En 1894 Daudet écrivait « Les Morticoles »… on a l’impression, en le lisant, qu’il décrit la vie depuis 2020…
Par Nadège Cordier.
Dans la famille Daudet, vous connaissez tous Alphonse, son Tartarin de Tarascon n’a plus de secret pour vous, sa Chèvre de monsieur Seguin, sa Mule du pape, son élixir du révérend père Gaucher et son Curé de Cucugnan non plus. Mais connaissez-vous son très controversé fils ? Léon de son prénom… écrivain engagé, ce qui n’est pas une sinécure, la tendance est à l’oubli, voire à l’effacement, à l’éviction, au déboulonnage ! Mais dans ce cas ce serait faire fi de ses qualités littéraires.
Tombée par hasard sur son ouvrage paru en 1894, Les Morticoles, je suis restée sans voix. J’avais l’impression de lire l’existence des hommes d’aujourd’hui, évoluant dans le contexte singulier qui est le nôtre depuis mars 2020. Mais le texte a 127 ans ! Léon Daudet semble donc encore plus visionnaire que George Orwell avec son 1984 paru en 1948 ! Notez que je laisse de côté ici Nostradamus et ses prédictions…
La quatrième de couverture est brève mais tout y est dit : « À la suite d’une erreur de navigation du capitaine, un navire est contraint de mouiller près de terres à l’aspect peu engageant. C’est le pays des Morticoles : la population, composée de malades, est dirigée par les médecins qui ont tous les pouvoirs. Une étrange contrée où « les lèchements de pied permettent d’accéder aux plus hauts postes… ». J’ai beau résister, j’ai beau lutter pour éviter tout amalgame équivoque et malvenu, ces quelques mots me rappellent quelque chose ! « Hors nous, tout le monde est malade » dit l’un des médecins morticoles et « ceux qui le nient sont des simulateurs que nous traitons sévèrement, car ils constituent un danger public » et, quelques pages plus avant on peut y lire que la « faculté de médecine est à la fois un parlement, une diète et une cour de justice », « tous les pouvoirs, toutes les fonctions, toutes les attributions sont aux mains des docteurs… ». Mais je ne veux pas divulgâcher la suite du roman et cesse donc mes citations.
Ce roman à clef met en scène les médecins qui critiquent leurs confrères, les docteurs hautains avec leurs patients qu’ils méprisent, les patrons qui inventent des spécialités hors de prix, les individus largement adeptes des pots de vin, les pratiques farfelues… Ce texte cynique, c’est peu de le dire, est une critique de la médecine du XIXe siècle couchée dans les pages du premier ouvrage de l’auteur.
La vision de Daudet sur ce monde singulier préfigure son avenir et, pourquoi pas, finalement le nôtre aussi : une société crédule et snob régie par les tenants du « c’est pour votre bien ».
Ce texte, j’en suis sûre, trouvera un écho en vous d’autant qu’il est écrit divinement bien. Il est vrai que dès son plus jeune âge Léon Daudet côtoie quotidiennement Edmond de Goncourt, Émile Zola, Marcel Proust, Gustave Flaubert, Guy de Maupassant et j’en oublie…, il fut même en premières noces le petit-fils par alliance de Victor Hugo alors… sa plume ne pouvait qu’être influencée par ce bain littéraire exceptionnel. ■