Par Marc Vergier.
La pensée de M. Bonnamy est rafraîchissante, clairement formulée et ouvre de profondes perspectives. Merci à JSF pour cette diffusion.*
Sans avoir lu son livre, ni, d’ailleurs celui d’Emmanuel Todd, J’aurais pourtant envie d’ajouter mon grain de sel à sa présentation du mouvement « Woke ». Au-delà du phénomène de mode un peu ridicule, notamment sa version importée en France, il constitue un de ces débordements collectifs d’énergie typiques des U.S.A. « Pilgrims », Conquête de l’Ouest, ruée vers l’or, « Great awakenings », entreprises ou armées géantes formées en quelque mois, bourgeonnements religieux ou sectaires, prohibition, McCarthyisme, guerres impériales, morales ou policières …. Des vogues de nature diverses, passagères (pendulaires) ou non, certes, mais toutes avec la puissance de raz-de-marée ou d’éruptions volcaniques. En France, nous avons largement perdu notre disposition à de ce genre d’élans.
Le rapprochement avec les « Great awakenings » religieux (il y en aurait eu quatre en deux siècles selon Wikipédia) me semble fructueux. D’abord pour la proximité linguistique. Eux aussi disaient « ouvrez les yeux, réveillez-vous, convertissez-vous ». Le Wokisme, dans sa version épurée, me semble (et je fais vite) comme un nouvel appel du tocsin contre le pharisaïsme, contre la bonne conscience, pour forcer les nantis et autres bien-pensants à regarder la misère ou l’injustice autour d’eux. Moins précisément religieux que les précédents, mais, au fond pas tant que cela. M. Bonnamy nous rappelle que l’Amérique reste quand même très religieuse par rapport à nous. Sa conscience profonde lui remet périodiquement en tête ses idéaux judéo-chrétiens. Quoi de plus prophétique ou évangélique que ces imprécations, ces jérémiades, les appels au repentir (et les excès ou maladresses) qui en découlent. Ne méritent-elles pas quelque effort de compréhension de notre part ?
Est-ce si donc critiquable de s’indigner ? Ne sommes-nous pas aussi de tradition judéo-chrétienne ? Ne sommes-nous pas aussi un peuple indocile et contestataire, prophète et missionnaire en sa devise ? Pourtant l’apathie, l’ataraxie, la complaisance, semblent chez nous les plus forts et je ne vois pas de raison de s’en féliciter, encore moins de ricaner.
Prenons l’exemple de l’avortement, d’une loi considérée comme à dimension humaine et raisonnable (la loi Veil) nous sommes passés, peu à peu, après l’allongement de la période légale (en contradiction avec les possibilités de la science médicale), à la définition d’un droit de quasi-propriété … jusqu’à la récente sacralisation constitutionnelle. Et la majorité des Français semblent s’en réjouir. Ils sont pourtant hostiles à la peine de mort pour les criminels, moins maintenant pour les vieux ! De telles contradictions ne peuvent prospérer que dans un peuple endormi.
Pas chez les Américains ! Le débat resté très vif chez eux et, prenant une direction opposée à la nôtre, leur Cour Suprême a dit « stop », presque aussi fermement que « notre » église catholique. Ne dit-on pas souvent des Américains qu’ils ont, à un degré élevé, la faculté de se remettre en question ? Et des Français celle de se gausser ? Je crains que notre réveil soit pénible.
Pour me faire comprendre, je me suis un peu écarté du sujet, laissant tomber un pavé dans le marais des hypocrites repus et bien-pensant. On me pardonnera.
Sur le thème du racisme, je rejoins M. Bonnamy. Le racisme est beaucoup plus marqué aux U.S.A qu’en Europe. Pensons aux traces laissées par la prédestination calviniste. Un certain wokisme se justifierait donc chez eux mais pas chez nous.
En France pas moins qu’aux U.SA., il n’y a rien de critiquable à faire la chasse aux expressions blessantes. Encore faut-il faire preuve de mesure et de subtilité.
L’écologie est aussi sujet de wokisme. Un réveil se produit dans le monde riche. Il était temps, nous sommes à peu près tous d’accord. Un coup d’arrêt doit être mis au saccage de la planète. Pourtant, derrière les gesticulations ou proclamations officielles, on voit les folles subventions consacrées é un « verdissement » plus ou moins sincère. Plus les voitures sont massives et plus elles semblent encouragées ; les vélos aussi ! L’activité économique (et sa sacro-sainte croissance) semble peser plus lourd que le maintien d’une diversité de la faune et de la flore ou de l’harmonie des paysages. N’y a-t-il pas de l’hypocrisie dans la multiplication des éoliennes et des réseaux électriques ? Cela justifie-t-il les Greta Thunberg et autres figures de proue ?
