Par Emmanuel de Saboulin Bollena.
INTRODUCTION – Nous proposons ci-dessous le compte rendu d’une conférence prononcée par M. Emmanuel de Saboulin devant les étudiants d’AF d’Aix-en-Provence intitulée « La noblesse française, un héritage actuel ». Un intéressant exposé d’un érudit provençal issu d’une ancienne famille noble de notre Comté de Provence, et qui s’est signalée de nos jours par la restauration méritoire de son château familial de Lanfant, dans le pays d’Aix. En fait l’orateur s’adonne à un exercice de lucidité historique, énumérant les principes d’acquisition de la noblesse au cours des différentes étapes de l’histoire de France. Il constate l’étiolement de ce groupe social aujourd’hui et s’efforce de montrer les qualités sociales, appréciables dans une société bien ordonnée. Pour lui, la noblesse permet de cultiver les vertus éminemment utiles que sont la mémoire, le sens de la transmission familiale et celui de l’honneur. Comment lui donner tort ? Toute société a besoin d’être maillée, encadrée, et surtout dans une hiérarchie des valeurs conforme à sa destinée. Et nous subissons aujourd’hui à plein le malheur d’être commandés par une oligarchie de plus en plus déconnectée du peuple français. Il s’insurge aussi contre l’absence de protection de la législation républicaine, acharnée à favoriser les usurpations afin de faire disparaître ce qui reste du Second ordre. À notre sens, c’est plutôt de l’indifférence que manifeste notre législation, une indifférence provoquée par l’individualisme desséchant qui l’anime idéologiquement, et qui veut ignorer toutes les traditions familiales, nobles ou non. À cet égard, M. de Saboulin déplore que la « noblesse d’apparence » représente en nombre de familles dix fois plus que la noblesse véritable, la seule à pouvoir prétendre à l’adhésion à l’ANF. Il y voit l’effet de la vanité, le vaniteux étant « celui qui, faute de confiance en soi, réclame des autres une admiration qu’il n’est pas sûr de susciter. » Sur ce point, qu’il soit permis de penser que notre conférencier fait preuve quelque peu de pessimisme. Car enfin, la motivation de la vanité n’est pas un effet de la révolution. Les auteurs des XVII° et XVIII° siècle ne manquaient pas de se moquer des anoblis récents, dont les descendants tiennent aujourd’hui une place honorable dans l’armorial français. Et, parmi les maréchaux des deux guerres mondiales, plusieurs sont issus de la noblesse d’apparence la plus contestable. La logique nobiliaire permet donc une mutation de la vanité qui se transforme en fierté familiale de bon aloi. Voilà un miracle que les constituants du 4 août n’avaient pas prévu. ■ PIERRE DE MEUSE
Le titre de ce propos est surprenant dans la mesure où la noblesse française, qui n’a plus d’existence légale depuis plus de deux cents ans, est le groupe social le plus sévèrement touché par la déconstruction des valeurs.
Sévèrement touché par le procès en illégitimité dont l’instruction s’ouvre avec la philosophie des Lumières, se poursuit par un procès en débauche, immoralité et insuffisances diverses, lequel s’enchaîne avec un procès clérical.
Sévèrement touché par l’abolition du droit d’aînesse qui atteint les familles nobles, mais pas seulement : les familles d’agriculteurs subissent le même éclatement. La propriété foncière se morcèle, la rentabilité qui s’effondre ne permet plus d’entretenir les châteaux et, comme il en va de l’agriculture française, le mythe de l’égalité, en prétendant faire le bonheur des cadets, fait le malheur de tout le monde et tue même l’esprit d’aventure qui était le propre des cadets.
Les Allemands et les Anglais, pour ne citer qu’eux, ayant maintenu le droit d’aînesse, conservent l’essentiel de leurs domaines. C’est en particulier le cas des Anglais. On a du mal à imaginer dans quel mépris cinglant l’aristocratie anglaise tient aujourd’hui l’aristocratie française.
Sévèrement touché par la révolution fiscale. L’insupportable pression fiscale qui provoque la Révolution de 1789, inégalement répartie, est montée au taux inacceptable de 10%. Depuis la révolution libératrice, il a presque quintuplé et n’est toujours pas mieux réparti. L’impôt sur le revenu créé pendant la Première Guerre mondiale pour soutenir temporairement l’effort de guerre n’a pas manqué de se pérenniser, a suivi la période qu’on appelle l’euthanasie des rentiers. Nous en sommes à l’impôt sur le capital et on parle à présent d’amputer les patrimoines pour rembourser la dette stratosphérique créée par nos dirigeants.
Sévèrement touché par l’inflation nobiliaire. Tandis que les grands noms de la noblesse française s’éteignent les uns après les autres, la noblesse d’apparence se développe et prospère sous le regard bienveillant des pouvoirs publics qui viennent même perturber la transmission masculine des patronymes.
Et le génocide se poursuit avec la dislocation de la structure familiale et le développement des lois sociétales.
Dans l’entre-deux guerres naît une association ouverte aux seuls aristocrates de la noblesse française qui procède à un long recensement des familles dont le principe de noblesse est incontestable et, petit à petit, à partir d’un système de cotisation volontaire, organise un petit système de défense du nom. Je dis petit parce qu’il s’en tient à signaler, à partir du JO, les usurpations et fournir aux familles victimes quelques conseils de base sur le contentieux qui survient à leur charge individuelle s’ils veulent combattre l’usurpation. L’association de la noblesse française, ANF en abrégé, est surtout un service social qui attribue de très modestes bourses d’études aux jeunes aristocrates nécessiteux pour aider la réussite scolaire et pour favoriser la réussite professionnelle. Elle offre aussi des conseils pour préparer aux entretiens d’embauche ainsi qu’un vestiaire qui permet aux plus aisés d’aider les plus modestes, notamment pour la bonne présentation aux entretiens d’embauche. Un des exemples les plus grands de l’utilité de cette association est celui d’une vieille famille bretonne qu’on croyait éteinte et qui se continuait en fait par des aristocrates qui, dans leur état d’ouvriers agricoles payés à la fin de semaine, avaient perdu tout contact avec leur état d’origine. Les cotisations versées à cette association bénéficiaient de la déduction fiscale de 66% des sommes versées à des œuvres d’intérêt général comme aux partis politiques. Il y a une dizaine d’années, les pouvoirs publics ont fait une descente aboutissant à la remise en question de cette déductibilité des cotisations et, portant un terrible coup, presque fatal, à cette association qui, au nom du fait qu’elle ne s’intéressait qu’à une catégorie de la population, s’est vu infliger un redressement dépassant plusieurs années de recettes, le cotisant perdant ipso facto tout droit à déduction sur ces modestes cotisations.
Il y a donc un peu d’impertinence à prétendre aujourd’hui que la noblesse française soit un héritage actuel.
