Les vrais guerriers racontent rarement leurs exploits : ils savent que toute guerre est une abomination.
Par Jean-Paul Brighelli.
Cet article – brillant, comme à l’ordinaire – est paru dans Causeur le 29 Février. Faut-il y ajouter un commentaire ? Jean-Paul Brighelli y professe simplement des idées de grand bon sens, avec humanité, humour et érudition, dans cette langue naturelle, familière, élégante et drue dont il a le secret. Soumettons plutôt l’ensemble à la sagacité et à la critique des lecteurs. de JSF souvent prolixes. Et utilement. Ils ajoutent à la vitalité de ce quotidien qui, d’ailleurs, n’en manque pas, Et cela se sait. À preuve : les nombreux nouveaux abonnés à notre « lettre » du matin et les multiples « partages » de certaines de nos publications sur les réseaux sociaux et autres
En proposant d’envoyer des troupes françaises soutenir les Ukrainiens sur le front, Emmanuel Macron a choqué ses partenaires internationaux, peu portés à l’engagement direct face à Poutine ; et il a fait ricaner les Français, qui ont bien vu que ces rodomontades, prétend notre chroniqueur, n’étaient qu’à usage intérieur, face à un RN supposé être «le parti de l’ennemi» .
Quand il n’enfourche pas son cheval à bascule, Macron comble le puits sans fond des finances ukrainiennes avec les maigres ressources de la France
La chanson remonte au XVIIIe siècle, quand John Churchill, premier duc de Marlborough, conduisait les troupes anglaises contre la France dans la Guerre de Succession d’Espagne. Allusion à la bataille de Malplaquet, que Marlborough remporta techniquement (et où il fut blessé, à cette époque les généraux étaient en tête de leurs troupes, pas planqués dans le bunker de l’Élysée) mais qu’il perdit militairement, ayant eu trois fois plus de morts que le Maréchal de Villars : et l’invasion projetée de la France s’arrêta là.
C’est, on s’en souvient, la mésaventure qui arriva à Pyrrhus, lorsque ce roi d’Epire attaqua la république romaine au IIIe siècle av. JC. Rabelais s’en inspira, pour inventer Picrochole, ce roi adversaire de Gargantua, qui se vantait de toutes les conquêtes qu’il n’avait pas encore faites.
Fanfaronnades
À ces conquérants de l’inutile s’ajoutent les « miles gloriosus » qui, à l’image du héros de la comédie homonyme de Plaute, en rajoutent sur leurs succès imaginaires. Voir le Capitan de la Commedia dell’arte, ou Matamore dans L’Illusion comique de Corneille. Sans oublier Rodomont, roi maure de grande prétention dans les épopées de Bollardo ou de l’Arioste, au milieu du XVIe siècle. Il a légué à la langue française le mot rodomontade, qu’il faudrait peut-être dépoussiérer pour l’appliquer à notre souverain bien-aimé.
Les vrais guerriers racontent rarement leurs exploits : ils savent que toute guerre est une abomination.
Mais ça, Macron l’ignore.
Ma tante unique et préférée (86 ans) me faisait remarquer hier qu’il reste bien peu de témoins de la Seconde Guerre mondiale. Ou même de la Guerre d’Algérie, ce qui permet aux indigènes de la République et au gouvernement algérien de proférer d’énormes mensonges sur les exactions de l’armée française, en oubliant les attentats sur les civils et les 250 000 harkis massacrés par les résistants de la onzième heure du FLN : voir sur le sujet Harkis, crime d’Etat (2002), de mon regretté ami Boussad Azni auquel j’avais un peu prêté ma plume. Vous y lirez les exploits des fellaghas contre des populations désarmées (c’est plus facile que contre des troupes entraînées, hein), exterminées dans des conditions dantesques.
Mais bon, tout le monde sait que si l’Algérie est enlisée dans ses contradictions depuis l’indépendance et fait vivre sa population dans la misère pendant que les militaires s’enrichissent, c’est la faute de ces salauds de Français.
Non, plus personne pour se rappeler ce qu’est un bombardement, ce que sont des massacres. Ou simplement ce qu’est une économie de guerre. Les baby-boomers, tant décriés par les p’tits jeunes qui pleurent quand ils se cassent un ongle ou sont en panne de portable, sont les derniers à avoir eu le plaisir douteux de voir leurs pères partir à la guerre, embarquant sur des bateaux où l’on venait juste de hisser, dans des filets, des centaines de cercueils prévisionnels — choses vues par moi, à cinq ans, sur la gare maritime de Marseille.
Les autres dirigeants occidentaux ne sont pas pressés d’envoyer des jeunes gens au casse-pipe. Biden même, qui pourtant entretient en Ukraine une douzaine de bases de la CIA — et non, la guerre froide ne s’est pas achevée en 1989 ! — a promis qu’aucun de ses boys n’irait sur le terrain. Sénile, mais pas fou.
L’Ukraine et nos agriculteurs
Entendons-nous. Poutine n’est pas un garçon bien sympathique. Mais les dirigeants ukrainiens, qui se bouffent le foie entre eux en regrettant le nazisme, ne le sont guère plus. Nous avons cru bon d’infliger à la Russie des sanctions dont nous sommes les premières victimes (on applaudit très fort). Nous alimentons l’armée ukrainienne en matériels guerriers sans même regarder ce qu’en font les militaires, soupçonnés à diverses reprises de les revendre çà et là via leurs mafias locales. Nous arrosons le gouvernement ukrainien de liquidités, sans contrôler leur usage, alors que nous avons imposé aux Grecs une « troïka » pour gérer leurs dépenses à leur place pendant des années : est-il bien sûr que les milliards déversés sur l’Ukraine sont consacrés à l’effort de guerre ? Et quelle contrepartie en aura l’Europe, qui verse à fonds perdus — alors que les Américains se servent largement dans les ressources agricoles ukrainiennes…
Quand il n’enfourche pas son cheval à bascule, Macron comble le puits sans fond des finances ukrainiennes avec les maigres ressources de la France, au moment même où Bruno Le Maire, qui cherche par tous les moyens à limiter la dette du pays, rogne sur les crédits alloués à divers ministères : finies, les promesses d’augmentation des enseignants ! De toute façon, ces imbéciles ont largement voté Macron, ils n’avaient qu’à lire son programme. Evaporées, les augmentations des retraites les plus basses. Quant aux subventions promises aux agriculteurs — alors même que les Américains, chantres du libéralisme, soutiennent ardemment leurs exportations…
Et ces manants ont remarqué que si l’Ukraine entre dans l’UE, ils sont finis, agricolement parlant. Morts.
Mince alors, même les ploucs savent compter ? ■
Agrégé de Lettres modernes, ancien élève de l’École normale supérieure de Saint-Cloud, Jean-Paul Brighelli est enseignant à Marseille, essayiste et spécialiste des questions d’éducation. Il est notamment l’auteur de La fabrique du crétin (éd. Jean-Claude Gawsewitch, 2005).