COMMENTAIRE – Cet entretien – réalisé par a été publié le 14 avril dans Le Figaro. L’argumentation juridique d’Arnaud Montebourg vaut ce qu’elle vaut. Nous laisserons aux constitutionnalistes de goût ou de profession le soin de les apprécier. Il n’en défend pas moins la souveraineté de la France et les prérogatives de l’État censé l’incarner contre les empiétements et les dérives manifestes du Conseil d’Etat. En cela, Arnaud Montebourg est dans la ligne qu’a toujours suivie Jean-Pierre Chevènement, avec, malheureusement, l’insuccès que l’on sait.
ENTRETIEN – L’ancien ministre a adressé une note au Conseil d’État dans laquelle il pointait la lourde responsabilité de l’institution dans « la mutilation juridique » de la souveraineté de la France. Les juges du Palais-Royal ayant refusé de la publier, il en dévoile les grands traits dans Le Figaro.
« Si le Conseil d’État ne réforme pas de lui-même sa propre jurisprudence, il faudra certainement une modification constitutionnelle pour, comme une rivière sortie brutalement de son lit, le remettre à sa juste place. »
LE FIGARO. – Dans une note que vous avez adressée au Conseil d’État et qu’il a refusé de publier, vous reprochez à l’institution d’avoir mutilé la souveraineté juridique française. Pourquoi leur avoir adressé cette note maintenant ?
Arnaud MONTEBOURG. – Le Conseil d’État m’a invité de sa propre initiative à livrer mon analyse – alarmante – de la situation de perte générale de souveraineté de la nation. L’entretien fut agité bien que courtois, et j’ai proposé aux magistrats qui m’interrogeaient d’étayer mon propos dans une note charpentée documentant la lourde responsabilité du Conseil d’État dans la mutilation juridique de notre droit à décider pour nous-mêmes lorsque nos intérêts souverains sont menacés. Cette note démontre que le Conseil d’État – sous le masque du droit – est devenu par ses propres décisions – qui ne relèvent que de lui et sans légitimité à le faire – une juridiction européenne et non plus nationale : il s’est arrogé le droit de contrôler la loi nationale lorsque celle-ci contredit le droit européen d’une part et d’autre part il s’obstine à refuser de contrôler les excès de pouvoir des institutions européennes, lorsque celles-ci contredisent le droit des traités européens. C’est bien là le comble ! Ma conclusion était certes désagréable, mais parfaitement fondée : « Ce deux poids, deux mesures est la démonstration de ce que semble être devenu le Conseil d’État, un agent actif de l’affaissement de la souveraineté de la France. Il lui est possible de corriger de lui-même ces atteintes à notre identité constitutionnelle en redressant ses propres décisions jurisprudentielles rudement contestées. » Dans la mesure où le Conseil d’État m’a indiqué ne pas souhaiter publier cette note, j’ai décidé de la rendre publique afin d’ouvrir le débat avec les citoyens, de permettre aux avocats et au gouvernement de s’en saisir pour obtenir du Conseil d’État qu’il se corrige lui-même.
Dans cette note, vous visez plus particulièrement deux arrêts du Conseil d’État : l’arrêt Nicolo, qui date de 1989, et l’arrêt French Data Network, rendu en 2021. Pourquoi ces deux arrêts ? Quelles sont les conséquences de ces deux décisions en matière de souveraineté et de démocratie ?
Le premier, l’arrêt Nicolo, est celui par lequel le Conseil d’État a décidé – contrairement à ce qu’il faisait depuis presque deux siècles – d’écarter une loi postérieure à un traité ou à une directive européenne qui en modifierait le contenu, jugeant désormais la loi souveraine – ce qui est interdit au juge – et l’affaiblissant donc au profit de décisions européennes de très faible légitimité démocratique. Ainsi concrètement, si par exemple, le Parlement soucieux de protéger notre intérêt national, avait décidé pendant la crise inflationniste créée par le marché européen des prix de l’électricité (jusqu’à 400 % d’augmentation pour certaines PME et TPE les jetant dans la faillite) de fixer un prix national réglementé de l’électricité protecteur de nos entreprises, le Conseil d’État aurait directement écarté cette loi au profit de la directive européenne la plus stupide et la plus destructrice depuis la naissance de l’Union européenne ! Ce n’est pas aux juges du Conseil d’État de dire l’intérêt national, c’est au Parlement souverain d’en prendre ses responsabilités politiques devant l’Union européenne, et à lui seul.