Je m’efforcerai de vous en convaincre en prônant, d’une part, une lucidité sur le point de savoir « qui est qui » et, d’autre part, à composer son attitude mentale sur le point de savoir « qui est qui » afin d’y voir clair dans l’océan des vanités et, par un acte personnel – intérieur – de lucidité, de résister à cet ouvrage de déconstruction. À partir de ce point particulier des vanités, que j’illustrerai d’un exemple de proximité, je vous proposerai un plongeon historique pour identifier les valeurs aristocratiques. Sur orgueil et vanité, un auteur du XIXe siècle écrivait que l’orgueilleux est celui qui trouve en lui-même son point d’appui tandis que le vaniteux est celui qui, faute de confiance en soi, réclame des autres une admiration qu’il n’est pas sûr de susciter.
Il me semble que les valeurs aristocratiques, loin de se limiter à la défense des privilèges d’une petite caste moribonde, sont des valeurs qui ont rayonné bien au-delà de cette caricature. C’est donc à un effort d’identification des grandes valeurs aristocratiques que je vous invite tant il est primordial de comprendre que l’aristocratie n’a plus d’autre utilité sociale que la transmission et la diffusion d’un corps de valeurs et que, au-delà de la caste, c’est ce corps de valeurs qu’il faut faire vivre en constituant l’aristocratie d’aujourd’hui et de demain, au-delà de la caste en extinction graduelle qu’il convient d’honorer et respecter comme on respecte un monument historique, car elle est, avec souvent beaucoup de mérite, un témoignage desdites valeurs et perpétue nos gloires historiques.
Je divise mon propos en 3 parties :
■ « Qui est qui », un peu descriptive mais que j’essaierai d’animer de quelques virulences.
■ Un plongeon historique sur le cas particulier de l’agrégation à la noblesse.
■ Enfin, pour montrer que chacun de nous, aristocrate de naissance ou pas, peut faire vivre l’aristocratie en incarnant et faisant vivre les valeurs qui, n’étant pas une marque déposée, peuvent être la propriété de chacun.
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Il y a 3 grandes catégories historiques de la noblesse française d’Ancien Régime.
La noblesse d’extraction chevaleresque. Il s’agit d’une noblesse antérieure à la fin du XIVe siècle. Elle est fortement peuplée de symbolisme. On en trouve par exemple une trace dans les exceptions aux faits de dérogeance. Ainsi, ne perdaient pas leur noblesse ceux qui exerçaient un métier de feu (maître verrier, maître de forge). C’est de cette époque que nous vient la tradition des blasons. Vous connaissez l’anecdote du roturier Bayard qui, recevant le plat de l’épée sur l’épaule pour acte de bravoure, est fait chevalier. Quand on prend le cas de la Provence, car on ne peut pas survoler ici toutes les provinces de France, on décompte dans la noblesse subsistante une dizaine de familles qui sont d’extraction chevaleresque[1].
La noblesse d’extraction, que l’on appelle aussi noblesse d’épée, perpétue les valeurs militaires et les actes de bravoure mais, s’adaptant à l’évolution historique, elle élargit le principe nobiliaire. Elle couvre les XVe et XVIe siècles où l’anoblissement s’était beaucoup raréfié n’étant plus le fait que de rares décisions royales prenant la forme de lettres patentes ou de nominations aux fonctions de Conseiller Secrétaire du Roi qui sont les grands organisateurs des finances du royaume. Les CSR sont alors au petit nombre d’à peu près 120. Les charges de CSR sont anoblissantes au 1er degré, c’est-à-dire dès la 1re génération d’exercice. Ce carcan rétréci devenant exagérément étroit, se développe en parallèle ce qu’on appelle l’agrégation à la noblesse. Vous en dire sur l’agrégation à la noblesse est au centre de mon propos. Je vous en parlerai donc plus longuement. Il faut juste savoir qu’il s’agit d’une reconnaissance a posteriori par accumulation de faits sociaux. Par exemple, désignation à des postes de responsabilité portant exercice de charges militaires ou civiles (capitaine général d’une ville… consul d’une ville…) ; qualification de noble ou plus souvent d’écuyer dans des actes notariaux ; alliances par mariage dans des familles nobles.
Il s’agit donc un peu de commune renommée et d’accumulation d’indices – selon l’expression – de « vivre noblement » depuis deux cents ans, ou trois générations. Comme l’ensemble est un peu flou et prête déjà à des usurpations, Louis XIV engage la grande période des réformations de noblesse. Il ouvre ainsi, à partir de 1667, une vaste série de procédures d’enquêtes qui s’achève vingt années plus tard mais se prolongera encore jusque vers 1700. On prend toutes les familles qualifiées nobles dans des actes juridiques qui sont assignées devant les commissaires vérificateurs. Les personnes assignées ont alors la possibilité de désister en acquittant une amende forfaitaire de 50 livres. J’en trouve un exemple dans ma famille : un parent qui, après avoir épousé la fille d’un aubergiste, a lui-même exercé le métier d’aubergiste. Par routine locale, le notaire continuait de le qualifier noble. Il se présente devant le commissaire enquêteur précise qu’ayant dérogé il n’avait plus aucune prétention nobiliaire et paie l’amende forfaitaire qui est une amende minorée. Les deux générations de ses descendants ne varieront pas.
Faute de désistement devant le commissaire vérificateur, les familles assignées doivent présenter leurs titres. À ce moment-là, au terme de la procédure, elles font l’objet d’un jugement de maintenue ou d’un jugement de condamnation.
Toujours dans le cas de la Provence, on compte pour la noblesse d’extraction une petite trentaine[2] de familles d’extraction subsistantes.
La noblesse parlementaire. Parallèlement à la grande réformation de noblesse, Louis XIV ouvre largement la création de charges vénales dont la finance alimentera le trésor. Je ne vous ennuie pas ici avec les nombreuses charges qui visent en fait à encourager le développement nobiliaire, je cite simplement les grandes catégories de celles des cours souveraines, c’est-à-dire la Chambre des comptes (par exemple de Provence) ou le Parlement (par exemple de Provence). Elles sont anoblissantes au 2e degré, c’est-à-dire que l’objectif formateur se déroule sur deux générations, chacune ayant exercé au moins 20 ans. Je les mentionne parce qu’elles instituent un phénomène fécond. La finance nécessitant une mise de fonds importante, la charge parlementaire constitue un élément du patrimoine familial. Elles se transmettent donc le plus souvent par filiation et c’est ainsi que le système produit des dynasties dans lesquelles le savoir et les connaissances se bonifient de génération en génération. C’est là une époque de très grands juristes. On cite, évidemment, les Portalis qui seront anoblis sous la Restauration mais on peut aussi citer, par exemple, les Saurin qui, signe de leur élévation culturelle, ont fait bâtir le beau pavillon de la Saurine aux environs d’Aix. Dans une affaire où les plus grands juristes du royaume débattaient devant le roi, Louis XIV interrompant les échanges s’adresse à Saurin en disant : « Parlez, Saurin, vous qui connaissez la loi ». Et, après le débat, c’est l’opinion formulée par Saurin qui prévaut.
