507 : Date possible de la bataille de Vouillé
Neuf ans auparavant, Clovis avait finalement connu le triomphe, contre les Alamans, lors de la terrible bataille de Tolbiac, alors qu’il y avait d’abord frôlé le désastre. Les conséquences de ce succès militaire furent immenses pour le futur de ce qui n’était pas encore la France, mais qui était en train de le devenir, et pour une très large part grâce à Clovis, qui venait de redonner à la Gaule sa frontière « romaine » du Rhin, en refoulant les Alamans sur l’autre rive du fleuve (voir l’éphéméride du 10 novembre). Ci-dessus : gisant de Clovis à Saint-Denis, les traits et la couronne conformes aux représentations du XIIIe siècle.
Un autre danger subsistait cependant : celui de la puissance wisigothique, qui s’étendait alors sur la plus grande partie de la péninsule ibérique et sur un très large quart sud/sud-ouest de la France actuelle, comme on le voit sur la carte ci dessous
D’une part, les rapports entre Francs et Wisigoths n’avaient jamais été bons. D’autre part, devenu le champion du catholicisme depuis sa conversion, Clovis était soutenu indéfectiblement par l’Eglise catholique, et regardé comme un espoir par la masse des populations gallo-romaines catholiques, sur laquelle régnaient des souverains tous acquis à l’hérésie arienne (notamment les Wisigoths).
Dans les années 500, l’agitation des catholiques est à son comble dans le royaume wisigoth d’Alaric II : celui-ci exile à Bordeaux les évêques Rurice (de Limoges) et Césaire (d’Arles), accusés de comploter avec les Burgondes, alliés de Clovis.
Théodoric le Grand, roi des Ostrogoths d’Italie, essaye de calmer les esprits, et pense pouvoir jouer les médiateurs, car il est marié à une soeur de Clovis, et le roi Alaric est marié à sa propre fille : il veut faire semblant de croire que l’opposition Francs/Wisigoths est purement territoriale et politique, et feint d’ignorer la détestation des ariens par les masses catholiques. Sur le conseil de Théodoric, Clovis et Alaric se rencontrent à la frontière de leurs deux royaumes, sur l’Île d’Or (ou Île Saint Jean), au milieu de la Loire, face à Amboise. Mais la guerre est en réalité inévitable, car Clovis veut à la fois redonner à la Gaule son autre frontière naturelle des Pyrénées et redonner ce vaste ensemble de territoires à la catholicité…
Ainsi, donc, après de vaines tentatives de médiations, Clovis attaqua Alaric II, dans la plaine de Vouillé (ou peut-être de Voulon, mais, dans les deux cas, tout près de Poitiers), « au printemps 507 », disent les historiens, sans donner de jour précis pour cet événement considérable qui, de toutes façons, recouvrait une période de temps bien plus étendue qu’une ou même plusieurs journées.
Au même moment, l’Empereur d’Orient, Anastase, allié de Clovis, attaquait Théodoric le Grand, pour lui reprendre l’Italie, privant ainsi les Wisigoths de leur unique soutien.
Mais, au-delà et en plus des conséquences immédiates de la bataille de Vouillé – qui venait comme couronner le précédent triomphe de Tolbiac, et permettait à Clovis de rendre le service immense qu’il a si bien rendu… – une chose est à noter : la France que nous connaissons aujourd’hui n’était nullement une évolution obligée des choses, un Etat qui aurait naturellement vu le jour de toutes façons. Bien au contraire, plusieurs autres entités que la France que nous connaissons aujourd’hui auraient pu naître à sa place, sous d’autres formes et recouvrant d’autres territoires. Précisément, la première de ces entités possibles était celle-ci : une vaste monarchie wisigothique s’étendant de part et d’autre des Pyrénées, et rejoignant peut-être un jour ses cousins d’Italie ! C’est cette première « autre France possible » que Clovis rendit, justement, impossible.
Par la suite, il aurait pu naître « quelque chose » autour de la puissante maison des Comtes de Toulouse : mais le trop faible poids démographique de la ville de Toulouse et, surtout, la Croisade des Albigeois rendirent cette option impossible.
