PAR PÉRONCEL-HUGOZ.
JSF publie ce jeudi – avec remerciements – un premier extrait de l’entretien cité en titre, donné par notre confrère Péroncel-Hugoz à Valeurs Actuelles. (À suivre)
Jean-Pierre Péroncel-Hugoz, ancien grand reporter au « Monde », est l’auteur d’une dizaine d’essais sur l’islam et les pays du Sud, dont « Lettres marocaines et autres écrits du maréchal Hubert Lyautey », consacré à ce grand officier colonial (1854-1934), premier résident général du protectorat français au Maroc. Entretien.
Propos recueillis par Sabine Dusch.
Dans l’histoire de la colonisation, Lyautey reste à part. Pourquoi ?
Sa devise était « la joie de l’âme est dans l’action », et il a su l’appliquer avec autorité, sans se laisser intimider par les idéologues et les bureaucrates, agissant partout où il a œuvré – Indochine, Madagascar, Maroc — avec des résultats durables mais aussi avec panache et cette « parcelle d’amour » qu’il voulait inséparable de toute action. Lyautey n’est pas notre seule grande figure coloniale mais il a mieux résisté à la vague, du reste purement idéologique, d’anticolonialisme et de décolonialisme – vague qui ne faiblit pas et ne s’embarrasse jamais des faits. Lyautey, c’est le Maroc réinventé, une belle vitrine, surtout comparée à beaucoup d’autres États musulmans, à commencer par ceux qui n’ont pas été colonisés par des Européens comme l’Afghanistan et le Yémen, où règne une misère sanglante.
Lyautey a aussi eu la chance d’être défendu par certains dirigeants marocains d’après l’indépendance, comme le roi Hassan II (Photo) qui, recevant Philippe de Villiers, lui fit l’éloge de l’ex-résident général de France à Rabat, lequel avait su moderniser l’empire chérifien sans abîmer son âme ; le monarque alaouite reprocha même aux Français de ne pas avoir conservé une assez haute idée de l’ancien proconsul…
Comment définiriez-vous la « pensée » de Lyautey ?
La grande idée de ce pacificateur qui osait se définir comme un « féodal » était de réparer et consolider les vieilles institutions locales plutôt que de les abattre ; de gouverner par l’entremise des notables; de pacifier le pays par la politique de la « tache d’huile » plutôt que par les canons, même si ceux-ci furent également utilisés ; d’apporter la sécurité, le commerce, la santé où ils avaient de longue date disparu. « Un médecin vaut un bataillon! », répétait Lyautey. Toutes ces conceptions n’étaient pas sorties d’un seul coup du cerveau de ce militaire observant avec acribie l’évolution des sociétés de son temps, et ayant très tôt publié, dès 1891, Le Rôle social de l’officier, réédité jusqu’à nos jours car il reste utile. L’ensemble de ses réflexions coloniales fut édité en 1927 sous le titre Paroles d’action. Les Américains eux-mêmes s’avisèrent, mais un peu tard, de l’utilité des méthodes Lyautey pour l’Afghanistan…
Ces méthodes sans aucun mépris (« Les musulmans ne sont pas inférieurs, ils sont différents de nous ») devaient toutefois trouver leurs limites sur le terrain, du vivant même de leur concepteur, car elles échouèrent dans le Rif espagnol face à l’islamo-nationaliste Abdelkrim… Le plébéien maréchal Pétain fut alors envoyé au Maroc, ce qui conduisit à la démission de l’aristocrate Lyautey en 1925. ■ (À suivre)
(Photo : Lyautey et Pétain ensemble lors de la guerre du Rif)