J’en profite pour faire un sort à un poncif : on s’est beaucoup gaussé à propos de l’absolutisme royal, du « bon plaisir » car le roi terminait ses décisions par la formule rituelle « car tel est notre bon plaisir ». L’étymologie de ce plaisir là est le « placet » latin qui traduit que le roi a consulté, qu’il a écouté les avis autorisés de ses conseillers mais qu’ensuite, dans la plus indépendante solitude, il a pris seul sa décision et la porte. C’est donc ainsi que Louis XIV a fait prévaloir pour la faire sienne l’analyse juridique de Saurin.
Une vingtaine de familles subsistent aujourd’hui des familles provençales anoblies par charge parlementaire après 1667, c’est-à-dire charge de la Chambre des Comptes ou charge du Parlement de Provence par deux générations ayant chacune exercé au moins 20 ans[3].
Les charges de CSR continuent d’anoblir au 1er degré, c’est-à-dire au bout de vingt ans d’exercice. Elles sont portées au nombre de 240. Ce sont des charges « en la grande chancellerie », on dit aussi « au grand collège », et demeurent rarement attribuées.
Comme elles sont recherchées pour cet anoblissement au 1er degré, le roi en crée d’autres qui sont les charges de CSR « en la chancellerie du parlement » (par exemple de Provence), on dit alors « Conseiller Secrétaire du Roi au petit collège ». Elles sont également anoblissantes au 1er degré et, comme le roi en a créé environ 300 par parlement, elles sont assez facilement attribuées quoi que très disputées[4]. Ce sont elles que Saint-Simon appelle des savonnettes à vilain.
S’y ajoutent quelques anoblissements par lettres patentes[5].
Trois familles subsistent de celles qui, malheureusement, sont restées sur le bord du chemin du fait de la survenance de la Révolution : Court de Fontmichel (CSR-1783), Lombardon (trésorier général-1783), Garidel-Thoron (conseiller au parlement-1777).
Pour faire le total des familles qui ont un principe de noblesse incontestable, on leur additionne la noblesse d’Empire et la noblesse de Restauration, ce qui donne six familles subsistantes en Provence dont celle du jeune Henri d’Anselme (origine italienne anoblie par le doctorat de l’université d’Avignon, second degré, et lettre patente du pape) lequel s’est récemment rendu célèbre par son courage dans l’affaire d’Annecy.
À côté de cela, comme vous le comprenez, vous rencontrez à Aix un certain nombre de familles d’autres régions que la Provence, par exemple les Crémiers qui sont une des grandes familles nobles du Poitou qui donne deux branches : Augier de Crémiers et Augier de Moussac, lesquelles sont principalement représentées dans leur région d’origine mais aussi en Provence par des biens qui leur sont échus par mariage.
Et vous avez également des familles de noblesse étrangère.
Voici donc, à grands traits, quelques lignes permettant d’approcher la distinction à opérer et intérioriser dans la vie sociale de notre province. Elle illustre cette partie du propos intitulé « Qui est qui ». Car il faut savoir qu’au plan national, à condition d’additionner la noblesse antérieure à la Révolution avec la noblesse d’Empire et la noblesse de Restauration, il ne subsiste plus qu’environ 2 800 familles d’authentique noblesse pour un peu plus de 30 000 familles de noblesse d’apparence du type Giscard d’Estaing parmi lesquelles 9 000 environ sont des cas d’usurpation frontale d’un patronyme noble. S’est donc construit en à peine deux siècles un rapport supérieur à dix pour un.
Je l’illustre par un cas de proximité : dans le quartier Mazarin, au 10 rue Mazarine, vous avez un vaste hôtel encore garni de beaux objets qui appartient à une famille, les Démians d’Archimbaud, qui est entrée en possession de façon assez rocambolesque du bâtiment et de son contenu.
Cette famille – Démians à l’origine – donne, depuis l’année 1713 où elle remonte sa filiation, trois générations de chaussetiers à Nîmes qui faisaient partie de la corporation éponyme. Le chaussetier de la 3e génération qui a fait un peu de bas, à partir de la Révolution, s’étant trouvé veuf a fait la connaissance d’une jeune veuve née dans la noble famille Falcon de Longevialle originaire du Cantal. La jeune veuve attendant un enfant de lui tous deux se marient quatre mois avant l’accouchement. Grâce aux introductions de la famille maternelle l’enfant entrera sous la Restauration dans la magistrature tandis que ses quatre frères et sœurs du 1er mariage restent dans un état fort modeste. Élu député républicain du Gard à la Révolution de 1848, il perd son siège deux ans plus tard à la proclamation du Second Empire. En 1870, à la chute de celui-ci, il est élu maire radical de Nîmes et décède un an plus tard. Il avait épousé une demoiselle de la famille noble Bonaud d’Archimbaud et se faisait lui-même appeler Démians d’Archimbaud, habitude qui sera continuée par cinq de leurs onze enfants, lesquels décèdent vers 1960. À cette époque, les actes d’état civil et pièces d’identité de cette famille sont toujours libellés Démians et non Démians d’Archimbaud. Le fils et la fille de l’un des onze enfants, vers 1958, présentent au Conseil d’État une demande d’adjonction de patronyme pour être autorisés à s’appeler Démians d’Archimbaud à l’état civil et quelques cinq années plus tard, le Conseil d’État leur en donne l’autorisation. La procédure utilisée est fort simple : il faut prendre un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, dont le ministère est obligatoire, et qui, pour environ 3 à 4 000 euros, rédige son acte et gère la procédure très aisée. Les pièces à joindre sont peu de chose : quelques copies d’actes d’état civil et quelques pièces mondaines propres à établir l’utilisation du nom Démians d’Archimbaud, par exemple des correspondances d’invitation, faire-part de mariage ou autre. Le premier demandeur ayant obtenu satisfaction, divers autres membres de la famille s’engouffrent dans la brèche en renouvelant la même demande, ce que la branche aînée fera après cette branche cadette.
Vous voyez donc que l’administration et la justice républicaines dérèglementent largement et avec plaisir l’accès à la noblesse autrefois réglementé et toujours strictement règlementé dans plusieurs pays d’Europe (Angleterre, Belgique…).
La lucidité en matière de principes aristocratiques a pour unique utilité de différencier le bon grain de l’ivraie afin de combattre la dépréciation insidieusement recherchée par les pouvoirs publics depuis la Révolution. C’est donc un peu un acte de résistance personnelle concourant à se défendre de la plus grande des perversions de l’honneur qui est la vanité.
La contemplation des vestiges de l’aristocratie nous permet de constater qu’un monde est en train de mourir. On ne peut que le déplorer. Cependant, si nous voulons préserver les valeurs aristocratiques, il incombe à chacun de nous de les faire vivre. Voilà l’héritage actuel. L’aristocratie n’est pas une marque déposée, elle est le bien commun, il faut juste s’inspirer des principes d’existence qu’on va survoler sur le cas de l’agrégation à la noblesse sans négliger ce que la noblesse de robe nous a montré : l’importance de la transmission générationnelle.