Les Anglais, aussi, autour des Plantagenets, auraient pu créer un vaste ensemble s’étendant à la fois sur la Grande Bretagne et la France : là, ce furent plusieurs rois (Philippe Auguste, Saint Louis…) qui anéantirent ce rêve, mais au prix de très grands efforts, et sur une longue période.
La dernière grande entité qui aurait pu naître en lieu et place de la France, c’est du côté de la Bourgogne qu’elle se trouvait, et c’est Louis XI qui, bien plus faible au départ que ses rivaux – les Grands Ducs d’Occident – empêcha les Ducs de Bourgogne de réunir leurs riches et immenses territoires du sud (en gros, la Bourgogne et la Franche-Comté actuelle) à ceux du nord (en gros, les actuelles Hollande et Belgique, et une part de l’actuel nord/nord-est de la France).
Ainsi, dès Clovis et la première dynastie, les rois de France – surtout à partir d’Hugues Capet – ont-ils inlassablement repoussé tout ce qui s’opposait à leur tâche de rassemblement et d’unification des territoires de la France que nous avons reçue en héritage, et à la création d’un Etat qui a fait d’elle la première puissance du monde sous Louis XVI :
« La France fut faite à coups d’épée. La fleur de lys, symbole d’unité nationale n’est que l’image d’un javelot à trois lances. » (Charles de Gaulle)
« Pour moi, l’histoire de France commence avec Clovis, choisi comme roi de France par la tribu des Francs, qui donnèrent leur nom à la France. Avant Clovis, nous avons la préhistoire gallo-romaine et gauloise. L’élément décisif pour moi, c’est que Clovis fut le premier roi à être baptisé chrétien. Mon pays est un pays chrétien et je commence à compter l’histoire de France à partir de l’accession d’un roi chrétien qui porte le nom des Francs » (Charles de Gaulle).
Sur Clovis, et l’importance capitale de son règne, voir : l’éphéméride du 25 décembre (baptême de Clovis); du 27 novembre (sa mort); sur le sens véritable de l’épisode du vase de Soissons, du 1er mars; et, sur son autre victoire décisive de Tolbiac, l’éphéméride du 10 novembre.
1867 : Mort de Jacques Hittorf
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Sur le très bel aménagement de l’Avenue Foch et de la Place de l’Etoile, qu’il réalisa, voir nos éphémérides du 17 juillet (Avenue Foch) et du 13 août (Place de l’Etoile).
1873 : Fondation de l’Ecole française de Rome
L’Ecole française de Rome est un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel, sous tutelle du ministère chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche. Conçue d’abord comme relais romain de l’École française d’Athènes (1873), puis comme École d’archéologie (1874), elle est fondée en 1875 et occupe le Palais Farnèse, partagé depuis avec l’Ambassade de France en Italie (ci dessous).
Relais de l’action scientifique de la France en Italie et en Méditerranée centrale dans le domaine de l’histoire, de l’archéologie et des sciences sociales, l’École travaille dans le cadre de programmes avec des opérations de recherche qui sont conduites avec des partenaires surtout français et italiens mais aussi en provenance du Maghreb et des pays riverains de la mer adriatique (Albanie, Croatie, Serbie et Slovénie) et de l’Union européenne.
Ses opérations donnent lieu à des échanges scientifiques dans le cadre d’ateliers et de séminaires, voire de colloques, et s’articulent avec l’organisation de sessions de formation doctorale et la collaboration à des expositions. L’École accueille des membres, fonctionnaires détachés ou post- doctorants contractuels, des boursiers, des enseignants chercheurs et des chercheurs qui sont mis à disposition, détachés ou invités.
École française d’Athènes, École française de Rome, Institut français d’archéologie orientale du Caire, École française d’Extrême-Orient et Casa de Velásquez à Madrid : dans les aires géographiques et les domaines scientifiques de leurs compétences, les cinq écoles françaises à l’étranger ont pour mission de développer la recherche fondamentale sur le terrain et la formation à la recherche.
Fondées entre 1846 et 1928, ces cinq Écoles relèvent du ministère chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche et sont placées sous l’autorité scientifique de plusieurs Académies de l’Institut. Etablissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, ce sont des lieux d’échanges entre les chercheurs français et étrangers, contribuant au rayonnement de la science française.
