Avec Frédéric Rouvillois.
Cet entretien est paru sur Atlantico avant-hier, 21 avril. Christophe Boutin en a donné sur sa page Facebook un excellent commentaire. Le voici : « Atlantico, Le Point, Le Figaro… le livre de Frédéric Rouvillois pose visiblement des questions importantes tandis que se délite un peu plus notre société. « La politesse, même si elle est effectivement malmenée par certains politiques, n’en est pas moins omniprésente : y compris, j’insiste, par sa récusation explicite (style Mélenchon), son instrumentalisation (style Macron) ou son détournement (style Sarkozy). La politesse est notre compagne de tous les jours, elle est beaucoup plus présente dans nos vies quotidiennes que la loi, par exemple : c’est pour cela, expliquait le grand penseur conservateur Edmund Burke, que les manières « sont plus importantes que les lois. C’est d’elles que les lois dépendent ». C’est pourquoi la politesse, qu’on le veuille ou non, est, au fond, un objet politique majeur. » À lire. » Nous n’avons rien à y ajouter. .
Philippe C., Samara… La France est confrontée et une violence de plus en plus visible. Est-ce parce que nous avons collectivement renoncé à la politesse ?
Atlantico : Philippe C., Shemseddine, Samara… La France est confrontée à sans cesse plus de violences, tant et si bien que d’aucuns n’hésitent plus à employer le mot décivilisation. Celle-ci est parfois dirigée contre nos représentants politiques, en témoigne l’inquiétant récit de l’ancien maire de Saint-Brévin. Comment expliquer la violence déborde ainsi de la sphère privée jusqu’à gagner la sphère politique ? De quoi est-elle le nom ?
Frédéric Rouvillois : À mon sens, la décivilisation – un mot très fort dont le président Macron s’est emparé il y a quelques mois- peut se situer à plusieurs niveaux et avoir des degrés d’intensité variable : les cas de figure que vous citez, et auxquels on pourrait ajouter une liste interminable, se situent au sommet de l’échelle : ils nous montrent ce que la société pourrait devenir si l’affaissement de l’autorité politique et la disparition de toute politesse arrivaient jusqu’à leur terme : auquel cas, nous nous retrouverions dans quelque chose qui ressemblerait à l’ « état de nature » imaginé par Thomas Hobbes, cet enfer où chacun a le sentiment d’avoir tous les droits, y compris, celui de prendre les biens et la vie de ses semblables et de comporter « comme un loup pour l’homme ». Cette barbarie immédiate a toujours existé, mais de façon marginale : le risque, c’est de la voir se développer et pourquoi pas, à terme, se généraliser, comme conséquence de la désaffiliation au groupe social. Dieu merci, nous n’y sommes pas encore : et les sondages successifs qui paraissent sur la question montrent que les Français dans leur immense majorité ont conscience de l’importance de la politesse : du fait que le savoir-vivre est une condition essentielle du « vivre ensemble », vivre ensemble sans s’injurier, puis se frapper, puis s’égorger, comme dans les cas cités plus haut. La dernière question que vous posiez était de savoir « de quoi cette violence est le nom » : la réponse, c’est qu’elle sera le nom de notre destin si nous ne réagissons pas vigoureusement.
Pour l’essentiel, les Français disent rejeter la violence à chaque sondage sur la question. Dans la pratique, pourtant, cela ne correspond pas aux votes qu’ils privilégient quand ils sont appelés à s’exprimer dans les urnes. Faut-il penser que les Français sont devenus hypocrites à ce sujet ou au contraire (si tant est que ces deux propositions soient incompatibles) que les notions non violentes de politesse, par exemple, aient été ringardisées politiquement ?
Je pense qu’il s’agit moins d’une hypocrisie, de la part des Français et surtout, des électeurs qui vont voter pour des partis qui par ailleurs désignent la politesse comme un archaïsme à abattre, que d’un manque de prise de conscience : ces gens-là ne se rendent pas forcément compte que derrière les atteintes un peu puériles à la courtoisie que se permettent certains élus LFI, par exemple, il peut, à terme, y avoir un mouvement plus profond, et nettement plus dangereux. Ils oublient que sous la Révolution française, durant la révolution d’Octobre 1917 et plus dramatiquement encore au cours de la révolution culturelle chinoise, les attaques frontales contre la politesse ont été l’un des marqueurs de la dérive totalitaire. L’irruption de la violence publique au plus intime de la sphère privée et familiale.
La politesse, dont vous estimez dans votre ouvrage Politesse et politique qu’elle est étroitement liée à la politique, apparaît aujourd’hui bien moins présente dans le débat public. Comment a-t-elle été disqualifiée ? Peut-on penser que sa déligitimation va de pair avec la décivilisation de notre société ?
