Par Nicolas Bauer.
COMMENTAIRE – Cette tribune est parue dans le Figaro d’hier 5 avril. Nous ne commenterons pas cette analyse d’expert. Si commentaire il y a, nous l’emprunterons à Christophe Boutin, notée, hier aussi, sur les réseaux sociaux : « Quelle est la légitimité d’une pseudo cour de justice dont on a démontré les failles du recrutement et l’évidence du parti-pris de ses « juges » pour se prononcer sur quoi que ce soit d’ailleurs ? Même Édouard Balladur, peu sujet aux emportements, se posait la question dans un texte récent. ». En sortir ou y rester nous paraît être une mesure technique dépendant des circonstances et de l’opportunité, c’est à dire à la discrétion des gouvernants. Pourvu que soit posé et déclaré le principe intangible de la souveraineté de la France, supérieure à toute autre. C’est ce que de Gaulle rappelait incessamment à ses ministres dans un latin approximatif mais efficace : « Prius omnium, Salus Patriae ». Nous sommes loin de telles maximes. Flirtant toujours avec toutes les formes possible de trahison.
« Contrairement à l’Union européenne cette Cour ne s’occupe que des droits de l’homme : quitter la CEDH n’entraînerait donc aucune conséquence économique, financière ou monétaire. »
TRIBUNE – Alors que la CEDH doit se prononcer, mardi, sur l’«inaction climatique» supposée de 33 États européens, dont la France, Nicolas Bauer, expert à l’European Centre for Law and Justice, appelle les candidats aux élections européennes à se positionner sur les dérives de cette institution.
Expert à l’European Centre for Law and Justice (ECLJ), Nicolas Bauer intervient à ce titre devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Il est coauteur de l’enquête « L’impartialité de la CEDH, problèmes et recommandations » (Grégor Puppinck (dir.), avril 2023).
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ne fait pas partie de l’Union européenne. Elle devrait cependant s’inviter dans la campagne des élections de juin 2024. L’Union européenne a en effet réactivé son projet de se soumettre à la juridiction de la CEDH. D’après la Commission européenne, il s’agirait de «renforcer» cette Cour et de lui «démontrer son attachement». Les citoyens sont par ailleurs invités à se souvenir «des précieuses contributions» que la CEDH aurait apportées à leurs pays.
Cet éloge tranche avec les polémiques créées par la jurisprudence de la CEDH depuis une dizaine d’années. C’est cette Cour qui a obligé la France à transcrire la filiation des enfants nés par GPA à l’étranger, à libéraliser le changement de sexe ou encore à rapatrier des djihadistes depuis la Syrie. Elle a aussi considéré que les peines de prison en France correspondaient à une «torture». En 2022, les juges européens ont donné raison à une militante Femen après sa profanation d’une église parisienne. Ces condamnations de la France, censées être judiciaires, sont évidemment avant tout politiques. La CEDH est devenue une institution de gauche. Cela était prévisible, au regard de ses origines et de son fonctionnement.
Cette institution se caractérise alors par une interprétation contestable du droit. C’est la Convention européenne des droits de l’homme de 1950 qui a institué la Cour du même nom, la CEDH. Le général de Gaulle et Georges Pompidou l’avaient refusée, car ils craignaient que le pouvoir des juges européens devienne incontrôlable. Ce n’est qu’en 1974 que la France a ratifié la Convention européenne, acceptant ainsi de limiter sa souveraineté. L’intention paraissait louable : protéger durablement les libertés des personnes en créant une obligation juridique pour l’État de respecter les droits de l’homme. Ce dont la France ne se doutait pas, en revanche, c’est à quel point l’interprétation des droits de l’homme par la CEDH allait évoluer avec le temps. En 1978, la CEDH avait pourtant prévenu que, pour elle, la Convention européenne était «un instrument vivant à interpréter à la lumière des conditions de vie d’aujourd’hui». Cette approche est dite «dynamique et évolutive».
Par cette interprétation du droit, les juges européens se sont émancipés du texte de la Convention européenne. Ainsi, la CEDH s’est autorisée en 1997 à contrôler les décisions de déchéance de nationalité, alors que la Convention européenne est silencieuse à ce sujet. Depuis 2010, la disposition indiquant que «l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille» ne doit plus se limiter, pour la CEDH, au couple homme-femme. En 2022, la Cour a considéré que le principe selon lequel «la mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement» était compatible avec l’euthanasie. Les juges européens créent ainsi ex nihilo du droit et des droits. Les principes de sécurité juridique et de prévisibilité sont mis de côté, au profit d’un droit «vivant», «évolutif» et «dynamique».
De graves dysfonctionnements traversent également la CEDH. Cette politisation de la CEDH soulève notamment un deuxième problème, touchant au fonctionnement de l’institution elle-même. La créativité juridique des juges européens a encouragé les militants à se saisir l’institution dans un but exclusivement politique. Dans le jargon européen, ces recours politiques s’appellent des «contentieux stratégiques». Les militants à l’initiative savent en amont quelle loi ou pratique ils veulent faire changer. Ils se mettent alors à la recherche d’une «victime», la poussent à «faire un recours» et lui payent ses frais d’avocats. L’objectif est d’obtenir de la CEDH la condamnation de l’État à changer sa loi ou sa pratique. La CEDH rendra par exemple lundi 9 avril son jugement sur un recours introduit par des écologistes, attaquant la France et 32 autres États européens pour leur «inaction climatique».
Ces «contentieux stratégiques» obtiennent des résultats du fait de la forte influence des organisations non gouvernementales (ONG) à la CEDH. Une partie des juges européens ne sont pas des magistrats, mais des anciens salariés d’ONG. Il arrive que ces juges tranchent les recours introduits par leur ancienne ONG, c’est-à-dire en situation de conflits d’intérêts. Ces cas de figure, dénoncés par des gouvernements, ont fait plusieurs fois scandale.
Il faut donc limiter les abus de la CEDH. Faut-il envisager une «sortie» de la CEDH ? Contrairement à l’Union européenne cette Cour ne s’occupe que des droits de l’homme : quitter la CEDH n’entraînerait donc aucune conséquence économique, financière ou monétaire. Les gouvernements gardent cependant la peur de s’isoler sur le plan diplomatique. Le seul précédent de « sortie » de la CEDH est d’ailleurs la Russie, dans le contexte de la guerre en Ukraine.
Pour le moment, des gouvernements se contentent de limiter les abus de la CEDH, sans la quitter. Ainsi, le Royaume-Uni a envisagé d’adopter une Charte nationale, définissant une interprétation littérale de la Convention européenne, s’opposant à celle, «évolutive», de la CEDH. D’autres États, comme la Hongrie, refusent tout simplement d’exécuter les arrêts controversés de la CEDH, estimant qu’elle outrepasse son rôle. Quant aux situations de conflits d’intérêts, la poursuite de la réforme de la Cour pourrait y remédier pleinement, comme l’avait recommandé le rapport sur «L’impartialité de la CEDH» (Grégor Puppinck (dir.), avril 2023). Dans tous les cas, un tel contexte de crise institutionnelle requiert que les candidats aux élections européennes se positionnent sur la CEDH dans le cadre de leur campagne. ■