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La France entretient donc, dans le monde, un réseau de cinq Établissements culturels de très haut niveau, tous présentés dans ces Ephémérides (avec leurs ramifications éventuelles…). Pour le premier d’entre eux, chronologiquement, l’Ecole française d’Ahènes, fondé par Louis-Philippe en 1846, voir l’éphéméride du 11 septembre; cette éphéméride vient de vous présenter l’Ecole française de Rome, fondée en 1873; pour l’Institut français d’Archéologie orientale, fondé en 1880, voir l’Ephéméride du 28 décembre; pour l’Ecole française d’Extrême-Orient, fondée en 1898, voir l’éphéméride du 15 décembre; et pour la Casa de Velazquez, fondée en 1928, voir l’éphéméride du 20 novembre.
1914 : Mort de Frédéric Mistral
Il avait reçu le Prix Nobel de Littérature en 1904.
1. Extrait de l’article que Maurras publia dans L’Action française du 26 mars 1914 :
« …On peut tenter de faire le compte de l’œuvre immense. Pour nous ce n’est encore rien. Mistral a ressuscité au fond de nos cœurs notre histoire, notre légende, notre sagesse provinciale, notre raison même ; il a éclairé pour nous jusqu’au sens des choses, telles qu’elles sont, mais telles que nous ne les eussions jamais comprises sans lui. La respectueuse affection dont il avait bien voulu nous permettre d’entourer sa noble vieillesse ajoute à notre douleur. Mais je connais des Provençaux de ma génération qui ne l’ont jamais vu ou qui l’ont vu à peine : aujourd’hui dispersés sur tous les points du monde, ils sentiront qu’avec la personne brisée de Mistral se perd en eux le centre d’une attraction suprême auquel correspondaient, comme par un accord de sourires mystérieux, le nom et l’image de leur pays… »
2. De Mistral, Maurras, a tiré la quintessence poétique et intellectuelle dans Maîtres et Témoins de ma vie d’esprit :
« …Au soubassement général de (son) œuvre courent en lettres d’or et de feu deux mots-clefs qui en découvrent le sens profond : Multa renascentur. Le monde est fait, inspiré, excité, et comme nourri d’une renaissance perpétuelle : c’est de la cendre des empires et de la poussière des civilisations que sortent les progrès dignes de ce nom. La vie mourrait si elle n’était soutenue, stimulée et alimentée par les morts… »
3. Jacques Bainville a également écrit deux pages superbes, à l’occasion du décès du Maître de Maillane : dans notre catégorie Lire Jacques Bainville, voir les deux notes :
– Lire Jacques Bainville (XV) : C’était du temps que Mistral vivait.
– Lire Jacques Bainville (XVI) : La Provence en deuil
Voir aussi notre album : Maîtres et témoins… : Frédéric Mistral. (90 photos).
Ci dessus et ci dessous, deux photos du Mas du Juge, où Mistral vit le jour le 8 septembre 1830. S’il passa toute sa vie dans son village de Maillane, Mistral y occupa trois maisons différentes. Le Mas du juge, où il naquit, fut la première, dans laquelle il passa les vingt-cinq premières années de son existence, et commença l’écriture de Miréio.
On peut évidemment le regretter, mais c’est ainsi : l’évolution des choses, l’histoire, a fait que le provençal est devenu, comme le grec et le latin, non pas une langue morte, mais une langue ancienne. Ce qui est bien sûr tout à fait différent.
Il serait très difficile – et ce serait d’ailleurs tout à fait vain… – d’expliquer pourquoi et comment ce qui se passe dans la Catalogne espagnole ne s’est pas passé en Provence, à savoir le maintien d’une langue catalane extraordinairement vivace, et parlée au quotidien par plusieurs millions d’hommes et de femmes, et de jeunes. Et parlée dans tous les actes de la vie courante. Le castillan étant de fait comme une sorte de seconde langue. En France, le provençal, pas plus que les autres langues régionales d’ailleurs, n’est plus parlé au quotidien, vingt quatre heures sur vingt quatre, par l’ensemble de la population, dans l’ensemble de ses activités. Certaines langues régionales se portent peut-être un peu mieux – ou, plutôt, un peu moins mal… – que d’autres, mais le fait est là, et l’on est bien obligé d’en tenir compte.
