Par Pierre Builly.
Les grandes manœuvres de René Clair (1955).
Libellule et papillon avant l’orage.
Introduction : En province, avant la guerre, Armand de La Verne, lieutenant au 33e Dragon et Don Juan de la garnison, tient le pari de devenir l’amant d’une femme que le hasard désignera. Marie-Louise Rivière, belle jeune femme arrivée depuis peu de Paris pour ouvrir une boutique de modiste est « l’heureuse » élue, ignorant le pari dont elle est l’objet.
Ce qui pourrait être un petit bijou élégant et cruel d’un grand réalisateur assez oublié, dont c’est assurément un des meilleurs films est, malgré de belles qualités formelles, finalement assez peu convaincant. Et si l’on veut observer la cristallisation de sentiments initialement futiles en grandes passions mortelles, il vaut naturellement mieux voir et revoir le sublime Madame de de Max Ophuls. Ça n’est pas la même dimension.
Cela étant, il y a tout de même de très bonnes choses dans Les grandes manœuvres et notamment la captation de l’atmosphère de cette ville qui vit au rythme de son régiment, où la bonne société ne songe qu’aux événements légers et dérisoires de la mondanité, mariage de la fille du Préfet ou bal de garnison. J’ai cherché infructueusement où pouvait, avant-guerre, stationner le 33ème Dragons et j’ai d’autant moins trouvé qu’il n’y a eu, dans l’histoire militaire de la France que 32 unités de cette arme. C’est sans doute une de ces cités militaires de l’Est de la France où l’on parle tous les jours de la Revanche, mais où on n’y croit plus guère… Épinal ou Bar-le-Duc.
Combien de temps ont-ils encore devant eux, ces beaux cavaliers et ces héritiers bambocheurs avant que le coup de feu de Prinzip ne tue l’avant-guerre, à Sarajevo, le 28 juin 1914 ? Il y a dans une pièce un portrait de Raymond Poincaré, président de la République. On est donc en 1913, première année de son septennat. Sans savoir ce qui attend on flirte et on joue ; mais lorsqu’on se brûle on peut mourir…
Tout ça est très bien : l’oisiveté des officiers, la servitude de leurs ordonnances corvéables à merci, leurs bonnes fortunes et leurs filles faciles, l’adulation femelle pour l’uniforme et la prestance (revoir l’admirable Gueule d’amour de Jean Grémillon où ce sont les spahis qui émerveillent Orange), l’ennui des petites villes. Et aussi les commérages, les jalousies, les ridicules (les deux dames aux chapeaux jaunes), la crainte du qu’en dira-t-on, l’élégance des tenues, la courtoisie des mœurs.
Il y a plein de visages connus, de deuxièmes ou troisièmes rôles intéressants… Pierre Dux, Jacques François, Jean Dessailly, Magali Noël, Dany Carrel, Gabrielle Fontan… et aussi une très jeune (et fatigante par sa niaiserie) Brigitte Bardot. On reconnaît même des silhouettes à l’époque inconnues : Daniel Ceccaldi, Claude Rich, Michel Piccoli.
Mais les deux personnages principaux ne font pas de bien au film. J’entends qu’ils étaient, en 1955, deux immenses vedettes, capables de faire affluer les spectateurs dans les salles. Personne ne nie la beauté classique de Michèle Morgan ; personne non plus ne lui trouve aujourd’hui du talent ou, en tout cas, la capacité d’émouvoir.
Quant à Gérard Philipe aux traits trop réguliers et à la grande niaiserie politique, je n’ai jamais été très à l’aise avec son jeu. Il est plutôt bon en arsouille, comme dans Pot Bouille, dans Le rouge et le Noir, dans Monsieur Ripois ; mais dès qu’il va dans le registre grave, c’est assez pitoyable (Les orgueilleux, Montparnasse 19). Il est donc, dans Les grandes manœuvres, assez convaincant lorsqu’il joue le lieutenant cynique et séducteur qui entame le film, bien moins tranchant lorsqu’il lui faut porter le poids de l’amour qu’il a suscité et qu’il ressent.
C’est tout de même un film recommandable, grâce au beau décor rose et gris, grâce à un joli panoramique lors du bal, où la caméra très gracieuse suit les danseurs de salle en salle. Mais là encore on songe à la qualité suprême de Madame de…, qui relativise tant de choses… ■
DVD autour de 14€.
Chroniques hebdomadaires en principe publiées le dimanche.
C’est avec un immense plaisir que je lis cette lettre cinématographique chaque dimanche et d’y retrouver de vieux films qui ont marqué l’histoire du cinématographe…
Des films des années 70-80-90 voire 2000 sont aussi les bienvenus 👍
Merci aux équipes de JSF pour leur formidable travail tant dans leur régularité que dans leur qualité !!! BRAVO !
Mille mercis pour l’équipe JSF. C’est qu’elle n’aime pas ce que Péroncel-Hugoz, vrai grand journaliste, (30 ans au Monde !) appelle l’ « àpeupriérisme ». Si fréquent partout.
Mais, en l’occurrence, c’est aussi que le patrimoine cinématographique, invention du XXe siècle, est riche de réels chefs d’œuvre (+ quelques navets de légende) et c’est enfin que Pierre Builly a bien du talent ! Et comme disait Thibon, ça manque ! Profitons du talent de Pierre Builly. Il a, croyons-nous, une (presque) inépuisable réserve de critiques dans ses casiers…
Vous êtes tous bien aimables ! Et je vous en remercie. J’ai encore à peu près 2500 textes dans mes fontes et nous serons morts avant que tous soient publiés…
Dans les prochaines semaines, au milieu de vieux chefs-d’oeuvre et de vieux nanards, il y aura des films plus récents : « La colline des hommes perdus » (1965), « La Vérité » (1960), « Un dimanche à la campagne » (1984), « Le pianiste » (2002), « L’île » (2006), « Dark waters » (2019)… et il y en a tant d’autres…