Je cite à cet égard la devise de la famille Boyer de Fonscolombe, qui n’a rien à voir avec les familles Boyer d’Éguilles et Boyer de Bandol qui sont plus anciennes et plus prestigieuses. Cette devise est : « Lento sed certo gradu », c’est-à-dire lentement mais sûrement.
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Nous arrivons ainsi, en plongeon historique, à la description de l’agrégation à la noblesse
Vous trouverez très souvent écrit dans des généalogies de mauvaise qualité que telle famille était « agrégée à la noblesse ». Par cet abus de langage, on veut dire que cette famille était mondainement reçue dans des familles de l’ancienne noblesse pour en inférer inexactement, par cet abus de langage, qu’elles s’étaient ainsi anoblies. Ce qui est un beau contresens.
À proprement parler, l’agrégation à la noblesse qui n’existe qu’aux seuls XVe et XVIe siècles est un système d’assimilation individuel volontaire. Il peut s’agir de familles étrangères qui, comme ce fut le cas des Foresta ou des Cordoüe, poursuivent en France leur ouvrage d’assimilation volontaire mais, plus généralement, ce sont des individus issus de la bourgeoisie – grande, moyenne ou petite. C’est une démarche individuelle, un libre choix de bifurcation vers des valeurs aristocratiques. C’est le cœur de mon propos.
Cette présentation vient d’une idée de Morgan Cordier à qui je parlais d’un bâtiment lamentablement rasé par l’urbanisation du plan d’Aillane où nous nous trouvons et qui était un irremplaçable témoignage descriptif, expliquant ce qu’avait été ce phénomène d’agrégation à la noblesse.
En effet, l’agrégation à la noblesse nous met sous les yeux un modèle d’évolution ascendante de l’individu. Dans notre époque qui nous tire vers le bas, c’est un contrepoison. Cet intéressant bâtiment nous montrait que l’agrégation à la noblesse passait d’abord par une organisation volontaire du mode de vie pratique. Le bâtiment se construit d’abord sur une organisation des espaces de vie à partir d’une distinction des fonctions. J’y reviendrai plus loin. Autour de la demeure, c’est toute une petite société qui s’organise sur un principe de solidarité. Nulle ségrégation vis-à-vis des domestiques et des ouvriers agricoles. Organisation de la vie et des cultures agricoles maraîchères, viticoles et animales d’une façon pragmatique, intelligente et empirique auprès de laquelle notre prétentieuse écologie, outrageusement incohérente, fait pâle figure. La vie autarcique n’est pas tournée vers une recherche du profit mais vers l’entretien du groupe autour du maître de maison qui a, de façon primordiale, le souci des autres. Nulle ségrégation vis-à-vis des domestiques et ouvriers agricoles car c’est tout le contraire : la vie s’organise sur le respect de l’autre, des femmes en particulier car c’est une époque où l’on se pique de galanterie et s’organise aussi sur le respect et la protection des plus faibles.
Dans le bâtiment, les espaces domestiques se séparent de ceux des maîtres mais leur imbrication est harmonieuse et consacre une place à la constitution patiente et économe de provisions et de réserves pour les vaches maigres. Les espaces domestiques incorporent une orientation vers le spirituel : pas de cuisine sans une niche pour placer une sainte Vierge. On monte vers les espaces aristocratiques. Les principales chambres sont précédées d’une antichambre dans laquelle on reçoit en société notamment pour des jeux. Mais on reçoit surtout dans la chambre qui est un espace de conversation. Au fond de la chambre, un ou plusieurs cagibis, notamment pour la toilette. Quand l’habitant de la chambre y est seul, les manuels de savoir-vivre du temps lui recommandent de se protéger derrière le paravent quand il se tient nu, même s’il n’y a personne dans la chambre « de peur que votre bon ange ne vous voie ». En arrière de la chambre du maître de maison, il n’est pas rare de trouver un cabinet austère au mobilier frugal et dépouillé : en général, une table et un banc de pin et sur la table des lectures spirituelles : saint Augustin, saint Thomas d’Aquin, les grands mystiques qui sont lus et dont on s’imprègne quotidiennement car, à côté des règles imprégnées de simplicité naïve, il y a une très grande profondeur de réflexion. Cent cinquante ans plus tard, la chambre s’accompagne quelques fois d’un appendice décadent qui est le boudoir. Bien sûr, on a un principal salon au mobilier plutôt rigide de l’époque qui est organisé pour recevoir de façon formelle et solennelle. Le salon était généralement au 1er étage en Provence. On y accède par un escalier assez majestueux dont les plafonds sont souvent gypsés d’armoiries d’alliances qui montrent les alliances nobles de la famille. À l’entrée, un vestibule où se trouvent souvent des portraits de tel ou tel membre de la famille royale pour manifester la fidélité patriotique ou l’appartenance à une clientèle. À l’étage, se trouve une bibliothèque, généralement de cinquante à quelques centaines de livres. On lit posément avec des pauses de méditation sur la lecture. C’est-à-dire que l’individu primaire s’élève vers l’individu secondaire, celui qui prémédite avant de réagir, celui qui s’ouvre l’esprit vers le beau et l’élaboration des techniques et des arts. Cette recherche de qualité se traduit, évidemment, dans l’architecture de la demeure. On cherche à construire et aménager bien et beau parce qu’on ne veut pas gâcher sa peine à construire mal et laid.
Aujourd’hui, cette hiérarchie est inversée, on ne construit plus des habitations, on s’en tient aux fonctions utilitaires de base en construisant des logements avec un appauvrissement stupéfiant de l’architecture et parfois même une inexplicable recherche de laideur. La distinction des fonctions s’accompagne d’une recherche d’hygiène. L’habitation s’ouvre à la lumière, à l’époque en général par des fenêtres à meneaux. Elle s’ouvre vers la nature et se ventile naturellement bien. Les manuels de savoir-vivre du début du XVIIe apprennent que quand on crache, il faut se tourner de côté et cracher plutôt dans son chapeau, qu’on ne doit pas roter à table et, plus encore, dire « Dieu vous bénisse » à celui qui rote. Le mouchoir fera bientôt son apparition à une époque où on se mouche sur sa manche. Dieu est présent dans tous les instants du quotidien car toute la vie se réfère à la sacralité. La politique, notamment, puisque le roi tient son pouvoir de Dieu. La vie sociale est rituelle car le rituel est une pratique structurante. La vie religieuse est complètement imprégnée de rituels liturgiques, accessibles au plus grand nombre, en même temps qu’ils sont structurants (même pour les grands intellectuels ou les grands mystiques) et qu’ils sont propices au recueillement. Ces rituels, qui traverseront clandestinement la période révolutionnaire et résisteront aux tempêtes idéologiques de la fin du XIXe et du XXe siècle rempliront leur rôle jusqu’à leur étrange évanouissement du concile Vatican II. Sacralité et sens du sacré constituent un principe qui façonne et facilite aussi la vie en société car elle se fonde sur le respect de l’autre et en particulier du plus petit. C’est un mouvement qui élève l’individu dans une époque qui est, il faut le dire, une époque de très grande cruauté. La cruauté dans les conflits d’alors peut aller jusqu’à l’abominable. N’en tirons aucune gloire car notre consommateur moderne aseptisé qui a tourné le dos au sacré pour ne plus honorer que l’homme-dieu, ingénument persuadé d’être un modèle, s’adonne de façon propre et confortable aux pires abominations : génocide des vieux qui ne font pas beaucoup de bruit et des enfants à naître qu’on n’entend pas crier. Aux différents degrés de cette petite société, la vie s’organise autour d’une recherche de confiance et de probité. La confiance, qui est une valeur d’origine chevaleresque, structure les rapports sociaux. Le classicisme est tourné vers l’organisation, l’ordre, la vertu et le service du roi qu’on désigne souvent comme « le roi, mon père ». La famille est la matrice civilisationnelle et la cellule fondamentale. Elle est en forme de structure ouverte, notamment parce que le droit d’aînesse engage à la réussite individuelle dont le conte du « chat botté » donne une image. La place dans la famille prédestine, par exemple, à l’armée ou à l’Église mais les destinées sont ouvertes. Le fils de l’horloger Caron, se reposant d’une activité dans l’autre comme font les bons artisans, développe ses divers talents et accède en peu d’années à l’intimité musicale des filles de Louis XV.