En 1855, à la mort de son père, Frédéric Mistral quitte le Mas du Juge, son mas natal, et vient habiter avec sa mère à la Maison du Lézard. Il y restera vingt et un ans, jusqu’à son mariage, en 1876. Dans cette maison, il écrit « Mireio » et « Calendau ». C’est aujourd’hui la bibliothèque municipale, le bureau du tourisme et le centre de recherches mistraliennes.
C’est Mistral lui-même qui la baptisa Maison du Lézard en inscrivant au dessus d’un cadran solaire trois vers faisant référence au temps qui passe et mettant en scène un lézard.
La traduction en est : « gai lézard, bois ton soleil, l’heure ne passe que trop vite et demain il pleuvra peut-être. »
Faut-il donc, pour autant, se priver, se couper, des trésors que renferment – pour toujours – ces langues régionales ? Évidemment, non. Faisons une comparaison. Il ne viendrait à personne l’idée d’étudier le grec ou le latin pour aller faire ses courses en parlant grec ou latin dans les magasins ou dans le métro. Si l’on étudie ces deux langues anciennes, c’est uniquement, mais c’est l’essentiel et c’est essentiel, pour avoir un accès direct aux trésors de réflexion, de pensée, de sagesse, que renferment les textes anciens; et pour avoir un accès direct à ces œuvres et à leurs auteurs. Tout le monde est bien d’accord là-dessus. On « fait » du grec, on « fait » du latin pour fréquenter Sénèque, Virgile ou Térence et, à leur contact, à leur lecture, les laisser nous guider vers les sommets, nous instruire, nous améliorer.
André Malraux, dans Les voix du silence, a bien exprimé cette idée: en prenant l’exemple de Rembrandt, il parle en fait de tous les artistes du passé – mais aussi des écrivains, comme avec Mistral en l’occurrence – lorsqu’il écrit « …non moins misérable néant si les millénaires accumulés par la glaise ne suffisent pas à étouffer dès le cercueil la voix d’un grand artiste… Dans le soir où dessine encore Rembrandt, toutes les Ombres illustres, et celles des dessinateurs des cavernes, suivent du regard la main hésitante qui prépare leur nouvelle survie ou leur nouveau sommeil….. Et cette main dont les millénaires accompagnent le tremblement dans le crépuscule, tremble d’une des formes secrètes et les plus hautes, de la force et de l’honneur d’être homme. »
Nous en sommes là maintenant, semble-t-il, avec le provençal, qui est maintenant à considérer de la même façon que le grec et le latin. Loin d’être une langue morte, il doit être considéré comme une langue ancienne, renfermant des trésors de sagesse et -pour Mistral- de poésie. Il peut, et il doit, donc, être connu et reconnu, pratiqué et aimé comme tel. Certes son rôle vernaculaire semble terminé, comme pour le latin et le grec; mais pas son rôle d’élévateur du coeur, de l’âme et de l’esprit.
Ci dessous, la troisième et dernière maison de Mistral, qu’il fit construire en 1876, au moment et à l’occasion de son mariage.
Voici la suite de notre évocation de Frédéric Mistral, à travers sa poésie, que nous déclinons en trois temps : aujourd’hui, 25 mars, date anniversaire de sa mort, nous poursuivons la lecture commencée le 29 février (réception du Prix Nobel de littérature), qui s’achèvera le 8 septembre, jour anniversaire de sa naissance.
Et nous l’évoquons au moyen de deux poèmes (ou extraits) à chaque fois, soit au total six textes majeurs, qui permettront de se faire une première idée du fond de ses inspirations.
1. Le 29 février, nous avons lu un poème que l’on qualifiera de chrétien, tant est forte et sous-jacente partout chez Mistral cette source d’inspiration : La coumunioun di sant (La communion des saints) de 1858. Puis l’enracinement dans l’Histoire provençale et dans cette Provence charnelle, à travers ses paysages et ses villes. L’amour profond pour sa terre transparaît évidemment lui aussi partout chez Mistral: « …Se quauque rèi, pèr escasènço… » (Si Clémence était reine.., Mireille, Chant II)
2. Aujourd’hui – 25 mars – nous lisons un poème de combat, pourrait-on dire : I troubaire catalan (Aux troubadours catalans, partie I) de 1861. Puis, un poème peut-être un peu plus politique : A la raço latino (Ode à la race latine), de 1878.
