Un « mini dossier » en 6 parties, publié au fil de la semaine en cours. Cette partie-ci est la dernière. Analyses et propositions spécialement opportunes alors que deux conceptions du monde vont s’affronter dans la campagne des élections européennes.
Par Rémi Hugues.
En théorie, le divin marché, qui, selon le rêve des libéraux, atteint son fonctionnement optimal quand y interagissent des agents se faisant une concurrence pure et parfaite, en un mot libre, que lʼÉtat ne vient pas fausser, est assimilable à une Jérusalem céleste ; lisez Harmonies économiques (1850) de Frédéric Bastiat et vous y trouverez un bien curieux providentialisme. Cette Jérusalem serait potentiellement menacée par Babylone, par les interventions de la puissance publique, que symbolise la tour de Babel édifiée par le chasseur devant Dieu Nemrod.
Le « nomos » de la terre promise du Marché
En pratique, néanmoins, le paradigme libéral, qui paraît dans sa substance même déterritorialisé, sʼinscrit dans un « nomos » de la terre dont le point nodal est la « ville-trois-fois-sainte ». Elle est la cosmopolis par excellence, la ville-monde jalousée par tant dʼautres métropoles puissantes qui espèrent pouvoir un jour surpasser sa force symbolique. Mais leur désir est vain. La Jérusalem terrestre est le telos du libéralisme politique, sa mesure ainsi que sa fin. Sa délimitation au fond, son horizon indépassable.
Nʼoublions pas que cette idéologie dite à tort du présent est en vérité un millénarisme, qui prospère sur la promesse de l’accomplissement à terme du royaume du Ciel descendu sur le monde, de lʼÉden restauré, du paradis sur terre… Lʼutopie étant la mère de tous les génocides – les grands massacres du XXème siècle ont été perpétrés par des millénarismes séculiers –, le souverainisme nʼa pas pour vocation de laisser présager le meilleur, mais il faut se contenter dʼune dose maximale de modestie en laissant augurer le moins pire. Un souverainiste conséquent se doit de soumettre au peuple lʼidée dʼun monde possible en lui montrant le caractère dystopique du dessein libéral.
Illusions et désillusions du Progrès
Certes la limite, la frontière, la délimitation ne réenchantent pas lʼexistence moderne – qui en a tant besoin ! – mais au moins elle prévient des excès intolérables consubstantiels au déploiement de la logique libérale. Plus le progrès avance, plus il sʼinstalle, plus il suscite des craintes. Il était mort, dit-on, dans les tranchées de la Grande Guerre. Telle un phénix, la religion du Progrès sʼest régénérée, convainquant en ce moment même un large public que les nouvelles technologies sont la voie du salut, quʼelles rendent le bonheur plus seulement pensable mais surtout possible. Lʼâge dʼor est à portée de main – merci aux avancées de la Science – accessible depuis son smartphone.
Cependant les désillusions propres à cette ère dominée par les « youtubeurs », les « instagrammeurs », ne cessent de croître. Haro sur les GAFAM[1] ! Adulés hier, maintenant abhorrés ? Ils sont en tout état de cause, paradoxe suprême, le sujet et lʼobjet, lʼinstrument et la cible, de la déferlante populiste qui sʼest cristallisée autour du Brexit au Royaume-Uni, de la victoire de Donald Trump aux États-Unis et du mouvement des Gilets jaunes en France, à partir de 2016.
La crise de la mondialisation en Occident a eu pour conséquence la montée de ce que les commentateurs anglo-saxons appellent lʼ « illibéralisme », cʼest-à-dire finalement le souverainisme.
« Le libéralisme est obsolète », a récemment fait remarquer Vladimir Poutine dans une interview accordée au Financial Times. Au fort de Brégançon, juste avant le G7, Macron a répliqué. Il sʼest hasardé à avancer que lʼécrivain anti-soviétique Alexandre Soljenitsyne figure parmi « les grandes consciences qui ont fait de la Russie une grande puissance des Lumières. » Cʼest méconnaître lʼauteur de LʼArchipel du Goulag que de lʼarrimer à la pensée libérale, lui qui est un patriote russe, un ardent défenseur de lʼidentité orthodoxe et de lʼâme slave traditionnelle, que le bolchevisme de Lénine, Trotsky et Staline a voulu étouffer.
Pour un programme commun de la Souveraineté
Il reste, pour ceux qui sont las de lʼimposture macronienne, à bâtir un programme de la souveraineté reconquise, dont la mise en œuvre pourrait être facilitée par la tendance anti-globaliste impulsée par Donald Trump et Boris Johnson, à rebours de leurs devanciers qui instituèrent lʼordre transatlantique thalassocratique imposant son hégémonie sans partage sur le globe depuis le XVIIIème siècle, si ce nʼest avant, à partir de 1651 et lʼActe de Navigation proclamé par Oliver Cromwell.
Une nouvelle période de lʼhistoire sʼouvre, plus hégélienne que kantienne, multipolaire, protectionniste, où au multilatéralisme des grands sommets de communiants, dʼinspiration onusienne, se substituent les relations bilatérales. Même un Macron, comme le souligne Éric Zemmour, sʼest plié à cet ordre des choses[2]. Mais son pragmatisme nʼira pas jusquʼà nous affranchir de lʼimperium exercé par les instances supranationales (O.N.U., O.T.A.N., tribunaux internationaux, U.E., O.M.C., F.M.I., etc.).
Une tabula rasa est pourtant la condition sine qua non de la restauration de notre capacité à maîtriser notre destinée, tant économique que démographique. Nous devons tout autant nous délivrer de la Bancocratie, qui asphyxie lʼélan créatif de nos forces vives par la logique de la dette, que de la Xénocratie, qui est en train dʼaltérer le substrat ethnique de notre population, lequel est en première instance de composition gauloise, comme lʼont affirmé les historiens Henri, comte de Boulainvilliers, et Augustin Thierry (Photo), et contrairement aux péroraisons de Nicolas Sarkzoy qui en mars 2007 sur TF1 prétendait, avant dʼen appeler à relever le défi du métissage en avril 2009 à Saclay, que la France est une communauté de valeurs et non une race. En somme à ses yeux elle nʼest pas une ethnie mais une idée.
Or, toute idée ne peut ni vivre ni se développer si elle nʼest incarnée. Lʼidée souverainiste, pour triompher, aura besoin de sʼincarner. Pourquoi pas dans un Roi ? (Suite et FIN) ■
[1]Accronyme des géants Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft.
[2]http://www.lefigaro.fr/vox/politique/eric-zemmour-quand-charles-maurras-inspire-emmanuel-macron-20190830
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source
Excellente série ; pour le dernier paragraphe , la lecture préalable de l’article d ‘ Olivier Perceval est rassurante avec le refus de [ se laisser refiler n’importe quelle démocratie couronnée ] ; cela paraît le bon sens même . Qui voudrait d’un Prince Sihanouk ?
Une formidable analyse sociopolitique, confirmée par la séquence électorale de 2022
@ YaiPhilo
Grand merci de l’appréciation que vous portez sur cette analyse en effet excellente remontant à un peu plus de trois ans, rédigée par Rémi Hugues qui en a donné un bon nombre d’autres de qualité comparable, dans JSF.
Vous semblez être vous-même intéressé par les sujets sociopolitiques. Vous pourriez peut-être dire ici quelques mots sur vos centres d’intérêt, vos recherches et travaux qui, le cas échéant, pourraient nous intéresser aussi. Merci !
Cet ensemble de textes fait écho à la campagne électorale actuelle, qui devient alors plus lisible, tout cela est fort intéressant !