L’agrégation à la noblesse, vous le voyez, est une entreprise d’élévation de l’individu dans certains des domaines de l’existence qui est en divergence de ce que choie la civilisation actuelle. Ce sont d’abord les valeurs individuelles purement profanes : le père éduque mieux ses enfants par l’exemplarité silencieuse que par des bavardages, ce qui n’enlève rien à l’éducation argumentée lors de moments choisis. L’obéissance et le respect s’apprennent jeune. Or, il faut savoir que l’obéissance au père, qui est absolue à l’époque, est l’école du commandement. En effet, l’obéissance c’est celle-ci.
L’éducation d’aujourd’hui, qui se détourne de l’obéissance dans la mesure où chacun se pique d’être un caïd, va nous laisser une génération où plus personne ne sera capable de commander parce que plus personne n’aura commencé par pratiquer l’obéissance. Si l’on se pique de respecter les femmes, ça commence en leur tenant la porte, mais ça va beaucoup plus loin : la chosification des femmes, reléguées au rôle d’instrument de plaisir, occulte de façon réductrice leur important rôle respecté par la tradition de l’amour courtois de cette époque car la femme, dans le couple, remplit un rôle fondamental d’éducatrice et d’inspiratrice.
Hélie de Saint-Marc a un très beau passage où il évoque le formidable courage de sa mère dans sa charge de famille, ce courage est principalement un courage du quotidien. Bien souvent, les épouses sont un peu les saintes silencieuses du couple et de la cellule familiale. On peut citer le cas de Madame de Lafayette, née Adrienne de Noailles, dont André Maurois nous a fait découvrir la personnalité discrète bien supérieure à celle de son inconstant, incohérent et opportuniste mari, le fameux général. Les mères ont un rôle éducateur fondamental, en particulier sur les principes de base de la vie en groupe qui seront utilement complétés par d’autres apports tels le catéchisme.
Je suis ainsi passé des valeurs profanes aux valeurs spirituelles, il ne faut pas mésestimer le rôle du père qui transmet les vertus de combativité, d’énergie, d’hygiène physique et mentale et de résistance. C’est le père qui apprend à s’endurcir et s’astreindre, notamment à un exercice sportif régulier, à s’exercer à l’expression de la pensée dans des échanges argumentés, lesquels procèdent d’une accoutumance à la lecture régulière (c’est la bibliothèque de tout à l’heure et la pratique de la lecture). C’est le père qui apprend à exercer son effort dans la durée, à être dur à la peine et généreux dans le service des autres au sein du groupe en vue de renforcer celui-ci. Hygiène de vie sportive, hygiène de vie intellectuelle. Valeurs de courage et de bravoure.
J’entends encore dans mes jeunes oreilles répéter : « L’argent n’est rien, l’honneur c’est fondamental, le courage c’est tout ». Le courage commence au quotidien pour aboutir, plus tard, à exposer intelligemment sa vie pour défendre les valeurs qui l’élèveront au lieu de la faire dégringoler dans la boucle de désespoir qui va des jeux vidéo à l’hypnose des écrans ainsi qu’aux paradis artificiels. À cette période de l’agrégation à la noblesse, on voit apparaître les premiers « livres de raison », également appelés « livres des actes ». Ce sont des livres de famille dans lesquels on recopie les actes notariés, où on mentionne les faits importants de la vie, souvent accompagnés d’une réflexion descriptive ou d’une réflexion pleine d’élévation d’esprit. C’est une sorte de mémorial de famille pour retracer et poursuivre l’ouvrage.
Très importante dans cette agrégation à la noblesse est l’éducation au beau. C’est un principe aujourd’hui reconnu moderne car l’étude moderne de l’instruction nous montre qu’il y a, par exemple, une évidente interaction entre la pratique de la musique ou d’un autre art et le développement de l’intelligence. De la même façon, le beau architectural, le beau des œuvres d’art est interactif et structure la réflexion tout entière comme le comportement en même temps qu’il est une nourriture de l’âme. C’est de cette époque d’élévation culturelle, notamment dans le beau platonicien, que procèderont au XVIIe siècle, depuis Peiresc, l’émergence de grands collectionneurs aixois : Boyer d’Éguilles, Lestang-Parade et l’éphémère Boyer de Fonscolombe, dont l’aventure se finit par une vente publique au moment où la collection entrait dans son plein développement.
Il faut savoir, les études du professeur William James de l’université d’Harvard ont mis en évidence que, au cours de sa vie, l’homme n’utilise qu’une très faible partie de ses capacités ; de fait, l’éducation bien construite nous ouvre de vastes marges de progression. Pour les utiliser, il faut, évidemment, avoir appris à se construire dans l’effort. On entend beaucoup parler d’intelligence artificielle, de réalité augmentée ou de trans-humanisme alors qu’il serait tellement plus simple et naturel de progresser dans le développement de nos propres capacités intérieures. L’agrégation à la noblesse est par excellence une conduite d’effort méthodique, patient et constructif par une édification de l’individu intérieur qui se soucie peu du regard des autres. La devise de la famille de Gallifet est : « Bien faire et laisser dire ». Les devises familiales qui nous viennent de cette époque de l’agrégation à la noblesse proposent, le plus souvent, des règles de conduite. Chez l’individu, on cherche à faire naître et développer une âme de bâtisseur.