3. Enfin – le 8 septembre – nous verrons le Mistral virgilien et homérique, paysan au sens fort et grand du terme, de l’invocation de Miréio (Mireille). Et, pour finir, l’invocation épique et historique de Calendau (Calendal).
Aujourd’hui, donc, 25 mars, deuxième partie de l’évocation (précédent, le 29 février; suivant, le 8 septembre).
III : Première partie de I Troubaire Catalan (Aux Troubadours Catalans). Le poème comprend deux Parties, de douze strophes chacune.
Fraire de Catalougno, escoutas ! Nous an di Frères de Catalogne, écoutez ! On nous a dit
Que fasias peralin reviéure e resplendi Que vous faisiez au loin revivre et resplendir
Un di rampau de nosto lengo : Un des rameaux de notre langue:
Fraire, que lou bèu tèms escampe si blasin Frères, que le beau temps épanche ses ondées
Sus lis oulivo e li rasin Sur les olives et les raisins
De vosti champ, colo e valengo. De vos champs, collines et vallées !
Dou Comte Berenguié, fraire, bèn nous souvén, Du Comte Bérenger, frères, bien nous souvient
Quand de la Catalougno adus pèr un bon vènt, Quand de la Catalogne guidé par un bon vent,
Emè si velo blanquinelo Avec ses voiles blanches
Intrè din noste Rose e recaupè la man Il entra dans notre Rhône, et reçut la main
E la courouno e li diamant Et la couronne et les diamants
De la princesso Doucinello. De la princesse Douce.
Prouvènço e Catalougno, unido pèr l’amour, Provence et Catalogne, unies par l’amour,
Mesclèron soun parla, si coustumo e si mour; Mêlèrent leur langage, leurs coutumes et leurs moeurs,
E quand avian dins Magalouno, Et quand nous avions dans Maguelonne,
Quand avian dins Marsiho, a-z-Ais, en Avignoun, Quand nous avions à Marseille, à Aix, en Avignon,
Quauque bèuta de grand renoum, Quelque beauté de grand renom,
N’en parlavias a Barcilouno Vous en parliez à Barcelone.
Cènt an li Catalan, cènt an li Prouvençau, Cent ans les Catalans, cent ans les Provençaux
Se partajèron l’aigo e lou pan e la sau : Se partagèrent l’eau, et le pain, et le sel:
E (que Paris noun s’escalustre !) Et (que Paris n’en prenne pas ombrage !)
Jamai la Catalougno en glori mountè mai, Jamais la Catalogne ne monta plus haut en gloire,
E tu, Prouvenço, plus jamai Et toi, Provence, plus jamais
As agu siècle tan ilustre ! Tu n’as eu siècle aussi illustre !
Li troubaire, e degun lis a vincu despièi, Les Troubadours, et nul ne les a vaincus depuis,
A la barbo di clergue, a l’auriho di rèi A la barbe des clercs, à l’oreille des rois
Aussant la lengo poupulàri, Elevant la langue du peuple,
Cantavon amourous, cantavon libramen Chantaient avec amour, chantaient librement,
D’un mounde nou l’avenimen D’un monde neuf l’avènement
E lou mesprès di vièis esglàri. Et le mépris des vieilles peurs.
Alor i’avié de pitre e d’aspre nouvelun : Alors dans les poitrines montait un âpre renouveau :
La republico d’Arle, au founs de si palun, La république d’Arles, au fond de ses marais,
Arresounavo l’emperaire; Parlait en face à l’empereur;
Aquélo de Marsiho, en plen age feudau, Et celle de Marseille, en plein âge féodal,
Moustravo escri sus soun lindau : Montrait ces mots, écrits sur son seuil :
Touti lis ome soun de fraire. Tous les hommes sont frères !