Je nuancerai d’emblée votre appréciation. D’abord, en un sens, la politesse n’a pas à être « présente dans le débat public », puisque, précisément, elle concerne des rapports entre personnes privées et qu’elle implique l’obéissance à des règles qui se situent en dehors du droit et, bien sûr, en dessous de la loi. Lorsqu’on ne mange pas proprement à table ou qu’on ne salue pas comme il faut quelqu’un que l’on croise dans la rue, on ne risque pas d’être traîné en justice. Ensuite, parce que la politesse, même si elle est effectivement malmenée par certains politiques, n’en est pas moins omniprésente : y compris, j’insiste, par sa récusation explicite (style Mélenchon), son instrumentalisation (style Macron) ou son détournement (style Sarkozy). La politesse est notre compagne de tous les jours, elle est beaucoup plus présente dans nos vies quotidiennes que la loi, par exemple : c’est pour cela, expliquait le grand penseur conservateur Edmund Burke, que les manières « sont plus importantes que les lois. C’est d’elles que les lois dépendent ». C’est pourquoi la politesse, qu’on le veuille ou non, est, au fond, un objet politique majeur.
D’une façon générale, de nombreuses traditions associées à la politesse ont été détournées de leur objectif premier et transformées en homme de paille pour en faire l’objet d’assauts idéologiques. Peut-on dire, dès lors, que le phénomène observé concernant les voix conservatrices (elles-mêmes ringardisées dans notre paysage politique) font face au même problème ?
Peu importe qui va utiliser les règles de politesse, et dans quel but, dès lors qu’elles sont présentes et qu’elles remplissent leur fonction sociale, qui avant tout est de polir les rapports du quotidien afin d’éviter les frictions, les conflits et les violences. Peu importe aussi que celui qui les met en œuvre le fasse de façon hypocrite : on ne demande pas à quelqu’un qui dit bonjour poliment à quelqu’un d’autre s’il éprouve pour lui une véritable estime, une affection, et s’il souhaite véritablement que cette personne passe une bonne journée. L’important est qu’il le dise, à bon escient, et que ce faisant, il témoigne à son interlocuteur le respect que celui-ci est en droit d’attendre.
Quelles sont les stratégies concrètes mises en place par nos politiques pour décrédibiliser la politesse comme le conservatisme ? Que dire, par exemple, du tutoiement permanent de certaines figures politiques ?
Il s’agit moins de stratégies mises en place par « nos politiques », que d’un discours construit développé par certains politiques situés à la gauche et à l’extrême gauche, qui reprennent ainsi, de façon tout à fait consciente, des positions qui remontent à la Révolution : des positions qui se fondent sur l’idée que la politesse serait par définition conservatrice, qu’elle ne serait qu’un moyen, pour la classe dominante, d’asseoir sa domination sur les classes dominées, et qu’elle constituerait ainsi un attentat aux principes fondamentaux d’égalité, de liberté et de fraternité. D’égalité dans la mesure où elle suppose la reconnaissance de différences et d’inégalités légitimes ; de fraternité, parce qu’entre frères, on ne s’embarrasse pas de manières ; de liberté, enfin, dans la mesure où la politesse est un ensemble de contraintes qui n’ont pas été adoptées directement par le peuple ou par ces représentants. Dans cette perspective, le savoir-vivre bourgeois est bon, au mieux, à ranger au musée des antiquités.
Quant à ceux qui, en dehors de ce segment de l’arc politique, se dispensent des formes et des règles du savoir-vivre, on peut penser que, comme notre actuel président de la République, ils le font soit en vertu d’un populisme démagogique – je veux faire croire au peuple que je suis comme tout le monde – , soit ( au contraire) pour manifester violemment leur supériorité et leur pouvoir : je pense ici au fameux tweet du 8 janvier dernier par lequel le chef de l’État a congédié la Première ministre, Madame Borne, avec la même absence de formes, de politesse et de galanterie qu’un mauvais patron du XIXe siècle licenciant une femme de chambre. Il ne s’agit pas d’une stratégie, mais il faut reconnaître que cela fait mauvais genre. Et que cela ne constitue pas un exemple à suivre pour le reste de la société, même quand par ailleurs on prononce des discours alarmistes à propos de la décivilisation. ■
La politesse et la courtoisie sont toutes les deux nécessaires à la bonne marche des rapports humains qui ne s’établissent que dans le respect de l’autre. Le problème est que si vous osez aborder le sujet on dit que vous êtes ringard et hypocrite et surtout hypocrite. Il est de bon ton d’étaler ses états d’âme et d’en faire profiter les voisins, de bon ton de se servir en premier et ignorer ce qui dérange , l’épanouissement de soi est a l’ordre du jour et ne pas se contraindre une profession de foi. S’ensuivent quelques difficultés à vivre en société.