Par Aristide Ankou.
Comme toujours, cet article est une analyse fine, écrite en langue alerte et vigoureuse, d’un sujet qui fait beaucoup parler et pose de graves questions Merci d’en traiter avec une si grande lucidité.
Le projet de loi « relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie » a été déposé sur le bureau de l’Assemblée Nationale et entame donc le processus qui, dans quelques semaines ou quelques mois, devrait le transformer en loi en bonne et due forme.
Le but fondamental de ce projet de loi, nul ne l’ignore, est de légaliser l’euthanasie et le suicide assisté. Tout le reste du projet n’est en définitive que diversion ou concession tactique sans grande importance par rapport à cet objectif essentiel.
Bien entendu, cette aide à mourir sera, nous dit-on, entourée de multiples précautions destinées à éviter toutes les « dérives » que prédisent les opposants et dont certaines ont déjà pu être constatées dans les pays qui nous ont précédé sur ce chemin censé être celui de la modernité et (chose nouvelle) de la « fraternité » (sic).
Et certainement, la loi telle qu’elle sortira du Parlement sera très restrictive quant à l’octroi de cette « aide à mourir ». C’est dans l’ordre des choses.
Mais si vous croyez vraiment, si vous croyez sincèrement que ces restrictions vont subsister bien longtemps, c’est que vous êtes prêt à croire n’importe quoi.
La première loi, la loi qui ouvrira la porte à « l’aide active à mourir » sera hérissée de précautions, de conditions, de déclarations solennelles sur le caractère grave et exceptionnel de la mise à mort d’autrui. Puis, petit à petit, et même sans doute assez rapidement, ces restrictions seront effacées une à une ou bien rendues discrètement inopérantes, jusqu’à ce qu’enfin la mort puisse être administrée aussi libéralement que l’avortement (pour mémoire : 234 300 IVG enregistrées en 2022 soit 641 par jour).
Ceux qui sont opposés à « l’aide à mourir » se trompent en effet lourdement en pensant que l’écoute, la compassion sincère et les moyens puissants qu’offre aujourd’hui la médecine pour soulager la douleur sont la réponse appropriée à une telle demande de mort. Cette réponse est sans doute pertinente au niveau individuel, face aux personnes qui demandent à mourir, et c’est effectivement l’expérience constante et, à ma connaissance, unanime, de tous ceux qui travaillent en unité de soins palliatifs.
Mais elle ne l’est pas pour les militants de « la mort dans la dignité », pour ceux qui assiègent le législateur, courent sans trêve les médias pour faire avance leur cause et sont aujourd’hui en passe de la faire aboutir.
Car ce qui les habite, la passion qui les possède, ce n’est pas la peur, c’est l’indignation. Ils ne demandent pas de la compassion, de l’écoute, du réconfort face à la douleur et à la mort, ils exigent qu’on leur donne ce qu’ils estiment leur être dû. Ils demandent, avec insistance, avec colère même, que leur volonté soit respectée, quelle qu’elle soit.
Il est inutile de leur dire que la volonté humaine n’est pas ce qu’ils croient. Que nous sommes bien moins assurés de nos désirs que nous le croyons parfois ; qu’il n’est pas rare que nous nous trompions sur ce qui constitue notre bien ; que souvent nous voulons des choses contradictoires et que souvent aussi nous voulons une chose et nous en faisons une autre : « Je veux et n’accomplis jamais/Je veux, mais ô misère extrême/Je ne fais pas le bien que j’aime/Et je fais le mal que je hais. »
Pour eux l’homme est un et sa volonté est le noyau de son être. L’homme est l’animal qui veut, l’animal qui se donne sa propre loi. La volonté de l’individu est chose sacrée à leurs yeux.
Il est inutile, donc, de leur rappeler que presque tous ceux qui demandent la mort à leur médecin changent d’avis dès lors qu’on se donne le temps et les moyens de les écouter et de les soulager. Un tel argument est pour eux anathème, car il signifie qu’on essaye peu ou prou de faire changer d’avis la personne qui demande à mourir. On fait injure à sa dignité en doutant de sa volonté.
Il est inutile, de même, de pointer les conséquences collectives désastreuses qui peuvent parfois découler de choix individuels. Il est inutile de leur expliquer qu’en changeant la loi et l’éthique médicale, on ne permet pas simplement à quelque personnes qui le demandent de se faire assassiner par leur médecin, on transforme aussi l’exercice de la médecine pour tout le monde et les mœurs de la société dans son ensemble. Un tel argument est pour eux anathème, car il signifie que la volonté de l’individu n’est pas l’alpha et l’oméga dès lors qu’il s’agit de régler sa vie.
Ce qui les inquiète et, dans le fond, les terrifie, n’est pas la perspective de souffrir, c’est la perspective d’être devenus tellement faibles et dépendants qu’ils ne puissent plus faire leur volonté. Ce qui les blesse dans la mort, c’est qu’elle est la limite absolue à notre vouloir. Alors ils veulent reprendre le contrôle en devançant la mort, pour que du moins elle vienne quand ils le veulent.
Derrière la revendication du « droit à mourir dans la dignité », il y a en fait l’aspiration à la souveraineté absolue de l’individu. La même qu’il y a derrière le « droit à l’IVG » qui vient d’être inscrit dans la Constitution.
Le parallèle est éclairant à plus d’un titre et devrait suffire à faire douter ceux que le principe de « l’aide à mourir » met un peu mal à l’aise mais qui sont rassurés par les multiples précautions qu’on nous annonce et qui, très certainement, figureront dans le texte final.