Simon de Montfort
Alor d’eilamoundaut quand Simoun de Mount-Fort Alors du septentrion quand Simon de Montfort
Pèr la glori de Diéu e la léi dou plus fort, Pour la gloire de Dieu et la loi du plus fort
Descaussanavo la Crousado, Déchaînait la croisade,
E que li courpatas, abrasama de fam, Et que les noirs corbeaux, morts de faim,
Vaulastrejavon, estrifant Voletaient, déchirant
Lou nis, la maire e la nisado; Le nid, la mère et la nichée;
Tarascoun e Bèu-Caire e Toulouso e Beziés, Tarascon et Beaucaire, et Toulouse et Béziers,
Fasènt bàrri de car, Prouvènço, li vesiés, Faisant rempart de chair, Provence, tu les vis
Li vesiés bouie e courre is armo Tu les vis, bouillonnants, courir aux armes,
E pèr la liberta peri touti counsènt… Et pour la liberté périr tous d’un seul cœur
Aro, nous agroumoulissèn Aujourd’hui, nous nous blottissons /
Davans la caro d’un gendarmo ! Devant la face d’un gendarme !
Les remparts d’Avignon
Fuguessias rèi de Franço, e Louis Vue voste noum, Fussiez-vous roi de France, et Louis VIII votre nom
E cènt milo Crousa vosto armado, Avignoun Et cent mille Croisés votre armée, Avignon
A si pourtau metié la tanco. Barricadait ses portes.
La vilo èro esclapado, èro espoutido à plat, La ville était brisée, était broyée, rasée,
Mai noste libre Counsulat Mais notre libre Consulat
Avié fa tèsto à l’armo blanco. Avait fait face à l’arme blanche.
Bataille de Muret, 1213, Miniature des Grandes Chroniques de France, 1375-1379
De Pèire d’Aragoun, fraire, bèn nou souvèn De Pierre d’Aragon, frères, bien nous souvient
Segui di Catalan, venguè coume lou vènt, Suivi des Catalans, il vint comme le vent,
Brandant sa lanço bèn pounchudo. Brandissant sa lance bien pointue.
Lou noumbre e lou malastre aclapon lou bon dre Le nombre et le destin accablent le bon droit
Davans li bàrri de Muret Devant les remparts de Muret
Soun touti mort à nosto ajudo ! Ils moururent tous à notre aide !
Tambèn, coume lou clergue emè lou capelan, Aussi, comme le clerc avec le prêtre,
Despièi, lou Prouvençau respond au Catalan Depuis le Provençal répond au Catalan
A travès l’oundo que souspiro; A travers l’onde qui soupire;
A travès de la mar, tambèn, i’a de moumen, A travers la mer, aussi, parfois
Vers Barcilouno tendramen Vers Barcelone tendrement
Barcilouneto se reviro… Barcelonette se retourne…
IV : Un poème plus politique : A la raço latino (Ode à la race latine)
Ci dessous, les cinq Etats latins d’Europe; aux cinq langues de ces pays, s’ajoutent la Catalan et bien sûr le Provençal pour faire les sept branches de ce grand fleuve qu’est la langue latine et qu’évoque le poète dans la deuxième strophe.
Le refrain de quatre vers Aubouro te, raço latino… s’intercale entre chaque strophe (ici, nous ne l’avons pas remis à chaque fois).
Aubouro-te, raço latino, Relève-toi, race latine,
Souto la capo dou souléu ! Sous la chape du soleil !
Lou rasin brun boui dins la tino, Le raisin brun bout dans la cuve,
Lou vin de Dièu gisclara lèu. Et le vin de Dieu va jaillir.
Emé toun pèu que se desnouso Avec ta chevelure dénouée
A l’auro santo dou Tabor, Au souffle sacré du Thabor,
Tu siés la raço lumenouso Tu es la race lumineuse
Que viéu de joio e d’estrambord; Qui vit de joie et d’enthousiasme;
Tu siés la raço apoustoulico Tu es la race apostolique
Que sono li campano a brand: Qui met les cloches en branle:
Tu siés la troumpo que publico Tu es la trompe qui publie,
E siés la man que trais lou gran. Tu es la main qui jette le grain.
Ta lengo maire, aquéu grand flume Ta langue mère, ce grand fleuve
Que pèr sèt branco s’espandis, Qui se répand par sept branches,
Largant l’amour, largant lou lume Versant l’amour et la lumière
Coume un resson de Paradis, Comme un écho du Paradis,
Ta lengo d’or, fiho roumano Ta langue d’or, fille romane
Dou Pople-Rèi, es la cansoun Du Peuple-Roi, est la chanson
Que rediran li bouco umano, Que rediront les bouches humaines
Tant que lou Verbe aura resoun. Tant que le Verbe aura raison.