L’exemple de la noblesse parlementaire nous montrait tout à l’heure que la construction pluri-générationnelle est particulièrement féconde. Pour qu’il y ait construction pluri-générationnelle, il faut qu’il y ait transmission pluri-générationnelle, ce qui passe d’abord par un grand soin de communication du père envers son fils ou sa fille, de la mère envers sa fille ou son fils, des grands-parents envers les petits-enfants car les grands-parents et les petits-enfants ont des choses à se dire qui ne sont pas les mêmes qu’avec les parents et diffèrent également de la communication avec les frères et sœurs. Bien souvent, une grande sœur, ou un grand frère, peut avoir un important rôle éducatif. Tout est dans l’utilisation de l’espace conversationnel dont il faut faire un usage de qualité en se gardant de le saturer, comme on voit dans les mauvais films américains, où la débauche d’excuses et de psychologie de pacotille nous donne un contre-exemple. À cette époque où la contraception n’existe pas, la vie de famille est primordiale et développe une construction de la cellule qui se continue souvent de génération en génération, comme on gravit d’un pas courageux les marches d’un escalier. Un escalier, on peut le monter ou le descendre, c’est vrai dans tous les domaines.
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J’en arrive ainsi à vous dire en quoi la noblesse française constitue un héritage actuel.
À ce point, je vous invite à jeter un regard au début du XIXe siècle sur le commencement de la révolution industrielle car ce moment nous en dit un peu sur une valeur aristocratique parmi d’autres : celle qu’est le soin de protéger les plus faibles et les plus vulnérables. Nous savons que les valeurs qui dominent la Révolution de 1789 sont les valeurs de la bourgeoisie. La Comédie humaine de Balzac décrit parfaitement la société de cette époque qui n’a aucun état d’âme avec les plus faibles.
C’est un groupe d’aristocrates et de grands bourgeois éclairés qui va s’élever contre l’exploitation de l’homme par l’homme et se soucier de protéger ceux que la naissante révolution industrielle broie. J’évoque ici l’incontournable docteur Villermé, grand bourgeois éclairé familier de l’aristocratie et qui, porté au Parlement par le suffrage censitaire, va, dans un fameux rapport sur la nouvelle condition ouvrière, mettre sous le nez de la bourgeoisie d’affaires que des enfants, depuis l’âge de cinq et sept ans, sont devenus la chair à canon de l’industrie et qui, dès l’enfance, ayant perdu toute innocence et toute illusion, sont endurcis et même dévoyés avec accoutumance à une vie inhumaine. Dickens est le grand romancier de cette période. Karl Marx, en tête de ses travaux, évoque comme un fondement de son travail ce rapport du docteur Villermé pour nous tourner avec opportunisme que même ce grand bourgeois-là n’a pu l’ignorer. Vers 1870, mon arrière-grand-père, monarchiste convaincu jusqu’à saborder par son engagement sa carrière militaire, a publié un petit ouvrage intitulé « Du socialisme chrétien et spécialement du salaire ». La réflexion de cet aristocrate de province n’est qu’une mince contribution au mouvement imprégné de valeur aristocratique qui défendait la classe ouvrière contre les excès de la révolution industrielle et la domination capitaliste. Progressivement, et tout au long du XIXe siècle qui a perdu les freins moraux d’antan, le socialisme va parasiter cette valeur aristocratique pour l’approprier et la dévoyer dans une entreprise de division de la France contre elle-même. Ayons en mémoire l’indispensable chronologie qui ne ment pas comme mentent les idéologues : c’est en 1818 que Villermé incrimine le manque d’hygiène dans les habitations ouvrières nouvelles. Élu à l’académie de médecine puis à l’académie des sciences morales et politiques, lui qui a épousé une demoiselle Morel d’Arleux, qui fréquente le faubourg Saint-Germain et qui mariera sa fille unique à Monsieur de Fréville de Lorme, parvient à faire voter sa loi de 1841 pour règlementer le travail des enfants dans les manufactures en deçà de… 8 ans !
C’est de son ouvrage que vient le fameux seuil de cinquante salariés car les travaux statistiques d’alors ont permis de considérer qu’en deçà de cet effectif, les membres de la population locale se connaissant, le rapport de travail manufacturier est alors peu susceptible de tourner en barbarie. Après la Révolution de Juillet, le florissant capitalisme post-révolutionnaire donne 25% d’indigents dans les départements manufacturiers. Il y a des émeutes, notamment à Lille. Le docteur Villermé se rend sur place.
Dans les départements ruraux, surtout vers le sud, les rapports sociaux demeurent conformes au modèle traditionnel.
La structure défensive et protectrice qui fait la différence, c’est la famille.
Marx, qui est né en 1818, à cette époque use ses fonds de culotte à l’université. C’est en 1867 qu’il écrira « Le Capital » ; 2 ans après, la brochure « Du socialisme chrétien et spécialement du salaire », écrite par un obscur aristocrate hobereau provençal. Cette année 1867, Villermé, une grande partie de son ouvrage accompli, est mort depuis plusieurs années à l’âge de 81 ans. L’aixois Zola, né en 1840, écrira « Germinal » en 1885 alors que le parti socialiste vient de se créer en 1880.
La chronologie invite à constater un phasage et à déduire que la valeur aristocratique de protection du plus faible va faire l’objet d’un parasitage à partir duquel, sur le mode idéologique, sera développée la division de la France contre elle-même. Ce qui n’était pas plus qu’une hypothèse parmi plusieurs et n’a aucunement guéri le capitalisme industriel.
Le cas de l’écologie vient cent cinquante ans plus tard mais reproduit le parasitage, il faut le dire assez facile, d’une valeur aristocratique qui célèbre dans la nature l’œuvre de Dieu et s’attache, par exemple dans la taille des arbres, à y réaliser des œuvres d’art ou reconnaît l’honneur dans certaines particularités animales (voir pour cela la vénerie). Là encore, la prétentieuse idéologie écologiste approprie les valeurs de toujours laissées en déshérence pour les dévoyer dans le bien-être animal et les mythes des gaz à effet de serre et du réchauffement climatique pour créer une sorte de peur de l’an mil. On ne peut pas écouter Greta Thunberg sans déceler le caractère insincère, malsain et construit de cette héroïne gonflée à l’hélium. Les valeurs ainsi usurpées et parasitées sont des valeurs qui sont nôtres et demeurent en chacun de nous.
C’est l’effort que chacun de nous peut faire, s’il veut être utile à la patrie française, en espérant la voir sortir un jour du marasme. L’héritage intellectuel et moral de la caste en voie d’extinction c’est ce projet de construction individuel se prolongeant par la tâche, beaucoup plus délicate, d’une construction familiale. L’exemple de l’agrégation à la noblesse, par son effort constructif, peut nous inspirer dans la réalisation de notre propre effort constructif car c’est d’abord par ce chemin-là que la France pourra un jour stopper sa lente descente aux enfers dont j’observe avec fascination la phénoménale accélération depuis cinquante années.
Tout le monde connaît la citation de Jean Bodin, « il n’est de richesse que d’hommes », disons que rien ne nous viendra plus de nos dirigeants et ayons la conviction que c’est par une construction de l’individu que la France renaîtra.
