Par Pierre Builly.
La Poison de Sacha Guitry (1951).
Ils sont tous affreux !
Introduction : Paul Braconnier et sa femme Blandine n’ont qu’une seule idée en tête : trouver le moyen d’assassiner l’autre sans risque.
La Poison, c’est une sorte de moment de bascule dans l’œuvre cinématographique de Sacha Guitry, juste avant les films consensuels et magnifiques qui illustrent l’histoire de la France, la France qui fut le grand et le seul amour du Maître, avant Si Versailles m’était conté, avant Napoléon, avant Si Paris nous était conté.
Depuis la Libération, depuis l’ignominie de son incarcération heureusement suivie d’un non-lieu, Guitry, stupéfait des accusations qui ont été lancées contre lui, des haines jalouses qui se sont manifestées, n’a tourné que des plaidoyers pro domo, (Le Comédien, Le Diable boiteux, Deburau) ou des petits machins légers qui ne sont pas de sa meilleure veine (Tôa, Tu m’as sauvé la vie, Le trésor de Cantenac). Il est meurtri, usé, amer.
En 1951, il peut dire enfin toute sa rage, exprimer toute sa misanthropie ; les épurateurs – les résistants de la treizième heure – sont calmés, sinon déconsidérés, et on peut enfin parler : le terrorisme bien-pensant s’essouffle ; mais quelque chose s’est passé, qu’on ne croyait pas possible : les prétendus amis se sont éloignés ou alors Guitry a été déçu de leur couardise, ou seulement de leur passivité, l’opinion publique a appris à vilipender, les hypocrites qui se tenaient à carreau ont pu déverser leurs flots de lave.
On peut noter la même stupéfaction et le même désenchantement chez Giono et chez Guitry : la veulerie est omniprésente, gluante, envahissante ; comment s’en sortir ? L’un et l’autre vont changer leur manière.
Giono ne sera plus le chantre lyrique de la Nature absolue et tout autant ses chroniques (Un roi sans divertissement, Les âmes fortes) que ses romans (Le hussard sur le toit) donneront un coup de scalpel sur les noirceurs de l’âme humaine.
Guitry va désormais faire beaucoup appel au sarcasme – parenthèse des trois films historiques mis à part – ; c’est surtout vrai pour Assassins et voleurs, un peu moins pour La vie d’un honnête homme, mais en tout cas dans La Poison la misanthropie brille de tous ses feux.
Et qu’ils sont éclatants, ces feux-là, quand ils sont portés par un Michel Simon sublime, phénoménal, même, et servis par une pléiade de comédiens remarquables, quelles que soient l’importance et la nature de leurs rôles ! De l’avocat Jean Debucourt, grand nom de la Comédie française, joaillier discret de Madame de (et voix off du Christ dans la série des Don Camillo) à la bien moins notoire Germaine Reuver qui joue la poissarde ivrognesse avec un talent fou, en passant par les habituelles guitryennes Pauline Carton et Jeanne Fusier-Gir, La Poison étincelle de talents.
Et rayonne de méchanceté aussi ; Braconnier (Michel Simon) est un type banal qui ne demande qu’à vivre sa petite vie tranquille assez mesquine, mais qui est affublé d’une pocharde, un des pires rôles de virago qui se puisse. L’un ne rêve que de se débarrasser de l’autre et réciproquement, ce que l’on conçoit fort bien mais qui n’ouvre pas sur le couple des perspectives très riantes.
Cela c’est la situation de départ, mais à quoi se greffent d’autres jolies gouttes de fiel.
Ainsi la démarche des commerçants du bourg auprès du Curé, commerçants qui aimeraient bien voir augmenter leur chiffre d’affaires, comme à Lourdes, et qui suggèrent candidement au prêtre de simuler un miracle, une apparition, grâce à l’apport de la fille d’une des boutiquières qui, selon sa maman est particulièrement arriérée ; ainsi les théories sardoniques de Me Aubanel (Jean Debucourt) qui, (en les distinguant bien des assassins), défend les meurtriers qui deviennent inoffensifs dès qu’ils ont commis un crime puisque, satisfaction leur étant donnée (le mari qui tue l’amant de sa femme, par exemple), ils n’ont plus de raison de jamais recommencer ; ainsi Braconnier porté en triomphe par ses concitoyens alors qu’il a tout de même planté un couteau dans le ventre de sa femme ; ainsi la mercière (Pauline Carton) qui lit avec volupté le livre d’ordonnances du pharmacien, y décelant les secrets intimes de chacun… pharmacien (Georges Bever) qui, d’ailleurs, s’empoisonne plaisamment en avalant le verre de vin à la mort-aux-rats préparé pour Braconnier par sa femme…
La Poison est le film le plus noir, mais aussi un des plus brillants de Sacha Guitry ; le générique – le plus exceptionnel des génériques parlés de l’auteur – qui dure quelque chose comme cinq minutes trente, et où chacun, acteur ou technicien, a son mot aimable du Maître, est en soi une merveille. La Poison fut un grand succès public, qui fit retrouver à Guitry un public immense. Il ne lui restait plus que six années à vivre. ■
DVD autour de 17€.
Chroniques hebdomadaires en principe publiées le dimanche.
L’un des aspects les plus remarquables du film est la performance de Michel Simon dans le rôle principal. Son interprétation du personnage principal, Paul Braconnier, est à la fois dérangeante et captivante. Simon parvient à rendre le personnage à la fois sympathique et répugnant, ce qui ajoute une dimension de complexité à l’histoire.