En trois ans – du 20 septembre 1519 au 6 septembre 1522 –Magellan et El Cano réalisent le premier tour du monde
Toun sang ilustre, de tout caire, Ton sang illustre, de toutes parts,
Pèr la justiço a fa rajòu; A ruisselé pour la justice;
Pereilalin ti navegaire Au loin, tes navigateurs
Soun ana querre un mounde nòu; Sont allés découvrir un monde nouveau.
Au batedis de ta pensado Au battement de ta pensée
As esclapa cènt cop ti rèi… Tu as brisé cent fois tes rois. /
Ah! se noun ères divisado, Ah, si tu n’étais pas divisée,
Quau poudriè vuei te faire lèi ? Qui pourrait aujourd’hui te dicter des lois ?
A la belugo dis estello Allumant ton flambeau
Abrant lou mou de toun flambèu, A l’étincelle des étoiles,
Dintre lou mabre e sus la telo Tu as, dans le marbre et sur la toile,
As encarna lou subre-bèu. Incarné la suprême beauté.
De l’art divin siés la patrio, Tu es la patrie de l’art divin,
E touto gràci vèn de tu : Et toute grâce vient de toi:
Siés lou sourgènt de l’alegrio Tu es la source de l’allégresse,
E siés l’eterno jouventu ! Tu es l’éternelle jeunesse !
La Vénus d’Arles
Ta lindo mar, la mar sereno Ta mer limpide, la mer sereine
Ounte blanquejon li veissèu, Où blanchissent les vaisseaux,
Friso a ti pèd sa molo areno Frise à tes pieds son sable doux
En miraiant l’azur dou cèu. En reflétant l’azur du ciel.
Aquelo mar toujour risènto, Cette mer, toujours souriante,
Diéu l’escampè de soun clarun Dieu l’épancha de sa splendeur,
Coume la cencho trelusènto Comme la ceinture étincelante
Que déu liga ti pople brun. Qui doit lier tes peuples bruns.
Sus ti coustiero souleiouso Sur tes côtes ensoleillées
Crèis l’oulivié, l’aubre de pas, Croît l’olivier, l’arbre de paix,
E de la vigno vertuiouso Et de la vigne vertueuse
S’enourgulisson ti campas : S’enorgueillissent tes campagnes :
Raço latino, en remembranço Race latine, en souvenance
De toun destin sèmpre courous, De ton passé toujours brillant,
Aubouro-te vers l’esperanço, Elève-toi vers l’espérance/
Afrairo-te souto la Crous ! Et fraternise sous la Croix !
Aubouro-te, raço latino,
Souto la capo dou souléu !
Lou rasin brun boui dins la tino,
Lou vin de Dièu gisclara lèu !
Le tombeau de Mistral à Maillane, réplique du Pavillon de la Reine Jeanne, des Baux de Provence (Val d’enfer).
Trois de nos éphémérides essayent donc de restituer au moins une partie de la puissance et de la beauté de la poésie mistralienne (8 septembre, naissance; 25 mars, décès; 29 février, Prix Nobel) : elles sont réunies et « fondues », pour ainsi dire, en un seul et même PDF, pour la commodité de la consultation : Frédéric Mistral
Mais six autres de nos éphémérides rendent compte de son action, de ses initiatives ou d’autres prises de position importantes :
-
la création du Félibrige et la fête de son Cinquantenaire (éphéméride du 21 mai);
-
l’institution de la Fèsto Vierginenco (éphéméride du 17 mai) et celle de l’Election de la Reine d’Arles (Ephéméride du 30 mars);
-
le contexte historico/politique de la création de la Coupo Santo (éphéméride du 30 juillet);
-
Frédéric Mistral récite L’Ode à la Race latine à Montpellier (éphéméride du 25 mai);
-
enfin, la publication de son brulot anti-jacobin, fédéraliste et décentralisateur, donc authentiquement « politique », traditionnaliste et réactionnaire : La Coumtesso (éphéméride du 22 août)
Cette éphéméride vous a plu ? En cliquant simplement sur le lien suivant, vous pourrez consulter, en permanence :
• la Table des Matières des 366 jours de l’année (avec le 29 février des années bissextiles…),
• l’album L’Aventure France racontée par les cartes (211 photos),
• écouter 59 morceaux de musique,
• et découvrir pourquoi et dans quels buts nous vous proposons ces éphémérides :
Éphémérides, pourquoi, dans quels buts ?