L’exemple de l’agrégation à la noblesse nous offre une leçon de vie qui peut y contribuer par un enchaînement d’humbles efforts quotidiens et individuels vécus dans une communauté pour perpétuer valeurs et rituels. Car, dans les temps troublés actuels, la vie communautaire est probablement la seule solution. Le Moyen Âge nous en donne une illustration : à cette époque, notre construction nationale voit surgir et prospérer un inexpliqué développement spontané de la vie communautaire, les individus se regroupaient en diverses petites communautés assez informelles propres à entretenir dans une commune solidarité l’effort individuel. Un exemple amusant, mais inspirant, nous est donné par les communautés taisives de cette époque où les gens se réunissaient à la fin de la journée pour se taire ensemble et écouter le silence. ■ EMMANUEL DE SABOULIN BOLLENA
[1] Albert de Luynes, Blacas d’Aups, Castellane (la plus ancienne famille aristocratique de France), Pontevès d’Amirat et Sabran Pontevès, Villeneuve, Adhémar de Cransac et Latagnac, Isoard de Chéneriles, Vincens de Causans, Boisgelin (origine bretonne), Lestang-Parade, Drée.
[2] Forbin, Albertas (subsiste au Brésil), Marin de Carranrais, Robin de Barbentane, Bausset Roquefort, Bonet d’Oléon, Candolle, Clapiers-Collongues, Raffelis de Saint-Sauveur, Sade, Saboulin Bollena, Seguins-Cohorn, Sinety, Panisse-Passis, Chieusse de Combaud, Fabre de Mazan, Isarny, Cordoüe (origine espagnole), Boyer de Choisy, Saporta, Bernardy de Sigoyer, Foresta, Rasque de Laval, Saqui-Sannes, Gérin-Ricard, Boutiny (en ce compris quelques anoblissements antérieurs à 1667), certaines ayant un principe de noblesse antérieur à 1484 (rattachement de la Provence à la France).
On y ajoute quelques très anciens anoblissements parlementaires avant 1667 : Espagnet, Estienne d’Orves, Tressemanes-Brunet de Simiane, Coriolis ; ou par lettres patentes : Moustiers (1596), Cadenet (1549), Bottini (1614), Courtois de Langlade (1517) Puget de Barbentane (1443).
[3] André, Bonardi du Mesnil, Boyer d’Éguilles et Boyer d’Argens, Demandolx Dedons, etc. (beaucoup d’extinctions).
[4] Catelin, Amaudric du Chaffaut, Coye de Castellet, Ravel d’Esclapon, Selle de La Castille et Selle de Beauchamp, Arnaud de Vitrolles en 1685, Barrigue de Montvallon en 1702, Boyer de Fonscolombe en 1724, Campou en 1724 Julien de Zélicourt en 1747.
[5] Giraud d’Agay en 1708, Miollis en 1769, Roux en 1772, Barthélémy de Saizieu en 1771.
En savoir plus sur le Château de Lanfant, Aix-en-Provence
Bravo pour cet article excellent qui révèle une profondeur dans la réflexion méritant d’être saluée.
Une seule remarque qu’il faut avoir le courage d’introduire : lisez « voyages à travers les climats de la terre » de Gilles Ramstein, paléoclimatologue et puis par un simple calcul (et non un calcul simple mais l’IA peut aider) il m’est apparu que le fait d’augmenter la teneur en humus des sols de seulement 3 points (de 1% à 4% sachant que les terres noires c’est 6 à 16%) sur les quelques 2,5 milliards d’hectares agricoles utiles de la planète fixerait tellement de carbone que nous serions ramenés à la teneur CO2 atmosphérique de l’ère pré-industrielle soit 280 ppm au lieu de 420 ppm maintenant (qui ne cesse d’augmenter). Cet exemple agricole montre que les pratiques de déforestation, de brûlage des pailles, du labour et des sols laissés nus tuant la vie des sols tombant à moins de 1% de matières humiques est une aberration qui conduit en outre à rendre les plantes fragiles d’où pesticides etc
Ce genre d’article interminable, ennuyeux, décalé et assez ridicule n’a pas sa place dans JSF.
Fait-on de la politique ou regrette-t-on la marine à voiles et les lampes à huile ? Quand on, voit toutes les canailles des prétendus aristos qui ont rejoint la Révolution (plusieurs Choiseul-Praslin en mai 68 , une arsouille fils du Comte de Paris (arsouille dont le nom m’échappe) à Geoffroy de Lagasnerie aujourd’hui) on ferme sa gueule !
Un article long ? Oui, et alors ? On peut le lire en 2 fois et la qualité de l’écriture et de l’enseignement sont enrichissants, donc pas de limites.
Non seulement nous y apprenons l’histoire, mais nous en tirons des valeurs qui mènent notre quotidien et notre engagement. C’est en cela que nous serons respectés et écoutés.
Rien n’empêche ensuite d’aller lire un article sur l’économie pour avoir des connaissances plus pragmatiques sur la société actuelle.
Si notre jeunesse actuelle comprenait ce texte, cela pourrait relever son niveau de conscience sociétale et pour les plus anciens à ne pas dénigrer ou insulter de manière irréfléchie.
À Pierre Builly : «Faire de la politique» et «regrette[r] la marine à voiles et les lampes à huile» ne saurait apparaître réellement incompatibles qu’à de la cervelle en téflon.
Toutefois, il est exact que la longueur quasi «universitaire» de l’article pourrait ne pas être exactement adaptée à la «place» qu’accorde habituellement JSF aux interventions… Admettons. Mais je ne sache pas pour autant que JSF en eût rendu la lecture obligatoire ; si bien qu’il suffit à chacun des se déterminer par rapport à l’opportunité de jeter un œil ou non sur la prose envisagée.
Enfin, la présence d’«arsouille», de traîtres et autres rastaquouères ici ou là ne saurait invalider les «lieux» (si j’ose dire) desquels ils sont ressortissants. Par exemple, qu’il y ait eu des Français méchants ne fait pas correspondre la France à un terroir de telle méchanceté que ce devrait condamner tout son monde à qu’il «ferme sa gueule».
Total : vive le roi ! Vive la noblesse ! Montjoie et saint Denis !
D’accord avec ce que dit David Gattegno. C’est ouvert d’esprit ! Le contraire est nul.
Très bel article, merci
Parler de cette « noblesse » aujourd’hui, c’est faire accroire aux Fraçais que si la Monarchie était rétablie (on n’y est ps), les titres de Duc, de Marquis, de Comte seraient rétablis ; que les femmes seraient exclues de la succession, que les privilégiés seraient exemptés d’impôts.
Nous avons un certain art de nous plomber les ailes.
Je suis souvent en désaccord avec Pierre Builly : sur la décentralisation, l’outre-mer, certain pays étranger… et même sur la forme (nullement ennuyeuse à mon avis) ou le fond de cet article, qui a le mérite de rappeler l’importance de la noblesse et le risque de sa disparition.
Néanmoins, Pierre Builly a factuellement raison de pointer du doigt un des défauts majeurs de la noblesse : sa soumission. Elle a tendance à lutter pour ses intérêts d’abord, au détriment du bien du pays. D’où les révoltes des Grands, la Fronde, l’obstruction parlementaire et le ralliement d’une grande partie de l’aristocratie à la Révolution. Si la noblesse a bien servi, elle a aussi beaucoup nuit. La monarchie n’en est que plus nécessaire pour que la noblesse soit mise au service du bien commun, sa vocation première, et ne dégénère pas en aristocratie, confisquant le pouvoir à son profit.
