Par Arnaud Benedetti.
COMMENTAIRE – Cette tribune d’Arnaud Benedetti parue dans le Figaro d’hier 11 mars atteint son objectif qui est de montrer l’affaissement de la culture générale du personnel politique tout autant que l’aspect éminemment grossier de ses tactiques en matière de propagande, notamment en période électorale ou ladite grossièreté est portée à son maximum. Ce qui est dit, par ailleurs, d’Edouard Daladier, sans doute globalement exact, y compris sur sa lucidité face aux événements de l’immédiate avant-guerre, ne nous paraît pas l’exempter de sa responsabilité et de celle de l’ensemble des hommes du Régime, dans le désastre sans précédent de juin 40. Cela relève désormais de la controverse historique où la version dominante n’est pas nécessairement la plus vraie. Tout au contraire, peut-être…
TRIBUNE – En dressant un parallèle maladroit entre Marine Le Pen et le signataire des accords de Munich, Valérie Hayer, tête de liste de la majorité aux élections européennes, montre à la fois la tactique de son camp mais aussi sa méconnaissance de l’histoire, analyse Arnaud Benedetti.
Arnaud Benedetti est professeur associé à l’université Paris-Sorbonne et rédacteur en chef de la «Revue politique et parlementaire». Il a publié Comment sont morts les politiques? Le grand malaise du pouvoir (Éditions du Cerf, 2021).
« Si les propos malencontreux de Valérie Hayer disent quelque chose de notre époque, c’est parce qu’ils témoignent principalement de l’affaissement de la culture générale de nombre de responsables politiques. »
«Hier, Daladier et Chamberlain, aujourd’hui, Le Pen et Orban. Les mêmes mots, les mêmes arguments, les mêmes débats. Nous sommes à Munich en 1938». Ainsi la candidate, tête de liste de la majorité pour les Européennes, s’est aventurée lors de son meeting d’entrée en campagne à une comparaison historique hasardeuse pour mieux dénoncer ses concurrents du RN qui la devancent de près de dix points dans la plupart des sondages en vue du scrutin du 9 Juin.
Valérie Hayer a reproduit cette rhétorique de la peur qui dans son camp depuis plusieurs semaines est largement déclinée pour tout à la fois désigner le Rassemblement national comme un relais de Vladimir Poutine en France et dans l’espoir également de susciter une sorte d’«effet drapeau» autour de la personnalité du président de la République. Ce faisant, elle se sera trompée trois fois.
Tout d’abord en réduisant Daladier aux accords de Munich, elle oublie ou trahit plutôt une profonde méconnaissance de ce que fut l’un des acteurs majeurs de la scène politique de l’entre deux-guerres, ancien combattant par ailleurs de 1914 à 1918 disposant, à rebours de nos gouvernants d’aujourd’hui, de l’expérience au plus près de ce qu’est une guerre. Authentique républicain, il y a quelque chose de paradoxal à voir celui qui fut une cible privilégiée de l’extrême droite durant les années 30 à l’être désormais par ceux se prétendant les défenseurs de la République. Ce raccourci en forme de court-circuit témoigne d’une profonde méconnaissance historique, et du danger surtout de s’adonner à un usage abusif et approximatif de l’histoire quand on ne connaît pas cette dernière. «Le taureau du Vaucluse», outre qu’il fut l’un des leaders du Parti radical, de tous les combats de la gauche modérée et l’un des acteurs tant du cartel des gauches en 1924 que du rassemblement de ces dernières au sein du Front populaire en 1936, rien dans le parcours d’Edouard Daladier, également après-guerre où il soutient entre autres Pierre Mendés-France, n’a jamais trahi le moindre écart avec un engagement républicain nullement démenti . Il est par ailleurs sous l’occupation incarcéré par Vichy, qui tente en vain de le juger durant le procès de Riom, et livré à leur demande aux Allemands en 1942 qui le déporteront outre-Rhin… Autant dire en conséquence que Daladier est un personnage qui ne méritait pas cette offense mémorielle, et que la tête de liste de la majorité a perdu là une belle occasion de se taire.