Il y a donc dans le wokisme des aspects louables qu’il faut pouvoir isoler des aspects sociaux qui le polluent. Il y a, chez les mieux lotis, les plus doués une évidente tendance à la complaisance, de la myopie, du pharisaïsme, de l’hypocrisie, de la duplicité, de la bonne conscience, justifiant beaucoup de critiques. Du côté des wokistes et des écologistes ou féministes on est frappé par une volonté de revanche qui se traduit en rage de domination et de conquête du pouvoir, c’est à dire en politique, avec toutes les tares du racolage politique : simplifications, slogans, outrances, contamination des messages médiatiques, trafics d’influence. Des ambitieux roués prennent les commandes de ces mouvements, des intellectuels et communicants s’emparent des « éléments de langage à la mode » et la foule déjà peu portée à la réflexion leur emboîte le pas, le plomb du cerveau descendu dans ses godillots. Selon la formule de Péguy, la mystique a dégénéré en politique ; puis en foire d’empoigne. Le résultat est devant nos yeux. Un cacophonie insupportable, oublieuse des bonnes intentions. J’ai envie de dire : ce n’est pas le wokisme qu’il faut dénoncer mais la bêtise omniprésente et bavarde que notre société à secrétée. Chez nous, plus encore qu’aux U.S.A, tout cela est mêlé : allergie officielle aux religions « religieuses » gobe-moucherie pour les autres. Américanisation servile et ignare, perversion générale des philosophies et religions en idéologies, charlatanisme intellectuel ou pseudo-scientifique…. Il s’y ajoute, contrairement aux U.S.A., le discrédit du patriotisme et de la morale. C’est le déboussolement dont traite M. Bonnamy. ■
Rafraichissante la pensée de Bonnamy ? Certes, mais devant les dangers qui s’accumulent, ne faut-il pas aller au fond du problème, de la déshérence qui nous guette ? Le Wokisme qui s’infiltre partout, même en France, avec l’appui tacite de nos gouvernants, de nos institutions, n’est-il pas le signe d’une crise gravissime de la transmission du devoir de piété ( et non de pitié ) que nous devons à ceux qui nous précédés ? (Voir Enée, le magnifique héros virgilien, fils pieux , aimant son père) Ne sommes-nous pas tous responsables en France, comme aux USA, et la « French Theory » n’en n’est-elle qu’un avatar ?)
« Virgile, père de l’occident « écrit prophétiquement Haecker en 1934, réédité par Remy Brague. chez Ad Solem. Ici, nous pouvons nous souvenir de l’Europe dont l’héritage serait selon Benoit XVI « Athènes, Rome et Jérusalem » , ce qu’aurait pressenti Virgile dans son œuvre adventiste, c’est à dire la possibilité de prendre enfin son destin en main, à travers cette piété qui nous relie, que nous massacrons bien aujourd’hui, dans la droite ligne d’un puritanisme devenue fou, celui qui animait déjà notre fameuse révolution. Les injustices ont toujours existé, mais si nous devons les réparer, ne devons-nous pas aussi en priorité exorciser la tentation millénariste ? Il y va de notre survie.
J’avoue que l’idée développée par ce M. Bonnamy ne me paraît guère convaincante. Ainsi le wokisme serait justifié outre-Atlantique, mais non chez nous au motif que les Américains seraient plus racistes que nous? C’est bien mal connaître la réalité de ce qu’il décrit. En effet, le wokisme n’est rien d’autre que la continuation plus contraignante encore de l’antiracisme, qui infecte nos cerveaux depuis soixante ans.
Le wokisme peut-il se définir seulement comme antiracisme ? Il me semble qu’il a dans ses formes extrêmes – les plus visibles car les plus remuantes – une charge subversive socio-anthropologique beaucoup plus vaste encore.
À l’origine du woke, il y a la constatation que l’antiracisme a échoué, dans son objectif final: généraliser la non-perception des races. ce résultat devant entraîner alors l’égalité totale des individus indifférenciés. Et comme, malgré une répression sans précédent, ce résultat n’a pas été atteint, il faut bien, à moins de renoncer à l’antiracisme, que quelque chose de pernicieux se glisse subrepticement dans la culture des Blancs. C’est pourquoi le woke restaure la distinction entre les races, mais pour détruire l’héritage des Blancs et promouvoir celui des victimes. Autrement dit, rien de bien nouveau, mais une exclusive bien plus violente.