dans le Tarn et Garonne pour installer le tout à l’égout. Nous avons découvert que ce réseau existait dans le centre ancien depuis les Romains et fonctionnait encore.
Mais oui, la gloire de l’Empire romain est aussi d’avoir été urbaine. Aqueducs, tout-à-l’égout, routes et places, tout en s’appuyant sur une paysannerie bien solide.
Je n’ai rien contre les agriculteurs, même s’ils ont empoisonné les champs et les cours d’eau, ont construit des hangars en tôle ondulée ou en eternit et ont bien contribué à esquinter le paysage.
Mais ce n’est pas tout à fait de leur faute : au lieu de manger du poulet de Bresse, du porc noir de Bigorre, du veau sous la mère, les gens préfèrent avoir des smartphones perfectionnés et s’abonner à des chaînes de télévision payantes, et partir quinze jours en République dominicaine.
Que voulez-vous que l’État puisse faire contre ça ?
Le tout-à-les goûts du-jour c’est l’aqueduc éolien et les champs photovoltaïques. Voilà les à-peu-près campagnards correspondant au béton parisien, aux pistes re-cyclables, aux vilains travaux interrompus et autres chantiers de construction.
Et pour nourrir tous ces turbins qui turbinent quand ils ont l’temps, des hormones ukrainiennes et du bœuf à l’eau d’javel. On n’est-y pas content d’avoir mis en jachère et interdit le lait cru ? Mais si qu’on est b’en contents, et fiers, avec ça…
Aucun de vous n’a pensé à la bonne cuisine ! Ce sont pourtant dans nos campagnes que les recettes traditionnelles ont été concoctées, avec les moyens du cru, dans un souci permanent de ne rien perdre ni gaspiller tout en relevant un modeste ordinaire. Rognons, amourettes, tripes, cervelles, ris (qui se souvient du ris de veau en croute de Chez Pauline), rate farcie, civet de mou, museau, gigourit, pieds de moutons ou de cochon, … sans oublier la vraie bouillabaisse, celle des pauvres pêcheurs, faite avec les invendus.
Je parie que tous ces bas-morceaux ne servent plus qu’à nourrir les chiens et les chats domestiques. Leurs maîtres, eux, ne rêvent que de frites, escalopes et rôtis
Oui enfin ces bonnes recettes sont bien trop chères aujourd’hui pour la plupart d’entre nous (mais j’ajoute à l’intention de @Pierre Builly que les portables et les vacances en république dominicaine ne le sont pas moins).
&Grégoire Legrand : Bof, un petit tour sur les « bons plans » de Google donne des séjours d’une semaine à 700 € par personne en République dominicaine…
Et vous pensez que tout le monde a les moyens de claquer 700 balles pour ça (ou 1400 pour deux semaines) ? Certainement pas moi en tous cas. Ni la plupart des gens de ma génération, à moins d’avoir eu un héritage confortable.
Pour moi, les comparaisons passé / présent, ne mènent à rien. Ce sont de vieilles lunes. Pas plus que de discuter sur les prix des voyages à quatre sous qu’il me paraît prudent de ne pas entreprendre. Mais peu importe. Quand De Gaulle parle de la lampe à huile ou de la marine à voile, c’est pour écarter une politique dont il ne veut pas et faire passer celle qu’il a a décidé de mener. Et pas le contraire.
La question qui m’intéresse plutôt est la suivante : notre politique agricole et alimentaire est-elle totalement contrainte par des données immuables, intouchables et obligatoires, sur lesquelles on ne peut rien, sinon, accepter, en réalité, la loi des autres ? Servir leurs intérêts et leurs ambitions ? Ou bien, la France peut-elle encore définir en la matière une politique réaliste pour aujourd’hui qui lui soit propre, conforme à ses intérêts, aux intérêts de ses citoyens et à la qualité de la vie chez elle ?
Si la réponse devait être non, je me demande si il ne serait pas bon de mettre en doute l’utilité de l’Etat.
Vous avez raison de revenir à l’objet de cet article. A la question que vous posez, je réponds résolument : Oui. La France peut « définir en la matière une politique réaliste pour aujourd’hui qui lui soit propre, conforme à ses intérêts, aux intérêts de ses citoyens et à la qualité de la vie chez elle ». Nous avons tout pour cela, à commencer par la terre. Si nous ne le faisons pas, c’est une question de volonté : nous soumettons la nôtre à celle de quelques technocrates. Il ne tient qu’à nous de briser nos fers.