Il y a dans votre propos une prémisse contestable: vous nous dites qu’il est raisonnable et utile, de proposer au public de se souvenir de Mistral, mais vous expliquez ensuite, comme si cela allait de soi, qu’il serait très difficile -et que ce serait d’ailleurs tout à fait vain…- d’expliquer pourquoi et comment ce qui se passe dans la Catalogne espagnole ne s’est pas passé en Provence. Il se trouve que c’est cela, au delà de la satisfaction jubilatoire et littéraire de relire Calendal ou lis Isclo d’or, qui me paraît le plus intéressant. La raison pour laquelle le provençal a disparu est simple: il n’est pas possible de maintenir un particularisme culturel dans une structure contrôlée par l’idéologie jacobine. Si le provençal s’était perpétué, cela n’aurait pu se faire que dans une contestation totale de la domination française et républicaine. Il est illusoire de se le cacher, si la langue corse s’est maintenue, c’est parce qu’elle a bénéficié d’une préférence exclusive des insulaires au détriment des hommes de l’hexagone, et d’un véritable détournement des institutions de l’état par les structures claniques traditionnelles ou adventices. Le maintien d’une langue, que cela vous horrifie ou non, est un rapport de force.
Je ne suis, pour ma part, nullement horrifié par l’idée que le maintien d’une langue est un rapport de force.
Ainsi, le catalan a survécu au franquisme et s’y est même développé, parce qu’il était à la fois, fût-il contestable par ailleurs, un vecteur culturel mais aussi politique. Il n’est pas sûr du tout qu’il résiste aussi bien à la massification par l’économie, le libéralisme, le consumérisme, l’Europe, etc…
Mistral a évidemment combattu le jacobinisme et même, en ce sens, la domination française et républicaine. (Voir, par exemple, un poème comme « La Comtesse »).
Mais il s’est refusé à suivre l’exemple de ses amis catalans et à entrer sur le terrain politique. Son système fut, au fond, de s’en tenir au domaine poétique. Sans-doute par préférence et goût personnels, mais peut-être aussi parce que le système politique national avait déjà envahi et perverti l’esprit public en Provence, où les rouges et les blancs, les partis politiques français s’affrontaient déjà. Par là, le rapport de force était sans-doute déjà défavorable au maintien du provençal et tout simplement de la Provence en tant que telle. Autrement dit, le maintien d’une langue a aussi besoin d’un cadre politique.
Il me semble que le jeune Maurras l’avait compris : voir le manifeste des félibres fédéralistes que Mistral, malgré les sollicitations, n’a pas désavoué.
Peut-être, d’ailleurs, Mistral avait-il raison et, peut-être était-il déjà trop tard pour sauver le provençal et la Provence de « l’uniforme niveau ». Restait la délectation jubilatoire et littéraire d’une haute poésie, ce qui n’est pas, à tout prendre, tout à fait rien …
Antiquus, vous voyez bien que les langues celtiques ont sinon disparu, du moins perdu de leur superbe. Alors que les îles britanniques n’ont pas connu notre jacobinisme. Pourquoi donc leur effacement, dans votre « logique » ?…
Beaucoup de force et de fraicheur dans la poesie de Mistral.Rien n’est perdu,nous devons garder en mémoire les histoires de nos anciens et les transmettre à nos enfants.Les langues régionales ne sont pas mortes mais il faut prendre le temps de communiquer (parler) avec les plus jeunes,à la maison.En avons-nous la volonté?Eteindre la télévision et sortir les livres de la bibliothèque,écouter la grand mère bretonne ou le grand père provençal?Sommes-nous assez « nourris »pour pouvoir « régurgiter »notre savoir?Espérer c’est combattre.Confiance,nos racines latines,grecques sont solides,nous avons le choix!Bien à vous tous.