Durant sa brève histoire, la Libye indépendante, ex possession italienne, a connu un réel âge d’or, paisible et prospère, celui du règne d’Idriss Ier de 1950 à 1969 ; les Libyens s’en souviennent régulièrement et alors presse et chancelleries soupèsent un moment les chances de restauration à Tripoli de la dynastie mahométane des Senoussis, qui se réclame de la semence de Mahomet comme les Alaouites du Maroc ou les Hachémites de Jordanie.
Le Figaro du 5 avril a donc consacré une page à l’émir prétendant, Mohamed el Senoussi, petit-neveu de feu le roi Idriss (1889-1983) ; ce sexagénaire aux allures modernes vit en exil entre Angleterre et Turquie. (Photo ci-contre de Mohamed ben Hassan-Réda El Senoussi, né en 1962).
Origines algériennes
La confrérie religieuse sunnite senoussie, d’où est issue la dynastie éponyme, fut fondée en 1837 à Mostaganem, en Oranie, un peu en réaction alors à la conquête de l’Algérie ottomane par les « infidèles » français.
Elle s’établit ensuite dans l’Est désertique de la Libye (Photo de gauche), où elle forma un émirat en Cyrénaïque à partir duquel elle établit des zaouias ou loges jusqu’au Tchad et au Soudan, y pratiquant un fructueux commerce – esclavage des Noirs compris – et essayant d’y contrer la pénétration européenne, notamment française et italienne, vers l’Afrique inexplorée ou quasi.
Le rôle des Senoussis, et notamment du futur monarque Idriss, contre ces conquérants perçus surtout comme chrétiens, fut récompensé, après la défaite italo-allemande dans le désert libyque, par l’indépendance d’une Libye pauvre mais qui allait découvrir alors son pétrole, grâce aux ingénieurs occidentaux (1959). À droite : visite de la reine d’Angleterre accompagnée du duc d’Edinburg, chez le roi Idriss en Libye (1954)
Une dictature dépensière
En 1969, la soif de pouvoir politique d’une poignée de membres de l’armée royale libyenne, dont le colonel Mouammar Kadhafi, provoqua un putsch pendant qu’Idriss (À gauche) prenait tranquillement les eaux en Turquie d’où il se rendit en Egypte ou il vécut jusqu’à son décès en 1983.
Pendant ce temps, Kadhafi, devenu un parfait dictateur, répandait l’argent libyen partout sur la terre où il y avait des désordres à susciter. Quoiqu’il fût un bon client des diverses industries françaises l’agité président Sarkozy, poussé par le « philosophe » tout aussi agité Bernard-Henri Levy, monta il y a 10 ans avec Londres une opération qui conduisit à l’empalement du dictateur militaire libyen, refugié dans une canalisation souterraine …
Quel rôle pour les souverains musulmans régnants ?
Depuis la brutale élimination de Kadhafi, la riche Libye pétrolière est déchirée entre factions relevant plus du banditisme que de de la politique. Et donc l’hypothèse d’une restauration des rassurants Senoussis ressort régulièrement sans jamais progresser malgré le soutien probable mais discret de l’émirat qatariote et de la Turquie erdoganienne. Et également de la puissante confrérie internationale des Frères musulmans.
Qu’est-ce qui bloque ? Eh bien, le véto silencieux mais implacable de l’État profond américain, éternellement hostile aux monarchies, en tout cas à d’éventuelles restaurations. On l’a su, dans les annales récentes, en Afghanistan, Roumanie et Bulgarie. Mais que font les monarques mahométans présentement régnants et souvent en bons termes politiques avec Washington ? Les royalistes musulmans se le demandent aujourd’hui à propos de Mohamed de Libye. Que font donc Maroc, Jordanie, Arabie, Émirats unis, Koweït, Bahreïn, Oman, Brunei, Malaisie, etc. etc. On se le demande … ■ PÉRONCEL-HUGOZ
Longtemps correspondant du Monde dans l’aire arabe, Péroncel-Hugoz a publié plusieurs essais sur l’Islam ; il a travaillé pour l’édition et la presse francophones au Royaume chérifien. Les lecteurs de JSF ont pu lire de nombreux extraits inédits de son Journal du Maroc et ailleurs. De nombreuses autres contributions, toujours passionnantes, dans JSF.
Retrouvez les publications sous ce titre…
En complément de l’excellent article de Jean-Pierre Péroncel Hugoz on trouvera dans les collenes de l’agence ACIP un texte de Fabrice de Chanceuil ci-dessous dont nous extrayons les lignes suivantes :
« le Prince se dit prêt à rentrer dans son pays pour engager des discussions avec toutes les parties, y compris les Frères musulmans et les anciens kadhafistes, à la seule exclusion des islamistes.
Quelles sont ses chances de succès ? Elles ne sont pas nulles car le Gouvernement d’Accord National » pourrait trouver avantage à mettre le Prince en avant, afin de faire obstacle aux ambitions du Maréchal Haftar comme à celles de Seïf al-Islam, fils cadet de Kadhafi »
C’est-à-dire que Péroncel-Hugoz sait tout simplement de quoi il parle ! Merci à lui pour ses chroniques…