Un joli panorama de nos artistes actuels, tourmentés par l’Autre…
Par Didier Desrimais*.
Nouvel excellent article de cet auteur paru hier 19 avril dans Causeur. Excellent et… déprimant. Sans ajout de commentaire.
L’entre soi des belles âmes !
La culture française se met à l’heure du réalisme progressiste, immigrationniste et diversitaire. Même la Villa Médicis n’échappe pas à cette idéologie…
L’auteur et metteur en scène de théâtre Alexis Michalik était l’invité d’Alexandra Bensaid lors de la matinale de France Inter du 10 avril. Une émission sans surprise, totalement dans l’esprit du discours diversitaire imposé par la gauche médiatico-culturelle. Mise en bouche : la conversation porte d’abord sur les Jeux Olympiques. L’artiste est très heureux, dit-il, de participer au relais de la flamme olympique sur un trimaran traversant l’Atlantique jusqu’aux Antilles. Il a hâte que les Jeux Olympiques aient lieu. Balayant les critiques d’un revers de main, il pense que « l’esprit olympique » finira par « allumer une petite flamme qui mettra tout le monde d’accord ». Au passage, il salue et embrasse Thomas Jolly, le directeur artistique des cérémonies des JO. Mais voilà qu’au-dessus du studio, après cette merveilleuse éclaircie, des nuages s’amoncellent…
Le ton devient plus grave. Alexandra Bensaid évoque à la fois la dernière œuvre d’Alexis Michalik – “Passeport”, une pièce de théâtre sur la politique migratoire de la France – et le texte sur l’immigration qui est en train d’être discuté au Parlement européen. « L’Europe veut durcir ses frontières », se lamente la journaliste. Alexis Michalik est catastrophé. Il voit « tous ces pays qui passent à l’extrême droite » et craint que cela « ne nous pende au bout du nez en France avec Jordan Bardella qui monte de plus en plus dans les sondages ». C’est pour contrecarrer à sa manière ce fléau, qu’Alexis Michalik a écrit cette œuvre qui est, dit-il en wokelangue, « une vision assez humaniste et inclusive de la société ». L’artiste ne peut plus cacher son émotion :« C’est assez terrible pour moi de voir cette Europe se droitiser, se radicaliser, devenir de plus en plus réactionnaire, refuser de plus en plus de ces réfugiés dont on a besoin pour l’économie européenne. » C’est beau comme du Raphaël Glucksmann.
Bonnes intentions
Sur Internet, on peut prendre connaissance du dossier de presse1 de “Passeport”. En plus du résumé de la pièce, l’auteur y a joint des « notes d’intention » pour ceux qui n’auraient pas saisi l’esprit de cette œuvre « humaniste et inclusive » : « Depuis toujours, l’homme voyage. Chaque pays, chaque région, chaque ville s’enrichit de ses apports humains. Mais à chaque fois, les mêmes conflits, les mêmes rancœurs, les mêmes problématiques : qui était là avant ? Pourquoi partager ? Pourquoi accueillir des gens d’une autre culture ? Les germes de l’intolérance et du racisme polarisent les débats et braquent les positions. » C’est beau comme du Benoît Hamon.
“Passeport” est donc l’histoire de trois migrants qui veulent aller en Angleterre via Calais. Comme on les en empêche, ils vont devoir s’intégrer en France, pays où, malheureusement, « le spectre des grandes migrations est agité par les extrêmes comme un épouvantail ». Pourtant,soutient Alexis Michalik,« c’est notre histoire à nous. Ou peut-être celle de nos parents, de nos ancêtres. Car si l’on remonte assez loin notre généalogie, nous avons tous dû, un jour, apprendre la langue d’un pays étranger, et tenter de nous intégrer. » C’est beau comme du Patrick Boucheron.