Les petits bouts de la lorgnette distribués aux bourgeois de toutes tailles par Richelieu continuent à répandre la myopie intellectuelle en pandémie…
Moyennant quoi, cet article rectificateur se révèle tout à faire nécessaire, voire indispensable !
Nous trouvons, très malheureusement, chez les royalistes des préventions contre la noblesse qui doivent être mises en rigoureux parallèles avec les préventions laïques et obligatoires de l’instruction civique déposée en distributeur automatique.
Cela permet au passage d’observer chez lesdits «royalistes» qu’ils ne se prennent pour tels que par ………… snobisme. Or, «snob» se trouve être la contraction de SINE NOBILITATE, autrement dit, SANS-noblesse. Et voilà que le secours du lexique vient apporter l’explication définitive de ces peaux d’lapin dont est fourrée la panoplie du parfait «monarchiste politique».
La noblesse a ses vertus. Elle croit aussi pouvoir traverser les régimes et retrouver ses valeurs. avoir le temps long pour elle Cela ne va pas sans ambiguïté parfois pour les personnes, et une apparente soumission au temps, à ses mœurs, tout en s’accrochant à son statut, mais n’oublions jamais Charette, Lyautey , Foucault, de Lattre de Tassigny, Leclerc , d’Estienne d’Orves, etc.; et même de Gaulle au cœur de nos conflits; David a raison, ne la maudissons pas, n’oublions pas l’amour courtois, chacun de nous peut s’en inspirer , noblesse oblige, et je ne suis pas jaloux, du moins je l’espère.
Mais je ne maudis personne ! Il y a des gens « nobles » dans toutes les classes de la société et c’est un des plus grands noms de France (d’Harcourt) qui m’a fait découvrir Michel Houellebecq.
Mais il y a dans « nos milieux » une forme d’adulation « Points de vue – Images du monde » qui, comme la messe en latin, nous ringardise… . Et encore, pour la messe en latin, on peut discuter… si l’on veut.
La « noblesse », celle des titres, je ne parle pas de celle des valeurs qui peut être paysanne, ouvrière, artistique et – même ! – bourgeoise qui peut être partagée entre tous les Français, n’a rien à voir avec ces nobliaux qui se la pètent parce qu’ils savent comment s’appelait leur arrière-arrière grand-père.
C’est une question d’optique : il y a d’un côté ce qui relève du privé, de l’ autre ce qui fait partie de l’ héritage historique .
C’était, du reste abordé au détour de certains cours d’ Histoire . Ainsi :
page 409 de
Histoire 1789-1848 (classe de seconde)
collection Jean Monnier et André Jardin
1960 Fernand Nathan – Paris
– la société rurale
« … Enfin, dans l’Ouest, le Centre, le Midi, le châtelain s’est réinstallé soit dès l’Empire, soit en 1830, s’il a abandonné un emploi de militaire ou de magistrat pour rester fidèle au roi « légitime ».
Plus sérieux que son aïeul du XVIII siècle qui vivait à Versailles et était représenté dans ses terres par un intendant, il s’intéresse souvent à l’agronomie et ses metairies donnent l’exemple du progrès. Bienveillant pour ses anciens vassaux, ayant la confiance des paysans et la méfiance des bourgeois ou des artisans, il accepte volontiers les fonctions de maire et fait du curé son intendant spirituel. A deux reprises, la France inquiète se groupera autour de ces notables : aux élections de 1849 et à celles de l’Assemblée Nationale de 1871 . »
Nous en sommes arrivés à une époque où l’idée de noblesse souffre de la plus grande ignorance. Or, le sens originel de NOBLE est «digne de mémoire», ce qui doit être rappelé et, par conséquent, maintenu intègre, bref et comme par un fait exprès, exactement ce que singent lugubrement les différents «mémoriaux» et autres instructions laïques et obligatoires.
Une action n’est pas «noble» en elle-même, elle peut se révéler telle, au seul cas faisant qu’elle se rattache à une mémorable ancestralité de BONTÉ, de COURAGE (c’est-à-dire, de «cœur», disons …«au ventre»).
La noblesse n’a absolument rien à voir avec la «notabilité» de m’sieur l’maire ou du merdecin (comme orthographiait Jarry).
Nom de Nom de Nom de Dieu de tous les diables de livres d’Histoire de classe de seconde qui ont rabougri les grandeurs à l’échelle du compteur à gaz et de la consommation électrique «responsables», «éthiquables», comme ils osent écrire encore.
Il est bon de rappeler ce que fut la noblesse. C qu’elle a été ne répond à aucun de ces minables critères moralisateurs et autres pacotilles raisonnables.
Une chose compte et une seule : quel est ton sang ?!
Dans quelle hiérarchie t’inscris-tu ?
Sur quel acte mémorable – qui remonte bien avant toi et ne t’appartient nullement en propre – a reposé ta condition d’individu actuel, pour peu que tu fusses «renommé» et eusses su le tenir ? Etc., etc., etc.
Les réponses totaumatiques, à mimiques logiques, sont stupidement déroulées, parce que les questions sont posées en pleine imbécillité, parce que les termes de ces questions ne sont pas les termes authentiques auxquels il y a lieu de se référer.
Nos présents échanges me conduisent à me demander si, au strict point de vue «politique», la question de la noblesse ne serait pas celle réellement cruciale…
Question, d’ailleurs, «historiquement» bien antérieure à la question royale elle-même (à l’échelle strictement politique, encore que, la désinence de noblesse au plus haut sens, le sang «bleu», remontât au sens plein de «sang DIEU», ce qu’il ne faut jamais perdre de vue).
«Politiquement» parlant – si l’on peut oser vulgariser au sens actuel des mots les considérations majeures dont tout cela relève –, rappelons-nous la joute orale entre Adalbert Ier, comte de la Marche (zone frontière depuis laquelle j’écris en ce moment et plus de 25 ans durant, jusqu’à maintenant) dialogue resté fameux :
— Qui t’a fait comte ? demande vertement Hugues Capet à son détracteur.
— Qui t’a fait roi ? rétorque le noble guerrier.
Et l’Histoire besogneuse voudrait que le dialogue rapporté par Adhémar de Chabannes n’eût jamais eu lieu. C’est commode de se moquer de l’existence des moines, des chroniqueurs, évidemment, surtout quand, par-dessus le marché, ils sont poètes et musiciens, comme c’est le cas ici – il est le compositeur nous ayant laissé le plus vieil écrit musical occidental, paraît-il, ce qui ne signifie pas qu’il n’y en eût pas d’antérieur, évidemment, car la première chose que devrait se coller dans la courbure cérébrale tout historien prétendu érudit, c’est que l’ensemble de ce que sa documentation ignore dépasse vertigineusement le vaniteux gratte-ciel de ses bibliographies.