Un « mini dossier » en 6 parties, publié au fil de la semaine en cours. Analyses et propositions spécialement opportunes alors que deux conceptions du monde vont s’affronter dans la campagne des élections européennes.
Par Rémi Hugues.
Le nouveau clivage sur lequel on discute tant dans les médias depuis quelques temps oppose libéraux et souverainistes. Tel est notre choix sémantique. Nous le trouvons, inutile de le dire, préférable à lʼopposition « ouverts » contre « fermés », mais aussi plus judicieux que les dialectiques progressisme / populisme ou mondialisme / nationalisme.
Choisir la bonne dialectique
En vérité la triplette libéralisme-progressisme-mondialisme se trouve en opposition diamétrale par rapport à la triplette souverainisme-populisme-nationalisme. Or cʼest ce dernier mot quʼavait utilisé Macron lors de son discours du soir du 1er tour afin de jeter lʼanathème sur sa concurrente Marine Le Pen, ne se proclamant ni champion du libéralisme ni du progressisme – et encore moins du cosmopolitisme, cʼest-à-dire du mondialisme – mais du patriotisme.
Il se référait implicitement à ce vieil adage de Romain Gary qui veut que patriotisme soit lʼamour des siens tandis que le nationalisme serait la haine des autres. Quel subtil sophisme ! Il nʼy a rien de plus trompeur. Cʼest jouer sur les mots, et chacun connaît leur pouvoir de manipulation. Le nationalisme et la patriotisme ont des sens différents mais voisins et corrélés, ce qui s’apparente à de la haine des autres relève à la rigueur de la xénophobie, du chauvinisme, pas du nationalisme.
Sachons dépasser cette distinction opérée de façon inepte entre nationalisme et patriotisme, et mettons en avant le vocable qui suit : souverainisme. « Un des plus grands crimes quʼon puisse commettre, cʼest sans doute lʼattentat contre la souveraineté », écrivit Joseph de Maistre dans Considérations sur la France[1]. Notre souveraineté, à nous Français, est la condition de possibilité de notre liberté et de notre identité.
Assumons donc être souverainistes, revendiquons-le même ! Soyons du souverainisme intégral, ce qui signifie souverainisme national et royal, contre ceux qui, ayant bien compris la performativité de ce mot, se réclament du souverainisme européen. Dans sa tribune publiée dans les journaux de tous les pays de lʼUnion européenne le 5 mars dernier, le président Macron prônait un « souverainisme européen »[2].
La question européenne a précipité la fin du clivage gauche-droite
Cʼest lʼEurope justement, le projet dʼétablissement dʼun État-région européen, qui a amené à la disruption du clivage politique en place depuis lʼinstauration de la Vème République au profit du clivage du « nouveau monde ». Les référendums de 1992 et 2005 sur lʼEurope ont été les pierres angulaires de la constitution du clivage libéraux / souverainistes, précipitant le déclin voire la disparition du clivage traditionnel gauche / droite. « Cʼest durant le débat qui a précédé la ratification par référendum du traité de Maastricht, adopté par 51 % des suffrages exprimés, que lʼopposition entre ʽʽélitesʼʼ et ʽʽpeupleʼʼ est devenue lʼun des lieux communs du commentaire politique ; treize ans plus tard, lors du vote sur le Traité constitutionnel européen, elle a pris une nouvelle vigueur. »[3]
Le référendum de 2005 a marqué, en effet, « lʼentrée en dissidence des catégories intermédiaires. Le corps social commence à se réunifier contre se strates dirigeantes. »[4] Cʼest à ce moment-là, par exemple, que débute la trajectoire dissidente dʼÉtienne Chouard (Photo), dont le métier de professeur dans le secondaire appartient à ces catégories intermédiaires. Le politiste Gérard Grunberg confirme cette thèse : « Lʼenjeu européen affaiblit davantage le clivage gauche / droite. »[5]
Immigration et Europe, les deux faces de la médaille mondialisation
Ainsi la forme politico-institutionnelle de la mondialisation – la dissolution de lʼÉtat-nation français dans un ensemble européen – a joué un rôle déterminant dans cette métamorphose. Sans oublier son corollaire démographique et ethnico-culturel : lʼimmigration de masse de ressortissants extra-européens, principalement issus de notre ancien empire colonial, particulièrement visible dans certains territoires des métropoles hexagonales – les fameuses « banlieues », notion chère à nos journalistes mais qui sʼavère réductrice, puisque la banlieue parisienne cʼest autant Saint-Cloud que Saint-Denis – a contribué de façon décisive à lʼémergence dʼun pôle souverainiste.
Il est situé, au moment de sa naissance, à la droite du R.P.R., de Philippe Séguin à Jean-Marie Le Pen, en passant par Philippe de Villiers, Charles Pasqua et Bruno Mégret.
Mais il bénéficie aussi dʼapports venus de la gauche, des anciens électeurs communistes au niveau de la base au néo-chevènementiste Florian Philippot pour ce qui est du sommet, en passant par Andréa Kotarac, ce conseiller régional dʼAuvergne-Rhône-Alpes transfuge de la France insoumise qui roule maintenant pour Marine Le Pen. Comme lʼa signalé Emmanuel Todd il prend des électeurs à gauche et à droite. (À suivre) ■
[1]Paris, Garnier, 1980 [1ère publication : 1797], p. 36.
[2]https://www.francetvinfo.fr/elections/europeennes/emmanuel-macron-prone-un-souverainisme-europeen_3218975.html
[3]Emmanuel Todd, op. cit., p. 70.
[4]Ibid., p. 172.
[5]Gérard Grunberg, op. cit.
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source
[1ère publication : septembre 2019].
La république se nourrit des divisions, elle vit des clivages… mais le ROI viendra tout réunir