Benjamin Biolay est lui aussi un artiste tourmenté par ce qui se passe dans notre pays. Non, il n’est pas tourmenté par ce que vous croyez et qui fait l’essentiel de la triste actualité de ces dernières semaines. « Je pense beaucoup aux migrants en Méditerranée, confie-t-il sur le site de 20 minutes. Je vis une partie de l’année à Sète et souvent je regarde la Méditerranée et je me dis : À l’autre bout, là, il y a des gens en train de se noyer. » Il faut dire que l’acteur fait en ce moment la promotion d’un film intitulé Quelques jours pas plus dans lequel il joue le rôle d’un journaliste couvrant l’évacuation d’un camp de migrants. Là, comme prévu, il reçoit un coup de matraque d’un méchant CRS. À l’hôpital, il tombe sous le charme de Mathilde (Camille Cottin), la responsable de l’association Solidarités Exilés. Pour complaire à cette dernière, il accepte d’héberger un jeune Afghan. Etc, etc. Scénario en béton, labellisé pur jus « réalisme progressiste et diversitaire ». Malgré la publicité complaisante, les deux premières semaines d’exploitation de cet énième nanar immigrationniste sont très décevantes : 39 000 spectateurs seulement. Ça sent la cata. Ce film va donc rejoindre la cohorte des navets propagandistes subventionnés qui n’intéressent personne hormis le petit monde médiatico-culturel.
L’entre soi des belles âmes
Du temps du « réalisme socialiste » de l’ère soviétique, il était exigé de l’artiste « une représentation historiquement concrète de la réalité dans son développement révolutionnaire », le but étant d’éduquer les masses en glorifiant les transformations brutales mais nécessaires à l’avénement d’un avenir obligatoirement radieux. Étroitement surveillés par le redoutable Jdanov, les artistes se trouvèrent dans l’obligation d’adapter leurs œuvres aux règles de cet art officiel. Beaucoup s’exilèrent. Les récalcitrants furent emprisonnés ou déportés. Certains moururent dans les goulags. D’autres, tout en faisant des concessions au régime après avoir risqué le pire, travaillèrent dans la terreur – la biographie du compositeur Chostakovitch renseigne parfaitement sur l’enfer qu’ils vécurent. Tout autre est le « réalisme progressiste, immigrationniste et diversitaire » actuel, qu’aucun régime politique n’impose à proprement parler. Rien n’oblige les milieux artistiques et médiatico-culturels à ordonner et organiser sa propagation – c’est ce qu’ils font pourtant, avec constance, sans l’ombre d’une hésitation. L’artiste adepte du « réalisme progressiste et immigrationniste » se fait le héraut de la gauche woke et multiculturaliste sans qu’il soit besoin de le menacer. Sur l’écran ou la scène de théâtre, le message immigrationniste et diversitaire – optimiste, sans ambiguïté, réjouissant – n’est pas véritablement destiné aux masses, lesquelles sont par ailleurs rebutées par ce militantisme boursouflé et ennuyeux, mais sert essentiellement à la reconnaissance mutuelle des « belles âmes » de la congrégation culturelle. La Cérémonie des César ne parle pas d’art cinématographique – elle est le moment de l’entre-soi parfait, la réunion mondaine d’un milieu vivant en circuit fermé, sans autre spectateur que lui-même se regardant le nombril lors de laborieuses scènes de remises en cause du « système patriarcal », de la « domination masculine » ou du « racisme systémique ». Aucun pouvoir ne le contraint à cet abaissement idéologique. Rachida Dati n’est pas Andreï Jdanov. Comme ses prédécesseurs, la ministre de la Culture suit le courant progressiste sans rien comprendre, ignorante de l’idéologie qui gangrène les arts et la culture, ravie simplement d’être là, béatement réjouie d’avoir obtenu un poste éminent qui, au contraire de ce que laisse supposer l’intitulé du ministère concerné, ne nécessite plus de posséder de véritables connaissances artistiques et culturelles. D’ailleurs, à quoi serviraient-elles ? Roselyne Bachelot, ministre de la Culture de 2020 à 2022, passionnée de musique classique et d’opéra, auteur d’un livre sur Verdi, animatrice d’une émission radiophonique sur l’art lyrique, aura passé le temps de son mandat à se colleter avec des « acteurs culturels » plus ou moins « intermittents » se plaignant de ne pas avoir été suffisamment soutenus financièrement pendant l’épidémie de Covid. Quant à Mme Dati, elle n’a qu’une perception superficielle des domaines de l’art. Pour elle, tout se vaut, Skyrock et Radio Classique, Booba et Mozart, les ondulations épileptiques des breakers et les entrechats des danseurs de l’Opéra. Ce qui lui importe avant tout c’est « d’être dans le coup », de valoriser les musiques dites urbaines – parce que « c’est cool » – et de ne pas hiérarchiser les arts – parce que c’est « élitiste ». Forte d’une inculture bien ancrée, Mme Dati a cru devoir annoncer solennellement, à l’Assemblée nationale, son intention de mettre à la tête des 19 centres nationaux de chorégraphie, « au moins six » chorégraphes issus du hip-hop. Pourquoi ? Parce que « le hip-hop inonde toute la culture française », affirme Mme Dati qui prouve ainsi qu’elle se contrefiche de la culture française, dont elle ignore tout, en particulier dans les domaines de la musique et de la danse ; raison pour laquelle elle n’éprouve aucune difficulté à la laisser s’effondrer sous le poids d’une sous-culture musicale et chorégraphique issue des quartiers noirs américains, laquelle n’est pas un problème en soi – mais en devient un lorsqu’il est prévu de lui céder toute la place sur la scène mondialisée, c’est-à-dire américanisée. Ce qui s’est passé avec le rap. Ce qui se passera avec le breakdance, issu du hip-hop : visibilité mondiale aux JO de Paris où cette danse sera considérée pour la première fois comme une discipline sportive olympique – alors que le karaté a été écarté ! Tony Estanguet, président du Comité d’organisation des JO de Paris, a dit vouloir donner la priorité à « des sports [le breakdance et le skateboard (sic)] qui cartonnent sur les réseaux sociaux et que les jeunes regardent énormément ». Nous avons échappé de justesse à un autre « sport » qui cartonne sur les réseaux sociaux et qui plaît beaucoup à certains jeunes : le rodéo urbain. Ce sera pour la prochaine fois.
Une militante décoloniale infiltre la Villa Médicis
Mais revenons à Mme Dati. Sans doute cette dernière a-t-elle été également ravie par la nomination des futurs pensionnaires de la Villa Médicis. Sur son site, l’illustre Académie de France à Rome est fière d’indiquer que sept femmes, sept hommes et… deux personnes non-binaires composent la nouvelle promotion 2024-2025. Cela renseigne déjà un peu sur l’avancée du wokisme dans cette institution. Mais il y a mieux, c’est-à-dire pire : la journaliste et essayiste française d’origine algérienne Louisa Yousfi fait partie des promus. Cette « créatrice » est surtout connue pour son engagement auprès des Indigènes de la République de son amie Houria Bouteldja et pour un livre intitulé Rester barbares. À la lecture de la quatrième de couverture, il apparaît que cet essai est un « récit à la fois politique et littéraire de ce (re)devenir barbare des Noirs et des Arabes en France » convoquant « la prose des militants décoloniaux » afin de « se départir des conflits de loyautés imposés par le mythe intégrationniste à la française » et d’aider tous les Noirs et les Arabes à « s’extraire des turpitudes du privilège blanc ». Rien que ça. Mme Yousfi se réjouit de « l’engagement » des femmes voilées, explique le plus sérieusement du monde que si les homosexuels d’origine arabe ne font pas leur coming-out dans les quartiers communautaires, c’est par « choix politique », pour protéger une communauté déjà « abîmée » par le racisme et l’islamophobie (5 mars 2023, Le Média), et rejette l’intégration à la française. Elle va pourtant vivre pendant un an, dans un cadre idyllique, aux crochets d’un pays qu’elle abhorre et sous l’aile d’une civilisation qu’elle exècre. Comment cela est-il possible ? Comment expliquer la présence de Louisa Yousfi dans ce lieu prestigieux censé représenter la France, sa culture et ses valeurs, toutes choses que piétine allègrement cette soi-disant artiste ? Tout se combine pour que la sentence de notre président inculte finisse par avoir du sens : « Il n’y a pas de culture française, il y a une culture en France et elle est diverse. »
Retour à la cérémonie d’ouverture des JO : Aya Nakamura envisagée pour y chanter du Piaf, ce n’est pas anecdotique. C’est l’aboutissement d’un long processus de démolition de la France, de sa langue, de sa musique, de sa culture. Mme Dati considère que critiquer le choix de cette chanteuse, « c’est du racisme pur et dur ». Or, Mme Dati est « au service de la découverte par tous de la diversité de notre Culture » ; elle croit « à l’existence des “droits culturels” » et « au pouvoir de la création pour recréer du lien avec la société » ; pour elle, « l’enjeu c’est de faire. De faire plus, de faire mieux, de faire différemment » afin de « réparer la promesse républicaine d’une égalité des chances qui n’est pas effective aujourd’hui dans notre société »2. C’est beau comme du Emmanuel Macron. ■
* Amateur de livres et de musique, scrutateur des mouvements du monde.
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