COMMENTAIRE – Cet entretien – réalisé par a été publié aujourd’hui même dans le Figaro. Nous ne nous attachons pas ici aux appréciations de François Hartog sur tel ou tel point d’histoire en particulier. On en discutera si l’on veut. Ce qui nous intéresse plutôt c’est son analyse à la fois du niveau et de la nature des connaissances historiques de nos « élites » politiques ou médiatiques et d’autre part comment ils instrumentalisent de façon grossière Histoire et commémorations – de plus en plus nombreuses – à des fins de simple tactique politicienne. Cette pollution de notre Histoire nationale par le Régime – ou le Système – n’est pas la moindre de leurs fautes contre la France et les Français.
ENTRETIEN – Pour l’historien, la multiplication des commémorations est révélatrice d’un manque d’espoir en l’avenir.
François Hartog est historien. Ancien titulaire de la chaire d’historiographie antique et moderne à l’EHESS, il fut l’un des premiers à diagnostiquer le «présentisme » dans lequel nos sociétés sont enfermées et à étudier les usages politiques du passé. Pour lui, la multiplication des commémorations est révélatrice de notre nouveau rapport au temps, et du manque d’espoir en l’avenir.
« Aujourd’hui, sociologues et politologues s’interrogent et nous interrogent beaucoup sur le « vivre ensemble » (…),le communautarisme, l’individualisme (…), mais qu’en est-il du consentement, de la volonté ou du désir de vivre ensemble ? »
LE FIGARO. – Emmanuel Macron s’est rendu dans le Vercors pour débuter une itinérance mémorielle à l’occasion des 80 ans de la Libération. Il s’agit de la 26e commémoration nationale depuis le début de son premier quinquennat (contre 13 pour François Hollande et 3 pour Nicolas Sarkozy). Comment interprétez-vous cette « inflation mémorielle » ?
François Hartog. - La présence de la mémoire dans l’espace public n’a fait que croître au cours des quarante dernières années. Et effectivement Emmanuel Macron a multiplié les commémorations, plus que tous ses prédécesseurs. Cela s’explique en partie par le calendrier: le premier quinquennat d’Emmanuel Macron a coïncidé avec le centenaire de la Première Guerre mondiale en 2018, et il a embrayé sur la Seconde en décidant que le 80e anniversaire de la Libération serait un moment important de commémoration. Pour le président de la République, il s’agit aussi d’insister sur la commémoration au moment où ceux qui ont vécu ces événements sont en train de disparaître.
Toutes les commémorations qui ont eu lieu prennent d’ailleurs soin d’associer les derniers survivants, ou leurs proches, et des enfants, pour marquer cette volonté de transmettre l’histoire nationale aux générations qui viennent. Le président de la République apparaît alors, au sens propre du terme, comme un pontife, dans la mesure où c’est lui qui fait le pont entre les générations. Il considère qu’il fait partie de sa charge d’exercer cette fonction de pontife qui a été longtemps dévolue aux historiens. Gabriel Monod l’évoquait par exemple quand il a fondé La Revue historique: en 1876, il voulait relier le passé de l’ancienne France et la France d’après la Révolution.
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Au-delà du hasard du calendrier, on observe une intensification des commémorations avec les panthéonisations qui se sont multipliées ces derniers temps. Certains ont dénoncé l’usage politique qui en était fait. Comment analysez-vous cette dynamique ?
Le Panthéon, qui avait été longtemps délaissé, a été remis au goût du jour avec la panthéonisation de Jean Moulin. Depuis, les panthéonisations ont eu tendance à se multiplier. C’est clairement un instrument utilisé par le président de la République dans son rôle de pontife et à des fins politiques. Mais là où l’on voit les effets du présentisme dans lequel nous vivons, c’est que par les panthéonisations, on cherche à créer du commun en faisant droit à la diversité. Il faut que chaque communauté s’y retrouve, ait une place. C’est ce qu’on a vu avec Joséphine Baker, puis avec la dernière panthéonisation de Missak et Mélinée Manouchian.
Le cas de Robert Badinter est tout à fait intéressant puisqu’on arrive pratiquement à l’idée d’une panthéonisation immédiate. Santo subito, comme lorsque l’Église catholique estime qu’une personne mérite d’accéder à la sainteté juste après sa mort. On remarquera à cet égard que même l’Église catholique cède aux injonctions du temps, puisque Jean-Paul II a été proclamé saint très peu de temps après sa mort, alors qu’en principe les procès de canonisation prennent des dizaines d’années. Avec Badinter, on a un saint républicain de cet ordre-là. Et la décision en revient au président de la République dans sa fonction de «grand commémorateur de la nation».
Comment expliquer que le président de la République ait tiré à lui cette fonction de commémorateur-pontife? Est-ce parce que les historiens l’ont délaissée ?
Quand des historiens comme Gabriel Monod ou Ernest Lavisse se présentaient comme des pontifes, ils n’exerçaient pas de rôle directement politique et restaient dans leur rôle d’historien. Mais ils apparaissaient comme ayant la charge de cette pédagogie de la nation. Aujourd’hui, les historiens ont déserté cette fonction. Ils ont adopté des positions critiques par rapport à l’histoire-commémoration, comme en attestent toutes les polémiques autour du récit national. Ils se sont détournés de l’histoire nationale, d’abord parce que, leur semblait-il, cette histoire avait conduit à des affrontements en Europe absolument désastreux et, d’autre part, parce qu’ils ont voulu voir plus large. Prenez l’exemple de Fernand Braudel: c’était une histoire de très longue durée, qui débordait les frontières nationales, une histoire qui a aussi revisité le passé dans sa différence par rapport au présent.