Quant à l’arrêt récent French Data Network de 2021, le Conseil d’État a refusé au gouvernement – c’était une demande présentée par le premier ministre lui-même, M. Jean Castex – de contrôler les excès de pouvoir des institutions européennes, comme les décisions prises par celles-ci en dehors des compétences strictement dévolues par les traités européens. C’est ce contrôle tatillon et systématique auquel procède pourtant depuis bien longtemps en Allemagne la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, en rappelant l’impératif de respect de souveraineté populaire appartenant au seul Bundestag. Il censure et bloque les directives ou toutes décisions européennes prises en dehors des compétences fixées par les traités. Et il y en a beaucoup ! Le Conseil d’État, tel Ponce Pilate, a décidé de s’en laver les mains. Résultat ? Lorsque la Cour de justice de l’Union européenne décide qu’il faut appliquer les 35 heures à nos forces armées, il n’y a pas de juridiction en France pour bloquer ce grotesque et grossier excès de pouvoir !
Il serait techniquement possible pour le Conseil d’État de revenir sur ces deux arrêts, mais cela reviendrait pour l’institution à se désavouer elle-même… Faut-il en passer par une réforme constitutionnelle ?
Si le Conseil d’État ne réforme pas de lui-même sa propre jurisprudence, il faudra certainement une modification constitutionnelle pour, comme une rivière sortie brutalement de son lit, le remettre à sa juste place.
Vous avez choisi de cibler le Conseil d’État, mais l’influence politique des quatre autres « cours suprêmes » (le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation, la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de Justice de l’Union européenne) est également de plus en plus contestée… L’État de droit est-il en train de devenir le gouvernement des juges ? Quelle est en particulier l’influence du droit européen sur la vie politique française ?
L’intégration juridico-politique de l’Union européenne par des règles uniques ou uniformes applicables à des nations dont l’histoire, la géographie et la culture sont disparates ne peut pas susciter l’adhésion, et provoque souvent à bon droit le rejet. L’Union ne peut pas être l’uniformisation. Et, à l’intégration juridique, il faut préférer la coopération politique. C’est pourquoi, pour préserver le futur de l’Union européenne, il paraît nécessaire de mettre un certain terme à cette intégration juridique excessive, pour ne pas dire d’inspiration extrémiste, à tout le moins permettre souplesse et liberté aux nations membres, et au total accepter que les intérêts nationaux prévalent lorsqu’ils le souhaitent et limiter les règles communes au strict nécessaire.
Dans cette vision renouvelée de la construction européenne, les juges n’ont pas à décider ce qui est bon ou mauvais pour la nation, car ils ne sont pas élus comme représentants de celle-ci. Voilà pourquoi les empiètements sur d’autres compétences que la leur, en violation de la séparation des pouvoirs, doivent être combattus et corrigés.
Cette exigence passe par la reconstruction d’un système juridico-politique souverain restaurant la primauté de la loi, outil de sauvegarde et de protection de l’intérêt national, ce dont notre pays a un besoin urgent.
Toute remise en cause de cet État de droit supranational est pourtant jugée illibérale par la majorité des observateurs et des hommes politiques eux-mêmes…
C’est un lourd contresens. Ce qui est illibéral et attentatoire aux droits fondamentaux, c’est la confusion des pouvoirs, sous toutes ses formes, et certainement pas leur séparation, dont je rappelle qu’elle est, dans la Déclaration des droits de l’homme de 1789, consubstantielle à l’existence même de la Constitution. Lorsque le magistrat n’est pas ou plus indépendant, et juge selon les directives du pouvoir exécutif, c’est effectivement la porte ouverte à l’arbitraire illibéral. Mais, lorsque le juge perd sa tempérance, et décide de se mettre à corriger la loi comme le fait le Conseil d’État, il viole à son tour l’article 3 de la même Déclaration : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément » et, dans ce cas, le juge entre alors dans l’usurpation de pouvoir tout aussi illibérale ! La séparation des pouvoirs est un équilibre précieux à préserver ; désormais les juridictions qui se mettent à corriger les lois, et à construire l’Europe en lieu et place des citoyens, ont pris une place problématique, dangereuse et anticonstitutionnelle. ■
« L’État de droit supranational » !!! Comment raisonner avec des formules aussi vérolées. N’en cherchez pas le sens, éliminez : s’il s’agit de droit international (ou supranational, qu’importe) dites-le. L’État supranational n’existe pas encore. C’est par de telles expressions à deux faces qu’on nous y prépare, comme le fait M. le Maudit avec ses deux drapeaux, sa double allégeance, « en même temps ». Agent double, agent trouble, peut-être pis.
Gare ! comme les maîtres devant lesquels ils plient, les soumis adorent les expressions ronflantes et creuses. .
D’accord avec Arnaud MONTEBOURG, au fait, nous sommes en démocratie, donc c’est le peuple souverain qui dirige, alors pourquoi des bandes de juristes peuvent se permettre de décider, d’imposer leur point de vue au Peuple, parait-il souverain. Il est temps de rappeler qu’il n’y a pas de POUVOIR judiciaire, mais une FONCTION judiciaire .