Que disait Simone Veil en 1974, il y cinquante ans ? Que si son projet admettait la possibilité d’une interruption de grossesse, c’était « pour la contrôler, et, autant que possible, en dissuader la femme ». Qu’il fallait prévoir une procédure conduisant la femme à « mesurer toute la gravité de la décision qu’elle se propose de prendre ». Que l’avortement ne devait pas être pris en charge par la sécurité sociale afin de « souligner la gravité d’un acte qui doit rester exceptionnel ». Que la société « tolère l’avortement mais qu’elle ne saurait ni le prendre en charge ni l’encourager ». Elle disait aussi : « je me garde bien de croire qu’il s’agit d’une affaire individuelle ne concernant que la femme et que la nation n’est pas en cause. »
Par conséquent la loi Veil légalisant l’IVG contenait les conditions suivantes :
– pour accéder à l’IVG, la femme devait être « en situation de détresse » par son état de grossesse ;
– autorisation parentale obligatoire pour les mineures ;
– délai de réflexion de 7 jours minimum entre les deux consultations (la première servant à informer la femme des conditions et des risques de l’IVG, la seconde à confirmer ou à infirmer la demande initiale d’IVG)
– entretien obligatoire avec un médecin ;
– l’IVG n’était pas remboursée par la sécurité sociale ;
– le délai légal était de 10 semaines d’aménorrhée.
De toutes les conditions restrictives initiales, plus une seule ne subsiste aujourd’hui. Je dis bien, plus une seule.
– Suppression de l’autorisation parentale pour les mineures (2001) ;
– L’avortement est remboursé à 100% pour toutes les femmes qui y ont recours depuis 2013 (et généralisation du tiers payant à tout « le parcours de l’IVG » depuis 2016) ;
– La condition de la « situation de détresse » a été supprimée en 2014 ;
– Le délai légal est passé à 12 semaines (en 2001) puis à 14 semaines (en 2022) ;
– Suppression de tout délai de réflexion entre la demande d’une IVG et sa confirmation (2016 et 2022) ;
– Les sage-femmes peuvent pratiquer l’avortement (2016 et 2022).
On peut ajouter à cela l’apparition du « délit d’entrave à l’IVG », peu à peu étendu jusqu’au « délit d’entrave numérique » (1993, 2014, 2017) et la transformation de l’IVG en « droit fondamental » inscrit dans la Constitution.
Et remarquez bien la temporalité : pendant vingt-cinq ans la loi Veil reste à peu près intacte, puis les « assouplissements » se multiplient, particulièrement ces dix dernières années.
Et c’est bien compréhensible. Lorsqu’un acte autrefois considéré comme très grave et condamnable devient légal, la plupart des gens gardent en eux, au fond de leur conscience, l’ancienne prohibition, et n’usent de la liberté nouvelle qu’avec une certaine réticence. Puis, peu à peu, l’habitude se prend, les réticences disparaissent, le souvenir de l’ancienne prohibition s’efface et non seulement on ne se fait plus conscience d’utiliser cette liberté que vous accorde la loi, mais on demande même un élargissement de celle-ci. Il est si doux de faire ce que l’on veut sans avoir à se justifier.
Comme le dit Raskolnikov, qui en connait un rayon sur le sujet : « L’homme s’habitue à tout, la bête ! »
L’aide à mourir va suivre le même chemin que l’avortement, qui lui-même n’est pas au bout de son chemin en direction de la liberté illimitée. Je vous en fiche mon billet. ■
* Précédemment paru sur la riche page Facebook de l’auteur, (le 13 avril 2024).
Aristide Ankou
Etant donné le prix pour la sécurité sociale d’un vieillard malade, toute la pression institutionnelle, du Directeur d’hôpital jusqu’au infirmiers pèsera pour inciter le patient à demander cette « mort dans la dignité ». Et il deviendra indigne de faire perdre leur temps et leurs moyens aux équipes soignantes pour prolonger le futur cadavre.
Par ailleurs, les notaires se frottent les mains ! Combien de successions trop lentes vont-ils enfin pouvoir régler ?
Ceux qui croient aux restrictions à l’application de la loi croient aussi au Père Noël
En ce qui concerne l’IVG, allez vous étonner de la baisse de la natalité en FRANCE : résultat, grand remplacement par des enfants dont les parents sont venus d’ailleurs dont l’éducation » (?) n’a rien à voir avec nos croyances chrétiennes ou morales mais qui, eux, ne suivent pas cette pratique honteuse.
Ces permis de tuer sont un grand scandale. E. Macron est avant tout responsable de cela, ainsi que VGE (1974, même si Simone Weil a été assez naïve pour penser que ses conditions seraient respectées), F. Mitterrand et F. Hollande (baisses ou suppression d’aides sociales aux familles pour leurs enfants. Ah ! elle est belle la république – sans majuscule bien sûr !
Bientôt, le soir d’un jour où la pluie, le vent et le tonnerre se disputent le ciel, une enfant comme Linda Blair, lancera dans la chambre accueillant sa grand mère adorée: « Malheur aux médicaux qui ne respectent pas la vie de ma mamy ». Et sur ces incantations, une boule de foudre , comme dans les 7 boules de cristal tracera son chemin tout autour du lit de la presque mourante, avant de disparaitre en électrisant tout le personnel médical. On apprendra, plus tard, que les hommes ne respectant plus les commandements de Dieu, ni celui qu’on nomme le serment d’Hippocrate s’opposant à l’euthanasie, devront subir les malheurs du pays dont le prince n’a pas d’enfant. Et finir en Enfer, comme leur chef.