Mais depuis notre rapport au temps a changé. Nous avons cessé de vivre dans ce que j’appelle le régime moderne d’historicité, cette histoire tournée vers le futur qui avait été le grand moteur de la IIIe République et d’une grande partie du XXe siècle. À partir des années 1980, on a eu le sentiment que le futur se fermait, que les enfants vivraient moins bien que leurs parents. À ce moment-là, la catégorie du présent a pris la première place. Cette fermeture du futur a désarçonné nos sociétés et la mémoire a été à la fois un moyen d’échapper à un enfermement sur le seul présent et un moyen de faire place à du passé, mais un passé qui avait été le plus souvent oublié, négligé ou ignoré. Dans les années 1990, les hommes politiques se sont mis à considérer qu’ils avaient pour fonction de reconnaître la mémoire. C’est aussi le moment où ont été mises en place des «politiques mémorielles» et où l’on a voté des lois dites mémorielles. La Russie est d’ailleurs un des pays où l’on vote le plus de lois mémorielles, les usages non conformes du passé sont criminalisés. Sans verser dans ces excès, les démocraties occidentales considèrent aussi que c’est quelque chose qui relève de l’exercice du pouvoir, en dépit des avertissements des historiens qui refusent que le législateur écrive l’histoire.
Les commémorations et l’appel au passé peuvent-ils réellement «recréer du commun» si le futur est fermé et que la société apparaît toujours plus fracturée ?
Dans sa conférence de 1882 « Qu’est-ce qu’une nation ? », Renan concluait qu’entre «le passé du souvenir et le futur de grandes choses encore à faire ensemble» s’intercalait le présent, qui était celui du «consentement» ou du «désir de vivre ensemble», animé par «la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis». Aujourd’hui, sociologues et politologues s’interrogent et nous interrogent beaucoup sur le «vivre ensemble», sur le « faire société », sur le séparatisme, le communautarisme, l’individualisme et la quête continue des différences, mais qu’en est-il du consentement, de la volonté ou du désir de vivre ensemble?
La question première, suggérée par Renan, est, en effet, celle du «consentement actuel» et du «vouloir encore» vivre et faire des choses ensemble? Cela même qui fait de la nation «un plébiscite de tous les jours». Tout est dans le «encore»: autrement dit, dans l’avenir. Or, l’avenir, le nôtre, n’est plus du tout celui de Renan, qui était une marche vers le progrès (avec certes des arrêts et des retours en arrière possibles, comme en 1870), mais le mouvement général était clair. Le nôtre est soit fermé, soit menaçant, ou les deux.
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L’histoire est beaucoup employée à usage immédiat (et menaçant) ces derniers temps, avec la référence à Munich 1938 dans le contexte de la guerre en Ukraine et des élections européennes. Quel regard portez-vous sur ces comparaisons ?
Depuis Hérodote, l’histoire a très souvent procédé par analogie. Mais il faut manier ces comparaisons avec beaucoup de précaution. Selon moi, le recours à ces comparaisons dans le contexte de la guerre en Ukraine est plutôt le signe d’une désorientation. Cette guerre nous a pris au dépourvu précisément parce que nous vivions dans un monde très présentiste et que nos dirigeants n’avaient pas compris que Poutine ne vivait pas dans ce temps-là. Poutine sait très bien être dans le présentisme quand il s’agit d’utiliser les trolls, mais autrement sa perspective politique s’inscrit dans une durée bien plus longue. L’aveuglement de nos pays s’explique donc par cette véritable discordance de temporalité entre les Occidentaux et les Russes. Sans repères, tout le monde s’est mis à mobiliser des analogies plus ou moins bricolées ad hoc pour essayer de croire qu’on comprend quelque chose à ce qui se passe. Sans grand succès, pour l’instant. ■
Le président dont le bilan est catastrophique multiplie les occasions de se mettre en scène , seul talent où il excelle , pour faire campagne. C’est sans compter sur le ras le bol d’une grande partie des électeurs . La dernière guerre de 40 nous est contée juqu’à l’écœurement ravivant la mémoire d’Hitler et falsifiant les faits. Dans le but de casser la montée du RN on a droit à des allusions sur les » Français qui n’aimaient pas la France.. » Une réflexion qui ne manque pas de saveur de la part de ce président.
Hélas quand on ne peutt vraiment rien dire à la Nation, donc à la France, « on » s’abime dans les souvenirs comme un vieillard peut l faire !
Mais quand donc ce mauvais bougre et sa mauvaise graine partiront-ils de leurs sièges confortables ? Et quand une véritable corvée de bois sera-t-elle mise en place pour nous débarrasser de ces français de papier qui nous ont VOLONTAIREMENT ENVAHIS ? Cessons de rêver, il n’y aura plus jamais de royauté chez nous sauf celle venue d’Afrique. Plus nous ressassons notre soif d’autre chose et moins nous voyons apparaître un Messie ! L’inculture de tous ces pauvres types et pauvres femmes nous a définitivement brisés ! Pour ma part, je sais bien que je suis l’inutile sarment des savoirs que j’ai acquis et qui ne servent à rien dans ce pays devenu incivil, sans culture et sans Dieu.
macron, le croque- mort de service qui se sert des commémorations que pour se faire valoir. Je me suis laissé dire qu’il allait commémorer le massacre d’Oradour-sur -Glane, où se rendent tous les présidents avant chaque élection pour bien montrer que Marine le Pen, et son père avant elle, étaient des nazis en puissance. Va t il un jour aller aux Lucs-sur-Boulogne commémorer le massacre des 110 personne dans la nuit du 28 Février au 1 Mars 1794 ,brûlées vives dans l’église de la même façon qu’à Oradour-sur- Glane par les colonnes infernales de cette magnifique république, j’en doute. Peut être n’est il même pas au courant de cette horreur.