Et ce y compris, deuxième faute, sur la période à laquelle elle se réfère, les accords de Munich. Cette évidente capitulation politique, le président du Conseil n’en porte pas, faut-il le rappeler, l’entière responsabilité. Et il fut au demeurant pleinement conscient de leurs conséquences au moment de les signer. Mais faut-il encore comprendre que les conditions de cette signature sont d’abord comptables de la position du gouvernement britannique de l’époque, dirigé alors par Lord Chamberlain, favorable à une politique d’apaisement à laquelle le président du Conseil de l’époque, lui , ne croit pas, estimant que les accords n’arrêteront en rien Hitler dans ses revendications territoriales. En outre, confronté à une opinion majoritairement pacifiste et aux réserves de l’État-major, il pense gagner du temps mais juge inéluctable la guerre à venir. C’est son gouvernement, faut-il aussi le rappeler, qui la déclarera le 3 Septembre à l’Allemagne après que cette dernière eut envahie la Pologne à partir du 1er Septembre 1939.
Une troisième faute hypothèque la comparaison à laquelle s’adonne la majorité dans sa volonté de faire de l’Ukraine une réplique des événements d’avant-guerre, et non des moindres : l’irréductibilité de l’histoire. La plus grande des illusions consiste à considérer que les dynamiques historiques se reproduisent à l’identique. Si les hommes font «l’histoire dans des conditions directement héritées du passé» pour reprendre la formule de Marx, celui-ci rajoutait non sans lucidité qu’ils ne savent pas pour autant «l’histoire qu’ils font». Et l’enseignement présumé de la seconde guerre mondiale vaut sans doute bien plus pour point d’aveuglement que pour éclairage du moment que nous traversons. D’autres facteurs, profondément nouveaux par rapport à ce que fut la première moitié du XXe siècle, viennent pour une grande part grever la référence évoquée à tout bout de champ au second conflit mondial, ne serait-ce que parce que notre monde ne s’articule plus comme hier autour de la zone d’attractivité occidentale. Cette réalité à laquelle nombre de leaders Occidentaux ne paraissent pas forcément s’acculturer rend l’avenir encore peut-être plus indécelable qu’il ne l’était voici plus de 80 ans. Le référentiel des déflagrations du XXe siècle dont nous sommes les héritiers n’en fait pas de nous nécessairement les continuateurs car s’il faut retirer de l’histoire des leçons, c’est d’abord d’éviter de les mésinterpréter au nom des fragiles certitudes de notre présent… Encore convient-il aussi pour accéder à cette sage prédisposition de cesser de juger avec notre propre sensibilité, parfois très inexpérimentée à l’épreuve de la tragédie qui fut la texture dominante des temps antérieurs, ceux qui eurent à les traverser souvent au péril de leurs vies.
Et in fine si les propos malencontreux de Valérie Hayer disent quelque chose de notre époque, c’est parce qu’ils témoignent principalement de l’affaissement de la culture générale de nombre de responsables politiques. Sur le terreau de cette dégradation peut prospérer dès lors le récit où la propagande se substitue à l’histoire et à la transmission. Une béance qui explique sans doute bien des impasses du moment dans la conduite des affaires de la cité tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de nos frontières. ■
Daladier de retour de Munich fut surpris de se voir acclamer à sa descente d’avion. S’il avait parlé aussi mal que les dirigeants actuels il se serait exclamé « les cons » mais il ss’est contenté de dire « les imbéciles’!
C’est bien cela, fort justement relevé : l’affaissement de la culture générales dans le monde mediatico-politique. Cette personne (V.Heyer) aurait plutôt sa place comme concierge, sans vouloir faire injure à cette profession.
Se priver d’un tel fleuron c’eût été du gâchis. Je serais curieux de savoir combien de personnes dans l’entourage de cette érudite, connaisait Daladier et les accords de Munich, pas grand monde je pense. Je crois qu’elle va nous faire bien rigoler quand elle sera devant d’autres candidats, du grand art je pense.
bravo à m.benedetti quelle mediocre etinculte tete de liste cette valérie hayer…….;