Par Dominique Jamet.
COMMENTAIRE – Parue hier 15 mars dansBoulevard Voltaire, cette amusante chronique de Dominique Jamet, toute d’ironie, fait aussi réfléchir. Et d’abord au risque souvent rabâché que court la Cité – la France – dont le Prince est un enfant. Ou pis : un adulte immature, un adulte qui n’est pas fini, fût-il brillant, et qui n’a pas l’innocence de l’enfance, mais plutôt ses vices, puisque elle aussi en a. La France n’a que faire d’un premier ou dernier des Mohicans, elle n’a pas envie de payer au prix fort les conséquences de ses jeux ou de ses ambitions. Et il ne convient pas de trop jouer avec les mots et les signes de la guerre. Elle se déclenche presque toujours sans qu’on l’ait vraiment voulu, c’est bien connu, au moins depuis Giraudoux. Alors les villes s’enflamment et il y meurt beaucoup de monde, dont beaucoup d’enfants, innocents, au moins, de ce drame d’un monde empli de sang et de fureur mis en formules jadis par William Shakespeare. D’ailleurs, peut-être devrait-on dire aussi : Malheur à la ville dont le Prince est un acteur. Et nous en discernons au moins deux sur la scène du théâtre européen.
Pourquoi ne pas le reconnaître ? Pourquoi nier l’évidence ? Emmanuel Macron a été brillant, l’autre soir, lors de son « seul en scène » simultanément diffusé, à l’heure de la plus grande écoute, sur TF1, France 2 et quelques autres chaînes-relais, ce qui nous rappelait opportunément que parmi tous les dons qu’il a reçus à sa naissance figure celui de l’ubiquité. Il est vrai qu’il y interprétait le personnage qu’il préfère, dans son rôle favori, maître de lui-même comme de l’univers, ou peu s’en faut, sur le devant du grand théâtre du monde. Chef d’État, et désormais chef de guerre. Ayant perdu ses dernières illusions de jeunesse et encore gagné en expérience, en savoir-faire. Et en faire savoir ?
Plutôt clair, net, et même relativement concis, le président de la République avait pris le parti de sortir de l’ambiguïté, à ses risques et périls, quitte à jouer l’atout maître des dirigeants en temps de crise internationale, autrement dit la carte de la peur. « La France », a-t-il martelé, « ne laissera pas tomber l’Ukraine. Elle honorera ses requêtes, autant qu’elle le pourra, et aussi longtemps qu’il le faudra. La Russie ne doit pas et ne peut pas gagner la guerre. Nous poursuivrons et même nous accentuerons notre effort. Nous mettrons à la disposition de notre allié tous les armements, toutes les munitions, tous les moyens techniques qui font si cruellement défaut à notre armée. » Jusqu’à quel niveau ? « Rien n’est exclu. » Jusqu’à quelle date ? « Tout est ouvert. » Jusqu’à entrer en guerre ? Contre celui qu’il appelle « l’adversaire », « l’ennemi », qu’il qualifie de « criminel » ? « Nous verrons bien. »
Que de chemin parcouru depuis le début de l’opération spéciale. Le Président n’est pas le dernier à s’en étonner, avec une certaine candeur. On pense au Swann de La Recherche du temps perdu qui, ayant cessé d’être amoureux d’Odette de Crécy, ne comprend plus que celle-ci ait pu le faire à ce point s’abaisser, qu’il ait pu à ce point trembler, pleurer, souffrir, « et pour une femme qui n’était même pas mon type ! » Et dire, a gémi Emmanuel Macron, que j’ai passé des centaines d’heures au téléphone (sic) avec Vladimir Poutine, que je l’ai reçu comme un roi à Versailles, que j’ai répété pendant des mois qu’il ne fallait pas humilier la Russie et que celle-ci, du reste, n’avait pas tous les torts. Et tout ça pour quelqu’un dont je ne parle même pas la langue, avec qui je n’ai aucun goût commun, qui m’a fait asseoir au bas bout de sa grande table, sur des fauteuils plus bas que les siens. J’étais encore naïf. J’envisageais des rencontres discrètes, des négociations secrètes, la recherche de compromis, des concessions de part et d’autre, un cessez-le-feu, l’apaisement, la consultation des populations concernées, un modus vivendi et, pour finir, le rétablissement de la paix. Mon Dieu, que j’étais jeune ! Je croyais encore à la diplomatie et, c’est à peine si j’ose l’avouer, aux diplomates. J’ai mis bon ordre à cela. Croyez-moi, les amis, rien ne vaut une bonne guerre pour reléguer au second plan tous les problèmes gros, moyens et petits, qui sont apparemment insolubles en temps ordinaire, et accessoirement pour gagner les élections.
Ainsi pense (peut-être) le Président Macron. Ainsi va, en tout cas, ce bas monde où des historiens ignorants de l’Histoire, des sociologues ignorant la société et des philosophes ignorant la nature humaine ont cru pouvoir décréter que la guerre avait fait son temps et que les moyens de destruction que la science avait mis à la disposition des puissants de la Terre la rendaient tout simplement inconcevable. Des idéalistes qui péchaient par optimisme et des réalistes qui croyaient encore à la raison humaine avaient défendu cette thèse à la veille de la Première Guerre mondiale, pendant le bref entracte des années folles, et de nouveau après la fin de la guerre froide. L’actualité nous démontre surabondamment qu’il n’en est rien.
Les insensés qui voulaient croire à la victoire du bon sens sont priés de battre leur coulpe et de faire amende honorable. Les hommes de bonne volonté (pour reprendre le titre du roman-fleuve humaniste de Jules Romains) qui avaient prétendu mettre la guerre hors la loi sont invités à retrouver leurs esprits égarés comme le furent et le sont de nouveau les éternels empêcheurs de s’entretuer en rond qui préfèrent la paix au carnage. Les rodomonts, les matamores et les tranche-montagnes qui prolifèrent sur leurs canapés devant la télévision et sur les plateaux de télévision derrière leurs micros sont prêts, comme toujours, à combattre jusqu’au dernier Ukrainien et à mourir jusqu’au dernier Russe. Le Président Macron n’a pas manqué de fustiger comme il se devait les « lâches ». Il ne sera pas, qu’on se le dise, le dernier des « Munichois », mais bien le premier des Mohicans, prêt à prendre le sentier de la guerre qui est aussi le sentier de la gloire. Tout seul, s’il le faut. Comme un grand. ■
Comment se fait-il que ce personnage qui donne l’impression d’une certaine intelligence ne soit pas encore démis de ses fonctions. Les roublards attendent qu’il ait poussé sa char…ue trop loin ? Il est trop simple de murmurer qu’il est ceci, cela. Mais qu’envisagent tous ces forts en rumeurs ?